Pourquoi les salaires des patrons du CAC 40 sont justifiés

par tdelache
vendredi 14 décembre 2012

La récente étude signée Proxinvest indique que malgré la crise, les patrons du CAC 40 sont toujours aussi bien payés. En 2011, l’indice boursier a chuté de 17% alors que le salaire moyen des dirigeants a augmenté de 4% pour atteindre 4,2 millions d’euros. Comme toujours pour les riches, pour ceux qui réussissent et pour ceux qui ont du pouvoir, la majorité des lecteurs déverse son dégoût, son mépris, sa colère et sa haine envers ces patrons aux rémunérations annuelles à 7 chiffres.

Je fais partie des rares personnes qui défendent les salaires de ces patrons. Je tente aujourd’hui d’expliquer rationnellement cette conviction aux lecteurs.

Les salaires des patrons sont élevés par rapport à ceux de votre voisin ou de votre boucher.

S’il y a un point d’accord entre ma pensée et celle de la majorité des Français, c’est le fait que les rémunérations des patrons du CAC 40 sont élevées en comparaison avec celles de tout un chacun. Je suis bien conscient qu’un million d’euros annuels représentent plus de 75 SMIC annuels. Et, sachant compter, je sais que les 19,6 millions que Maurice Lévy a touchés en 2011 représentent 1500 SMIC ou 3500 annuels. Personne ne nie ces chiffres et personne ne nie qu’ils sont élevés par rapport à M. Tout-le-monde.

Pour autant, les patrons du CAC 40 sont-ils d’affreux profiteurs sans scrupules, voleurs d’argent et incompétents ? Leurs rémunérations sont-elles injustifiées ?

Pour répondre à cette question, je me permets de faire un mini-cours de gouvernance d’entreprise. Les gens ont souvent tendance à oublier ce qu’est une entreprise.

Les propriétaires d’une entreprise sont les personnes physiques ou morales qui ont apporté leurs capitaux propres à cette entreprise. Pour bien comprendre, ce sont eux qui investissent et qui apportent leur argent frais pour faire fonctionner l’entreprise. On les appelle aussi les actionnaires.

Distribuer de l’argent pour les beaux yeux des salariés ? Être la vache à lait de ses salariés ? Ni l’un, ni l’autre. Le but d’une entreprise est de créer de la valeur, autrement dit de rapporter le maximum de bénéfices à ses actionnaires.

L’actionnaire qui investit son propre argent dans une entreprise ne le fait évidemment pas pour le plaisir. Il cherche à en tirer des bénéfices, et c’est bien compréhensible. Lorsque vous prêtez votre briquet à un inconnu dans la rue, il est souhaitable qu’il vous le rende juste après. Malheureusement, les gens ont tendance à ne pas comprendre la logique de profit des entreprises.

Elle est pourtant légitime et simple à comprendre. Lorsque M. Tout-le-monde dépose 100 euros sur son livret A, ce n’est pas pour les beaux yeux du banquier. C’est pour retrouver ses 100 euros l’année d’après, les intérêts en plus. C’est le principe d’un investissement. Et qu’on ne me dise pas que cela n’a rien à voir avec les élites actionnaires : 60 millions de personnes en France détiennent un livret A. Ainsi, à tous niveaux de la société, chacun cherche à optimiser ses profits. C’est le propre de l’homme : on n’a jamais vu quelqu’un jeter un billet de 50 euros, pour rien, par la fenêtre. On n’a jamais vu quelqu’un préférer recevoir 30 euros à 100 euros. Cette assertion est tellement vraie que les pauvres (et ils sont nombreux : plus de 8 millions) sont les premiers à se plaindre de leur salaire et à vouloir plus.

M. Tout-le-monde pense souvent que les patrons du CAC 40 sont des méchants qui se gavent sur le dos de l’entreprise en s’octroyant eux-mêmes leur propre rémunération. Malheureusement, M. Tout-le-monde n’a pas pris le temps de s’informer et de comprendre le fonctionnement de l’entreprise et ferait mieux de parler en connaissance de cause.

Les dirigeants du CAC 40 sont choisis par le conseil d’administration, dont les membres sont eux-mêmes élus par les actionnaires. La rémunération des PDG est votée par les actionnaires, donc les propriétaires, et la transparence en la matière est la règle depuis bien longtemps. Il suffit de lire les documents de référence annuels disponibles sur les sites internet des entreprises. Les PDG sont révocables à tout moment. Tout ce qui concerne les nominations, les révocations, les indemnités, les rémunérations, « les parachutes dorés » des dirigeants, tout cela est voté par les actionnaires lors des assemblées générales des actionnaires. Ce qui est bien normal : les actionnaires, propriétaires de l’entreprise, ont bien le droit de déléguer la gestion de leur entreprise à la personne de leur choix, et de le rémunérer comme bon leur semble.

Pour que M. Tout-le-monde comprenne bien : imaginez que vous achetez une nouvelle maison. Vous en êtes le propriétaire, tout comme l’actionnaire est propriétaire de l’entreprise. Vous décidez de rafraîchir la maison et faites donc appel à un menuisier. Pour commencer, vous ne faites pas appel à lui pour le plaisir mais parce qu’il doit vous apporter une valeur ajoutée : le rafraîchissement de votre maison. Mais malheureusement, le menuisier n’est pas très compétent et abîme plus la maison qu’il ne l’embellit. Que faites-vous ? Vous le gardez et continuez à le payer pour ses beaux yeux ? Non : vous le révoquez sans délai. Et, que je sache, vous vous moquez complètement de ce que deviendra le menuisier : « qu’il aille au diable ce mariole ». Et, que je sache, la femme de ménage n’a pas vraiment son mot à dire sur la révocation ou non du menuisier : c’est bien vous le propriétaire de la maison…

C’est exactement la même chose pour les entreprises du CAC 40 ! Si les actionnaires estiment que le PDG doit toucher 15 millions d’euros, même si la gestion n’est pas bonne, grand bien leur fasse ! Ils ont bien le droit de faire ce qu’ils veulent puisqu’ils sont les propriétaires de l’entreprise. Ce sont bien leurs capitaux propres et leurs futurs bénéfices qui sont en jeu : s’ils ont envie de donner plus ou moins à leur PDG, pourquoi pas. M. Tout-le-monde par exemple, lorsqu’il croise un mendiant dans la rue, s’il veut donner 10 centimes, il donne 10 centimes. Mais s’il veut donner 10 euros, il a bien le droit de donner 10 euros : c’est son argent à lui. Le PDG, lui, aurait bien tort d’en profiter. Et, aux dernières nouvelles, les rémunérations des PDG, ce n’est pas de l’argent volé. M. Tout-le-monde par exemple, lorsque son boss le félicite alors que son travail est mauvais, n’ira certainement pas le contredire et exiger un salaire inférieur parce que son travail est moyen. 

Enfin, on reproche souvent aux PDG que leur rémunération n’est pas corrélée à leur performance. Encore une fois, la rémunération est votée par les actionnaires, propriétaires de l’entreprise, et le processus est transparent. La caissière de la FNAC par exemple, est-ce qu’on réduit son salaire du mois parce que les ventes du mois de décembre ont fléchi ? Tout ce qui concerne la rémunération des PDG est clairement indiqué au public, et les termes du contrat sont clairement validés par les actionnaires. A partir de là, il n’y a pas de quoi être scandalisé, ou alors c’est qu’on aime râler et se poser en victime.

Il est vrai que les PDG du CAC 40 ne sont généralement pas les fondateurs de l’entreprise. Mais qu’est-ce qu’un PDG du CAC 40 ? C’est une personne a sous sa responsabilité des centaines de milliers d’hommes. C’est une personne qui, à l’extérieur, représente ces milliers d’hommes. Autant dire que M. Tout-le-monde – qui aime se gratter le bide, qui allonge la pause-déjeuner du mieux qu’il peut, qui ne resterait au bureau pour rien au monde après 18 heures pour ne pas rater le Juste prix, qui ne maîtrise ni le subjonctif, ni les règles grammaticales du français, qui rechigne à parler anglais – n’est pas crédible face au monde extérieur et n’est pas assez compétent pour être à la place de son patron. Mais surtout, le PDG est la personne qui est responsable civilement et pénalement de l’entreprise. M. Tout-le-monde a déjà du mal à tenir ses enfants de 16 ans et à les aider dans leurs devoirs de niveau Terminale, imaginez-le manager et avoir la responsabilité de milliers d’hommes…

Pour résumer, être PDG du CAC 40 n’est pas à la portée de tout le monde. Les PDG du CAC 40 ont tous été choisis par les actionnaires : ils n’ont ni volé leur place, ni volé leur salaire. De la même façon, on ne peut pas vraiment dire que l’employée de maison de M. Tout-le-monde est une méchante profiteuse avide d’argent.

Et si M. Tout-le-monde pense le contraire, qu’il aille donc faire de longues études, qu’il aille prouver ses compétences en entreprise, qu’il aille démontrer aux actionnaires qu’il est capable de développer l’activité de l’entreprise et qu’il aille prouver sa capacité à manager des milliers d’hommes.

Beaucoup de Français aiment s’indigner lorsqu’un PDG annonce un plan de licenciements et que, dans le même temps, sa rémunération augmente. Encore une fois, avant de s’exprimer, il faudrait connaître le sujet. Le PDG est la personne mandatée par les actionnaires, les propriétaires de l’entreprise, pour qu’elle développe l’activité au mieux et pour qu’elle rapporte le maximum de bénéfices. Si le PDG annonce un plan de licenciements et que les actionnaires approuvent en gardant ce PDG, il n’y a absolument aucun problème puisque les actionnaires consentent ! Les actionnaires n’investissent pas leur propre argent pour faire plaisir aux salariés mais pour en retirer le meilleur bénéfice. M. Tout-le-monde par exemple, il semble que cela ne le dérange pas lorsqu’il met fin au contrat de sa femme de ménage en raison d’une baisse de revenus. D’ailleurs, on n’embauche pas une femme de ménage pour le plaisir mais parce qu’elle apporte une prestation qu’on lui rémunère en échange. Au fond, tout le monde est content : le propriétaire qui a une maison toute propre, la femme de ménage qui a un salaire. 

Bien souvent, dans pareil cas, M. Tout-le-monde s’indigne et parle de manque de reconnaissance aux salariés. Où est le manque de reconnaissance ? La logique du travail est la suivante : vous réalisez une prestation sur une période donnée et votre patron vous rémunère en échange. Et quand il n’y a plus de travail à proposer, il n’y a plus de travail, point final. Les employeurs ne créent pas des postes pour le plaisir et pour faire baisser les chiffres du chômage, mais parce qu’ils répondent à un besoin pour l’entreprise. Si M. Tout-le-monde croit que son poste dans l’entreprise est un dû, que les actionnaires paient son salaire pour ses beaux yeux, il aurait plutôt dû devenir fonctionnaire. Il est d’ailleurs toujours amusant de voir que beaucoup de Français aiment se victimiser lorsqu’elles sont licenciées. Une personne qui est licenciée après 20 ans de service, au lieu de se lamenter sur son sort et de se scandaliser, ferait mieux de se tourner vers l’avenir, de chercher rapidement un travail ailleurs ou d’envisager une mobilité géographique. Le grand malheur de M. Tout-le-monde, c’est qu’il est incapable de s’adapter et de comprendre que le travail est un marché qui doit être cherché là où il se trouve.

Bien souvent aussi, les actionnaires en prennent pour leur grade avec des qualificatifs qui donneraient la larme à l’œil à un enfant de 5 ans : « requins, égoïstes, sans cœur, … ». Les actionnaires, qui investissent leur propre argent, ne méritent pas d’être traités ainsi. Est-ce qu’on reproche à un investisseur le fait d’investir pour gagner plus ? Non. Est-ce que M. Tout-le-monde s’autoflagelle lorsqu’il place 1000 euros sur son livret A ? Non plus. Il est donc incohérent de jeter l’opprobre sur les actionnaires, qui sont des investisseurs comme les autres qui agissent pour leur intérêt.

Pourquoi tant de haine ?

Il est bon de rappeler que les PDG et les actionnaires n’ont pas volé leur argent. Le PDG de Carrefour, s’il gagne autant, c’est parce qu’il a réussi à vous faire acheter vos yaourts chez lui. Si M. Tout-le-monde, qui aime s’indigner, reproche à Carrefour la rémunération du PDG, il n’a plus qu’à devenir éleveur de vaches pour produire ses propres yaourts.

Au fond, le problème est qu’en ces temps de crise, on n’accepte pas qu’une tête dépasse. Et surtout, on aime beaucoup s’indigner, râler et jalouser, sans jamais se remettre en question soi-même. Bien avant Stéphane Hessel, il était déjà très tendance de s’indigner.

Le défaut de M. Tout-le-monde, c’est qu’il ne vit que par le prisme de sa propre petite personne, sans aucune vision macroéconomique. Il aimerait que les marges de la grande distribution soient réduites mais s’émeut des plans de licenciement à Carrefour. Il aimerait qu’on lui propose un emploi sur un plateau d’argent mais refuse catégoriquement de changer de ville. Il est indigné par les privilèges, mais seulement ceux des autres. Il aimerait gagner plus, mais il ne comprend pas que les autres, eux, souhaitent aussi gagner plus. Il aime avoir un avis sur tout mais se rebiffe dès qu’il faut ouvrir un livre ou creuser le sujet. Il aime dire que les PDG sont incompétents mais peine à parler et écrire correctement et à éduquer ses ados. Il aime se poser en victime et ne resterait jamais au bureau après 18 heures mais aimerait occuper un poste prestigieux.

Avec de tels M. Tout-le-monde, qui nient la réalité du marché, qui ne savent que bouder, jalouser et s’indigner sans rien faire pour s’élever, les puissants auront toujours à essuyer les insultes du peuple mais avec des contradicteurs aussi pertinents, ils ont encore de beaux jours devant eux.


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