Président des riches, gouvernement des super riches

par Pierre-Yves Martin
lundi 5 mars 2018

La conclusion d'un article du site Atlantico m'a fait tiquer : « En revanche, en 2019, les nombreuses réformes (revalorisation de la prime d’activité, « flat-tax » sur les revenus du capital…) devraient porter leur fruit et avoir un effet bénéfique sur le portefeuille des Français. »

 

Vraiment ?

« des Français » ou « de certains Français » ?


Taxation des revenus du patrimoine

Cet aspect étant moins connu que la suppression de l'ISF, essayons de le préciser un peu.

Le tableau suivant résume l'impact des mesures en fonction des catégories de placement de l'INSEE. En fond jaune ce qui constitue globalement une baisse de la fiscalité et en fond rose ce qui correspond à une hausse de la pression fiscale. On notera qu'il est en général possible d'opter pour l'ancien système plutôt que pour le nouveau Prélèvement Fiscal Unique de 12,8 %, communément surnommé « flat tax », notamment pour ceux qu ne payent pas ou peu d'impôt sur les revenus. Ce n'est pas possible cependant dans le cas des nouveaux PEL.

 

Catégorie de placement

Principaux cas

Incidence du PFU sur la taxation des revenus et plus-values

Augmentation de la CSG

Livrets défiscalisés

 

Restent exonérés

Restent exonérés

Livrets soumis à l'impôt

 

12,8% au lieu de progressivité

1,70%

Épargne-logement

PEL de plus de 12 ans

12,8% au lieu de progressivité

1,70%

 

PEL en cours

Restent exonérés

1,70%

 

Nouveaux PEL

12,8 % au lieu de rien

1,70%

Assurance-vie

Versements antérieurs au 27/9/2017

Inchangé

1,70%

 

Versements postérieurs au 27/9/2017

Des gagnants immédiats. Des perdants à très long terme

1,70%

Épargne retraite

 

Restent exonérés

1,70%

Valeurs mobilières

Dividendes hors PEA

12,8% au lieu de progressivité

1,70%

 

Plus-values hors PEA

12,8% au lieu de progressivité  ; suppression des abattements pour durée de rétention (note 1)

1,70%

 

PEA

Restent exonérés

1,70% (note 2)

Épargne salariale

 

Restent exonérés

1,70%

Autres produits financiers

 

12,8% au lieu de progressivité

1,70%

1 Dans certains cas, assez rares, il est possible et préférable d'opter pour l'ancien système

2 La CSG est prélevée lors des retraits

 

Qui est concerné ?

Le second tableau résulte de calculs approchés à partir de données INSEE (2). Les tranches sont celles de la distribution des patrimoines bruts totaux (c'est-à-dire avec les biens immobiliers, certains biens professionnels, etc.) ; elles ne tiennent donc pas compte des revenus. Le tableau qui a servi de base à celui-ci distinguait 12 tranches ; pour plus de lisibilité, n'en figurent ici que 4 (2 déciles et 2 en centiles). Tous les chiffres sont des montants moyens par ménage, en Euros et arrondis.

 

 

Entre le 2e et le 3e déciles des patrimoines bruts

Entre le 7e et le 8e déciles des patrimoines bruts

Entre le 95e et le 99e centiles des patrimoines bruts

Supérieur au 99e centile des patrimoines bruts

Patrimoine brut total moyen

21 700

319 100

1 199 000

4 111 000

Dont

 

 

 

 

Comptes-chèques

1 560

4 470

16 790

32 890

Livrets défiscalisés

4 170

13 400

22 780

24 670

Livrets soumis à l'impôt

40

640

7 190

24 670

Épargne logement

1 350

5 100

13 190

16 440

Assurance-vie

1 410

14 360

109 110

608 430

Épargne retraite

300

1 600

11 990

32 890

Valeurs mobilières

170

2 870

41 970

587 870

Épargne salariale

300

2 870

9 590

20 560

Autres

70

1 000

10 790

94 550

 

Le rapprochement de ces deux tableaux permet quelques observations.

 

 

On possède quelques données sur le centile le plus élevé des patrimoines, ce qui correspond quand même à près de 300 000 ménages. On est en revanche dépourvus de tout élément permettant d'évaluer le gain pour les super riches.

 

Remplacement de l'ISF par l'IFI

Il est difficile de savoir exactement combien l'ISF, qui a été remplacé par l'IFI (impôt sur la fortune immobilière ) aurait rapporté en 2018. Dans le budget 2017, la recette prévue était de un peu moins de 5,4 milliards €.

Le budget 2018 prévoit pour l'IFI 1,818850 milliards €. La perte pour l'état en 2018 serait donc d'un peu moins de 3,6 milliards €, soit pile les deux tiers (66,17 %). C'est beaucoup plus que ce que laissent à entendre les discours officiels et la presse. Ce calcul pourrait en outre sous-estimer la perte réelle, car on aurait pu attendre un pourcentage nettement plus élevé sur la base des données statistiques connues, de la différence d'assiette et des règles applicables aux deux impôts.

 

L'ISF et l'IFI sont des impôts progressifs par tranches, avec notamment une tranche non imposable de 800 000 €. Si on avait voulu exclure certains placements et imposer les autres de la même façon qu'auparavant, il aurait fallu baisser fortement les limites des tranches. Ce n'est pas ce qui a été fait. Les limites des tranches, les règles d'abattement et de déduction de l'IFI 2018 sont les mêmes que celles de l'ISF 2017.

Ceci suffirait à mettre à mal l'argumentation du gouvernement selon laquelle il y aurait un patrimoine non vertueux, l'immobilier, et un patrimoine vertueux, car supposé favorable à l'investissement, tout le reste. De toute façon, cette argumentation est économiquement aberrante, au moins dans la situation actuelle de liquidités surabondantes.

 

En réalité, l'IFI n'a qu'un but, faire croire à l'opinion publique qu'on ne supprime pas l'ISF, ce qui favorisera 1,5 % des ménages et surtout quelques milliers de super riches, mais qu'on se contente de l'aménager.

 

Autres mesures

En application de la vieille recette politique du pâté de cheval et d'alouette, il y a deux mesures qui ne vont pas dans le même sens que les précédentes.

 

Revalorisation de la prime d’activité

En application d'une promesse de campagne de M. Macron, le gouvernement a annoncé une revalorisation de cette prestation de 20 Euros par mois et par bénéficiaire, à partir d'octobre 2018. Cette augmentation sera de l'ordre de 10 % et excédera donc largement l'inflation depuis début 2016. D'autres revalorisations du même ordre de grandeur sont annoncées pour les trois années suivantes, mais pas forcément avec les mêmes modalités.

Le coût total pour l'état serait de 1,2 milliards € en 5 ans, ce qui reste un montant modeste dont l' « effet bénéfique sur le portefeuille des Français » sera quand même fort limité !

 

Taxe d'habitation

Il s'agit aussi de l'application d'une promesse de campagne de M. Macron, promesse qui a certainement aidé à son élection. Mais, contrairement à la précédente, ce n'est pas un mesurette.

Il y environ 12 millions de ménages, sur un total d'un peu moins de 30 millions, qui sont déjà exonérés de la taxe d'habitation (seulement pour leur résidence principale, mais c'est anecdotique). La nouvelle exonération sera aussi soumise à des conditions de ressources. De l'ordre de 20 % des ménages seraient au-dessus de ces deuxièmes plafonds. Les résidences non principales ne sont pas non plus concernées.

Concrètement, il y aura trois réductions d’un tiers, à raison d'une par an.

Ceci entraînera certainement des hausses des taux d’impôts foncier. Car qui croit sérieusement au discours officiel selon lequel le manque à percevoir restera intégralement compensé aux collectivités locales ? A court terme, ce sera plus ou moins vrai, mais à moyen et long terme ?

Les bénéficiaires seront essentiellement les classes moyennes. Une fois n'est pas coutume, cela pèsera principalement sur les ménages très aisés. A noter cependant qu'il y a pas mal de personnes de revenus modestes, notamment des retraités, qui sont propriétaires de leur logement principal et déjà exonérées ; celles-ci subiront probablement des hausses d’impôts fonciers sans compensation.

 

Le débat

Lors de la discussion du budget, la question a été bien appréhendée par la gauche et le PS. Un appel de plus de 100 parlementaires, initié par Libération (3), disait notamment :

« La question posée est toujours la même : mais à quoi peut bien servir de signer un chèque aux Français les plus aisés de 4,5 milliards d’euros (c’est à dire le coût de la réforme de l’ISF et de l’introduction d’une « flat tax » de 30% sur les revenus du capital) ? Comme l’avait noté l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), « effectuer un chiffrage précis du coût de cette réforme et de son impact redistributif est rendu complexe du fait du manque criant de données relatives aux ménages les plus aisés ». »

 

La répartition des impôts directs a en effet été un des rares marqueurs vraiment de gauche, si ce n'est le seul, du quinquennat PS. La promesse de M. Hollande d'aligner la fiscalité du patrimoine sur celle du travail a été à peu près tenue. C'est ce sur quoi M. Macron et son gouvernement se sont empressés de faire plus que de revenir. M. Hollande avait aussi résisté aux appels à supprimer l'ISF. Cela s'explique d'ailleurs : avec les questions religieuses, la répartition des impôts directs est le seul domaine où la Commission de Bruxelles et les USA laissent une assez grande liberté aux états membres de l'U.E. et de l'OTAN (sauf à la Grèce, évidemment).

 

En réponse, une déclaration de M. Le Maire, ministre de l'Économie et des Finances, au Club de l'économie du Monde (4) a été parfaitement éclairante sur la dévotion de M. Macron et du gouvernement actuel aux intérêts des super riches.

« « Nous défendons l’allégement massif de la fiscalité du capital, (…) je le revendique haut et fort. (…) C’est la seule politique qui n’a pas été essayée en France (...)

 pas question de remettre en cause le secret fiscal (...) Nous allons rendre 400 millions d’euros aux 1 000 premiers contributeurs à l’ISF (…) ce n’est pas un solde net, il faut en déduire [l’]IFI qui sera maintenu »

 

On ne saurait être plus clair... ni plus illogique.

Moins d'argent pour des ménages modestes, c'est immédiatement moins d'achats qui font vivre l'économie locale : alimentation, vêtements, soins de la personne, travaux sur le logement, etc. Or les cadeaux aux riches et super-riches ont un coût. Ils sont financés par la pression fiscale : augmentation de la CSG, qui ampute essentiellement les retraites, taxes sur le gazole, bases absurdes mais toujours croissantes pour les taxes d'habitation et foncières, etc.

Au contraire, les riches et super-riches ne règlent pas leurs dépenses courantes, ni leurs donations ou dons, sur les variations de leurs comptes et portefeuilles. Une augmentation relative de leurs patrimoines profitera peu à l'économie locale ou nationale. Elle peut éventuellement contribuer à la hausse de l'immobilier (de moyenne gamme pour les riches « ordinaires », de luxe pour les super riches), voire au marché mondial de l'art, qui bat régulièrement ses propres records. Pour l'essentiel, elle nourrira les bourses mondiales, mais de façon insignifiante compte-tenu du faible poids relatif des Français, et augmentera marginalement le produit net bancaire des mastodontes de la finance, avec un peu de « ruissellement » sur des intermédiaires financiers à châteaux.

 

  1. Site Internet Atlantico Mercredi 28 Février 2018. « Nette baisse du moral des ménages en France. Merci qui (ou quoi) ? »

  2. https://www.insee.fr/fr/statistiques/2908159?sommaire=2908186

  3. Site Internet de Libération 17 octobre 2017 à 18:05 « Le gouvernement doit rendre public l'impact de ses mesures fiscales sur les Français les plus riches »

  4. Site Internet de Le Monde 18.10.2017 Mis à jour le 19.10.2017 Par Audrey Tonnelier « Bruno Le Maire revendique « haut et fort » l’allégement massif de la fiscalité du capital »


Lire l'article complet, et les commentaires