Protectionnisme et démondialisation. Que penser de l’action de Donald Trump ?

par xavier dupret
jeudi 29 mars 2018

A l’origine de ce texte, il sera fait référence à la récente décision du président Donald John Trump de mettre en oeuvre une politique commerciale sensiblement plus protectionniste que ses prédécesseurs de ce début de ce millénaire. La mesure dont il est ici question porte sur le commerce de l’acier et de l’aluminium des Etats-Unis avec l’extérieur.

Concrètement, elle consiste en une taxe douanière de 10% sur les importations d’aluminium et de 25% sur celles d’acier. Cette annonce figure parmi clairement parmi l’arsenal de menaces du gouvernement américain vis-à-vis de ses partenaires de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) qui, depuis 1994, œuvre à une élimination des frontières économiques entre les Etats-Unis, le Mexique et le Canada.

Prise de distance

Les pays partenaires de l’ALENA sont, en effet, épargnés par ces mesures. Rien ne dit qu’il en sera toujours ici dès lors qu’une renégociation de l’accord ALENA ne débouche pas sur le compromis souhaité par Washington. Il en va de même, à terme, pour ce qui est de l’Union européenne et du Japon.

Les nouvelles orientations trumpistes font débat aux Etats-Unis. Des voix s’y sont, en effet, exprimées pour contester les visées protectionnistes du président en faisant valoir que « les taxes sur l’acier ne vont pas résoudre le problème de fond, les coûts élevés de la sidérurgie américaine, qui a forcé les utilisateurs à chercher des importations moins chères »[1].

Le raisonnement des détracteurs de Trump repose sur l’hypothèse que la protection des emplois dans la sidérurgie et l’aluminium US se traduira par des pertes d’emplois plus nombreuses dans les secteurs qui consomment beaucoup de métaux, comme l’industrie automobile. Cette hypothèse pouvait paraître plausible jusqu’à ce qu’on apprenne que les Etats-Unis pourraient également menacer les importations de voitures européennes.

Le calcul est simple. Puisque l’acier US est plus coûteux que celui produit à l’extérieur, il faut pénaliser les importations de l’extérieur qui incorporent de l’acier moins coûteux. Dans ces conditions, la menace planant sur les importations d’automobiles européennes et japonaises n’a rien d’illogique.

Avant de pousser des cris d’orfraie sur cette berge de l’Atlantique, il faut savoir, à ce sujet, que les Etats-Unis imposent des tarifs douaniers de 2,5% sur les voitures assemblées en Europe alors que les véhicules montés aux Etats-Unis se voient frapper d’une taxe douanière de 10% à l’entrée sur le territoire de l'Union européenne[2]. Ces chiffres incitent à relativiser les critiques que Bruxelles ne manquera pas, à l’avenir, d’émettre au sujet des projets protectionnistes des Etats-Unis.

Pour le détail, on signalera que ce sont les voitures qui sont taxées à hauteur de 2,5% à l’entrée du territoire américain. Par contre, les camionnettes et les pickups sont frappés d’un droit d’entrée de 25%. On retiendra que l’Union européenne, en revanche, ne taxe les véhicules de type utilitaire qu’à raison de 14%. La production de véhicules utilitaires légers était, au cours de l’année 2016, de 1.851.812 unités dans l’Union européenne et de 7.995.684 unités aux Etats-Unis[3].

Pour les pickups, les compagnies dominantes aux Etats-Unis étaient les suivantes par ordre décroissant d’importance : General Motors, Ford, Dodge, Toyota, Nissan, Honda. On soulignera donc que 83% de la consommation de pickups aux Etats-Unis est couverte par des firmes locales avec comme leader General Motors et qu’on ne retrouve aucun constructeur européen parmi le Top 6 des ventes de pickups aux Etats-Unis.

Les préférences du consommateur américain pour de puissantes cylindrées expliquent sans doute cet état de choses. Or, jusqu’il y a peu, les producteurs européens étaient relativement absents de ce segment.

En outre, les pickups européens sont, la plupart du temps, des reconversions de véhicules japonais déjà existants quand ce ne sont pas des rebadgages de véhicules américains (comme c’est le cas de Fiat avec les modèles par Dodge aux Etats-Unis). Pour comparer le poids des mesures protectionnistes dans le secteur automobile, il est donc, vu les différences techniques entre véhicules fabriqués en Europe et aux Etats-Unis, davantage pertinent de centrer l’analyse sur les taxes frappant les véhicules particuliers[4] qui sont, contrairement aux pick ups, fabriqués des deux côtés de l’Atlantique.

On entendra également dans d’autres cénacles que l’action de Donald Trump risque de miner l’économie mondiale par excès de protectionnisme ? Que penser de cet argument ?

Donald Trump sera-t-il, au contraire, l’homme de la démondialisation heureuse ? Tentons de faire le point.

L’économie américaine, dit-on à droite, connaîtrait un de ses plus longs cycles de croissance depuis 1854. Il s’agirait même du deuxième cycle de croissance le plus long dans l’histoire du pays (111 mois contre 120 mois pour la période 1991-2001)[5]. Sans vouloir jouer les prophètes de malheur, il y a beaucoup à redire sur cette dynamique.

Tout d’abord, ce cycle de croissance est le plus faible qui ait été enregistré depuis 1945 (2,2%). En cas de recul de l’économie qui, c’est la logique même des choses, finira bien par se produire, cela signifie que bien peu de réserves auront été accumulées pour faire face aux rigueurs de l’hiver à venir. Il s’agit, au demeurant, de la situation inverse du retournement de cycle qui s’est produit après la période d’euphorie des années 1990. A l’époque, le PIB US a crû en moyenne de près de 3,85% en moyenne annuelle durant une décennie[6].

Or, la décélération qui a suivi cette période d’expansion a été modérée avec un taux de croissance annuel moyen de l’ordre de 1,4% pour les années 2001 et 2002. A l’opposé, la récession de 2007-2009 (le plus grave depuis 1945) s’est produite après un cycle de croissance modeste (2,8% en moyenne à partir du printemps 2001).

Lorsque l’économie des Etats-Unis commencera à battre de l’aile et fragilisera la petite reprise mondiale que nous connaissons depuis deux ans, l’establishment des deux côtés de l’Atlantique pointera du doigt le protectionnisme de Donald Trump. Ce discours sera basé sur une lecture critique des politiques commerciales qui ont existé dans les années 1930. De doctes experts font, en effet, valoir que la loi Smoot-Hawley de 1930 aux Etats-Unis, qui revoyait les droits de douane de l’Oncle Sam à la hausse, avait approfondi la crise en déclenchant d’autres fermetures protectionnistes en retour. C’est ainsi que « le protectionnisme des années 1930, comme réponse à la dépression, est ainsi devenu une référence incontournable de tout discours relatif au libre-échange »[7]. Pourtant, ce point fondamental de la doxa libre-échangiste, qui s’est imposé parmi les plus grands noms de l’analyse économique (même des économistes plutôt progressistes[8]), n’est pas aussi indiscutable qu’il n’y paraît.

Au contraire, des courants plus hétérodoxes entrevoient d’un autre œil la causalité susceptible d’exister entre baisse de l’activité économique au niveau mondial et promotion des mesures protectionnistes. Pour ces courants dont la figure de proue côté francophone est indiscutablement Jacques Sapir, c’est, au contraire, l’évolution à la baisse des taux de croissance qui amène chaque pays à essayer de se sauver en ayant recours à l’arme protectionniste, c’est-à-dire en essayant de couvrir une gamme plus large de productions que celles pour lesquelles il s’est spécialisé en fonction de ses avantages comparatifs[9].

Dans cette optique, le protectionnisme ne constitue pas précisément un étouffoir à croissance. Au contraire, il favorise l’extension géographique ainsi que la diversification de la production et donc stimule la production.

L’histoire d’un pays comme l’Allemagne le démontre amplement. Ce pays, largement en retard du point de vue de son industrialisation, a, au cours du XIXème siècle, comblé son handicap en ayant recours à une politique protectionniste qui lui a permis de développer ses industries naissantes.

Désindustrialisation

On parle à ce sujet de protectionnisme éducatif. L’objectif de ce dernier vise à donner du temps aux entreprises nationales et de les « éduquer » à produire de façon à rattraper leur retard en matière de productivité et d’économies d’échelle.

L’enjeu consiste à améliorer la compétitivité prix et hors prix (qualité) des productions nationales. Au cours du XXème siècle, des pays comme le Japon ou la Corée du Sud ont adopté des politiques similaires pour atteindre le niveau de développement que l’on connaît aujourd’hui[10].

Nous verrons dans la suite de ce texte que la situation des Etats-Unis au XXIème siècle diffère profondément de ces cas de figures. La réalité socioéconomique des Etats-Unis aujourd’hui renvoie à un constat de profonde désindustrialisation.

En 2015, l’industrie représentait un peu plus de 20% du Produit Intérieur brut (PIB) de l’Oncle Sam. C’est nettement moins que tous ses grands partenaires au sein du G7, le groupe des 7 nations occidentales les plus développées, à l’exception notable, comme nous allons le voir, de la France et du Royaume-Uni.

L’industrie US pèse donc pour 20% du PIB de ce pays. Il s’agit globalement du même niveau que les grands pays européens (France et Royaume-Uni) placés en périphérie de l’Allemagne qui reste un poids lourd industriel (30,5% de son PIB) à l’échelle mondiale comme le Canada et le Japon, deux pays où l’industrie représente près de 29% du PIB. En tout état de cause, les Etats-Unis, aujourd’hui, semblent redéployer leurs politiques économiques en préconisant une sorte de « protectionnisme rééducatif » à visée réindustrialisatrice.

Quel impact peut-on anticiper pour une telle (ré)orientation ? Procédons par ordre et commençons par examiner le risque de récession que l’establishment attribue aux projets de Trump.

A la faveur de l’actuelle embellie, toute relative par ailleurs, de l’économie mondiale, on commence à voir çà et là les propos optimistes se multiplier. Le relèvement des taux d’intérêt par la Fed (Federal Reserve, la banque centrale des Etats-Unis) conduit fort logiquement, c’est même le but de la manœuvre, à une augmentation des taux d’intérêt à court terme sur le marché des capitaux US. La chose est, répétons-le, logique puisque les banques privées US se financent entre elles à partir des taux directeurs déterminés par la Fed. En revanche, le niveau des taux à long terme est déterminé par le volume d’activités des marchés et, de ce fait, reflètent les anticipations des acteurs privés pour ce qui est des niveaux de croissance et d’inflation.

Voilà pourquoi classiquement on considère que lorsque le niveau des taux d’intérêts à long terme est supérieur à celui des taux à court terme, une récession s’approche. Or, on constate que le différentiel entre les taux d’intérêt à long terme et ceux à court terme a eu tendance à se réduire ces derniers mois[11]. Si l’on couple à cette donnée, le fait que le déficit budgétaire des Etats-Unis tend à s’approfondir depuis 2015, alors que Barack Obama, était aux commandes, on ne peut que se montrer circonspect quant à la poursuite de l’actuelle période de croissance.

On peut, d’ailleurs, constater que depuis 1970, les Etats-Unis n’ont connu que quatre années de surplus budgétaire (1998, 1999, 2000 et 2001). Partant du principe que le financement de ce déficit se fait en ayant recours à l’épargne intérieure (ou, si cette dernière fait défaut, à l’endettement), on ne considérera pas comme anodine l’information suivante. Le taux d’épargne brute s’est remis à baisser aux Etats-Unis depuis 2015. Il se situe dorénavant aux alentours de 16,9%[12]. C’est l’un des plus bas pour ce qui est des grandes nations industrialisées.

L’actuel resserrement des taux d’intérêt vise à répondre à ce double défi (financer un déficit sans disposer d’épargne intérieure) en attirant les capitaux via une augmentation de la rémunération de ces derniers. L’idée que des considérations de finances publiques soient aujourd’hui au centre des politiques monétaires US ne constitue pas une hypothèse déplacée dans la mesure où les allégements fiscaux décidés récemment par l’administration Trump creuseront le déficit d’environ 1.000 milliards de dollars sur 10 ans[13].

Déjà, des voix s’élèvent au sein des autorités monétaires américaines pour faire valoir que le cycle d’augmentation des taux à court terme devrait s’effectuer avec prudence, sous peine de brider la croissance du pays[14]. Ce d’autant que la croissance dans les principales économies mondiales semble avoir marqué le pas au cours du premier trimestre de cette année.

Notons également que cette décélération de la croissance des grands pays industrialisés est antérieure aux décisions protectionnistes de la présidence Trump. En tout état de cause, l’augmentation des taux d’intérêt, alors que la croissance vacille, n’incite guère à l’optimisme à moyen terme.

Le protectionnisme, c’est tendance ?

La montée du protectionnisme sur le plan mondial n’a pas non plus commencé avec Donald Trump. « 22 nouvelles mesures restrictives pour le commerce par mois ont été prises par les Membres de l’OMC pendant la période à l’examen, qui va de mi-octobre 2015 à mi-mai 2016. Cela constitue une augmentation importante par rapport à la période précédente, où cette moyenne avait été de 15 mesures par mois. Il s’agit aussi de la moyenne mensuelle la plus élevée depuis 2011 »[15].

On remarquera, d'ailleus, que les mesures de type protectionniste ont connu une première vague d’augmentation entre 2009 et 2011. En deux ans, alors que la grande récession venait de laminer les taux de croissance dans le monde à partir de 2009, le nombre de mesures protectionnistes a considérablement augmenté. Du côté de la croissance, on a pu constater une amélioration. Le protectionnisme n’a clairement pas, à cette époque, approfondi l’ampleur de la récession. L’amélioration des perspectives économiques mondiales à partir de 2012 a ensuite conduit à un relâchement des mesures protectionnistes alors que la morosité des années 2014-2015 a conduit à un nouveau regain de protectionnisme. Les mesures restrictives adoptées étaient, à l’époque, presque aussi nombreuses qu’en 2011 (20 contre 23). Au cours de l’année 2017, l’amélioration de la conjoncture économique conduit à une diminution des dispositions de type protectionniste.

« Pendant la période d'octobre 2016 à octobre 2017, 108 mesures restrictives pour le commerce ont été mises en place comme l'introduction ou l'augmentation de droits de douanes, ou des restrictions quantitatives. Cela correspond à une moyenne de 9 mesures par mois contre 15 durant la période précédente. En parallèle, les membres de l'OMC ont également mis en œuvre 128 mesures visant à faciliter les échanges y compris la suppression ou la réduction des droits de douane. Au final, les membres de l'OMC continuent de prendre plus de mesures de facilitation des échanges que de mesures restrictives pour le commerce, une tendance observée depuis quatre ans ».[16]

Au total, les périodes maussades semblent favorables à l’installation de mesures protectionnistes tandis que les épisodes d’embellie économique profitent davantage aux pratiques libre-échangistes. En d’autres termes, ce n’est pas le libre-échange qui favorise la croissance mais plutôt l’inverse. Dans ces conditions, le réveil du protectionnisme au sein de l’administration Trump pourrait relever tout aussi bien de l’anticipation d’une décélération de la croissance que d’une position opportuniste (ces deux hypothèses ne sont, d’ailleurs, pas mutuellement exclusives). On notera que c’est cette seconde hypothèse qui a plutôt alimenté les commentaires des « spécialistes ».

Empire du Milieu

Il est vrai qu’il ne faut jurer de rien tant la présidence de Donald Trump semble procéder par vagues chaotiques de va-et-vient. C’est ainsi qu’après avoir affiché, la main sur le Colt Police Special, de bien mâles intentions face à l’Union européenne, l’administration Trump semblait adopter une posture de négociation puisqu’elle se déclarait in fine prêt à abandonner le projet de taxation des voitures européennes si les Européens renonçaient à taxer leurs importations en provenance des Etats-Unis.

En tout état de cause, la riposte initiale de l’Europe semblait bien faible comme si l’hypothèse d’une posture de négociation dans le chef du président américain semblait la seule piste qui valait, en fin de compte, la peine d’être évoquée. Les produits initialement ciblés par les autorités européennes ressortissaient davantage à un inventaire à la Prévert qu’à un réel plan de contre-attaque. A vrai dire, cette liste comportait surtout des produits à faible valeur ajoutée (donc ne présentant pas spécialement un caractère de priorité stratégique pour le commerce extérieur américain) comme les t-shirts, les jeans, les haricots et le maïs. La liste des produits manufacturés visés par la Commission européenne s’avérait, en fait, bien maigre. On retrouvait pêle-mêle des portes, des fenêtres et même des couverts. Rien, au final, de bien impressionnant.

Certes, les motos d'une cylindrée supérieure à 500 cm3 (en clair, les motos Harley Davidson) et les bateaux à moteur étaient également ciblées[17]. Là encore, les répercussions sur le commerce extérieur américain étaient tous sauf évidentes. Il s’agit, en effet, de produits statutaires destinés à une frange de la clientèle moins sensible à des hausses de prix résultant de taxes d’importation.

Peu importe que l’on s’en félicite ou non, le fait est que l’Europe n’a jamais eu l’intention de déclencher une guerre commerciale contre les Etats-Unis. Si un phénomène de démondialisation doit, à l’avenir, se produire, il ne commencera pas de ce côté-ci de l’Atlantique.

Qu’en est-il du Japon et de la Chine ? Le marché intérieur automobile japonais dans un processus de marchandage avec Tokyo et le secteur chinois des télécommunications et des technologies liées à l’électronique seraient, pour l’heure, ciblés par l’administration Trump[18]. Là encore, il est difficile de déterminer avec précision si les positions de Washington tiennent de la posture de négociation avec Pékin ou traduisent, au contraire, une réelle volonté protectionniste.

Si le Japon et l’Australie, de vieux alliés de Washington dans la région, plient l’échine devant les exercices de musculation de Washington, il n’en va pas de même pour la Chine qui serait, d’après la presse asiatique, prête à mettre en œuvre des mesures de rétorsion. Lors d’une précédente bataille commerciale qui remonte à 1982, le sénateur Jesse Helms avait tenté de convaincre le Congrès d’imposer des barrières tarifaires à l’entrée de textile « Made in China » aux Etats-Unis. A l’époque, la diplomatie chinoise avait réussi à convaincre le sénateur Bob Dole, représentant de l’Etat agricole du Kansas, que si ces mesures passaient, Pékin cesserait d’importer du blé en provenance des Etats-Unis. Le projet de taxes sur le textile chinois avait été abandonné aussitôt ces menaces proférées[19].

En cas de montée au créneau de Pékin, on peut anticiper que le secteur agricole US souffrira. Lorsque Barack Obama imposait, en 2009, une taxe de 35% à l’importation de pneus fabriqués en Chine, il dut faire face à une mesure de rétorsion qui portait sur les importations de poulet entraînant une perte nette d’un milliard de dollars entre 2009 et 2011 pour l’aviculture des Etats-Unis[20]. A la fin du conflit, il est apparu que les producteurs américains de pneus n’ont jamais bénéficié de cette mesure qui a surtout permis de favoriser les exportations sud-coréennes de pneus vers les Etats-Unis. La Corée du Sud avait, un an plus tôt, fortement dévalué le won, sa devise nationale.

Ce n’est pas tout. Les commandes d’avions auprès de Boeing et la filière du soja (10% du montant des exportations états-uniennes vers la Chine) pourraient également être pénalisées par Pékin[21].

Si le ton devait monter avec Pékin, on peut augurer, à coup sûr, d’une guerre commerciale entre Pékin et Washington. Rien n’est, d’ailleurs, acquis en la matière tant que les négociations en coulisse se multiplient entre la Chine et les Etats-Unis dans le but de démanteler… les barrières protectionnistes côté chinois[22]. Dès lors, on évitera de voir en Donald Trump le président de la démondialisation.

Démondialisation et trumpisme

Commençons par un point d’éclaircissement. La démondialisation désigne l’étape actuelle de développement du capitalisme depuis la crise de 2008. Le faible niveau de croissance du commerce mondial qui progresse désormais moins vite que le PIB mondial ainsi que le tarissement des flux bancaires transfrontaliers (en ce compris à l’intérieur de la zone euro) doivent nous conduire au constat que la mondialisation est aujourd’hui en panne.

De ce point de vue, Donald Trump, disons-le tout net, n’a rien d’un grand réformateur. Il ne sera pas l’homme de la démondialisation. Pourquoi ?

Trump, vu la faiblesse de l’épargne intérieure américaine et l’existence dans ce pays de déficits jumeaux (commerce international et déficit public), est contraint et forcé de miser sur la libre circulation des capitaux et de défendre le statut central du dollar dans l’économie mondiale. Ce faisant, Trump n’entend surtout pas rompre avec le volet financier de la mondialisation. Bien au contraire, il s’est fait le chantre de la déréglementation financière. Soit dit en passant, cette dérégulation risque de poser les fondements d’une prochaine crise financière.

Du point de vue des grands acteurs (donc clairement pas la Belgique) concernés par la démondialisation, on pointera, en guise de conclusion, le rôle, en définitive, central de la Chine dans le processus en cours. La mondialisation commerciale est, d’ores et déjà, aujourd’hui en berne du fait que la Chine produit davantage de composants industriels qu’elle importait autrefois. Au fur et à mesure de la montée en gamme de l’économie chinoise, on peut raisonnablement supposer que la pression à la baisse sur le commerce mondial va aller s’accentuant[23].

Ce faisant, les tensions entre la Chine et les Etats-Unis sont, d’un point de vue structurel, susceptibles de se multiplier. En effet, l’isolationnisme d’une Amérique en crise traduit concrètement la vacance de la fonction hégémonique au sein du système contemporain des relations internationales. En face des Etats-Unis, il y a le couple sino-russe. La lutte pour le partage de l’hégémonie ne fait donc, en réalité, que commencer. De surcroît, si les négociations commerciales sino-américaines devaient échouer, des mesures protectionnistes finiraient inévitablement par frapper le Vieux Continent dans la mesure où l’Oncle Sam souffre d’un déficit commercial structurel avec l’Europe, et ce alors que le fond de l’air est à la montée du protectionnisme, comme en témoignent « les 7.000 mesures de protection adoptées par les 60 plus grandes économies du monde depuis l’éclatement de la crise financière, il y a dix ans » [24].

L’économiste et historien américain Charles Kindlerberger[25] avait repéré dans une crise similaire de l’hégémonie au lendemain de la Première Guerre mondiale les causes de la grande crise des années 1930 et de la déflagration qui s’en est suivie. Faute de partage de l’hégémonie dans le cadre d’un monde multipolaire, on peut légitimement craindre que les mêmes causes produisent, à moyen terme, les mêmes effets.

Il est à souhaiter que les conseillers de Donald Trump aient eu l’occasion de méditer les précieux enseignements de Kindlerberger. Sinon…

 

[1] La Libre Belgique, samedi 3 et dimanche 4 mars 2018.

[2] L’Usine Nouvelle, édition mise en ligne le 4 mars 2018.

[3] International Organization of Motor Vehicle Manufacturers, mars 2018.

[4] On statuera, en définitive, que les taxes frappant les véhicules de type pickup concernent davantage le Japon que l’Europe. Les comparaisons dressées par les libre-échangistes européens, lorsqu’elles intègrent le marché des pickups, ne tiennent, que l’on nous pardonne ce jeu de mots, pas la route. N’en déplaise au journal parlé de Bel RTL dans son édition du 13 mars 2018. Lorsque des débats font rage en matière de commerce international, la propagande n’est jamais loin et il faut pouvoir e distancier de cette dernière. C’est sans doute trop demander à RTL.

[5] National Bureau of Economic Research (NBER), base de données et calculs propres, 2 mars 2018.

[6] Banque mondiale, base de données et calculs propres, 2 mars 2018.

[7] Siroën, J-M, Crise économique, globalisation et protectionnisme in Politique étrangère, 2012/4 (Hiver), p. 803-817.

[8] Lire à ce sujet Krugman, P et Obstfeld, M, Economie internationale (4e édition), Ed. De Boeck, Bruxelles, 2003.

[9] Lire à ce sujet Sapir, J, La Démondialisation, Seuil, Paris, 2011.

[10] Lire à ce sujet Chang H-J, Bad Samaritans : The Myth of Free Trade and the Secret History of Capitalism, Bloomsburry, London, 2008.

[11] Financial Times, édition mise en ligne du 28 mars 2018

[12] Banque Mondiale, mars 2018.

[13] Joint Committee on Taxation, Macroeconomic Analysis Of The Conference Agreement For H.R. 1, The "Tax Cuts And Jobs Act, 22 décembre 2017.

[14] Wall Street Journal, 1er décembre 2017.

[15] OMC, rapport sur l’évolution du commerce, 2016.

[16] La Tribune, édition mise en ligne du 8 décembre 2017

[17] Le Figaro, édition mise en ligne du 8 mars 2018.

[18] Washington Post, édition mise en ligne le 14 mars 2018.

[19] The Straits Times, édition mise en ligne le 15 février 2018.

[20] South China Morning Post, édition mise en ligne le 2 mars 2018.

[21] Setser B.W., Chicken Feet and China : Back to The Future, Council on Foreign Relations, 24 janvier 2017 [en ligne], Url : https://www.cfr.org/blog/chicken-feet-and-china-back-future, date de consultation : 15 mars 2018.

[22] Wall Street Journal, 20 mars 2018.

[23] Carton, M, Jazaerli, S, Et la Chine s’est réveillée. La montée en gamme de l’économie chinoise, Transavalor, Paris, 2015.

[24] The Guardian, édition mise en ligne le 18 mars 2018.

[25] Kindleberger C.P., The World in Depression. 1929-1939, University of California Press, Berkeley, 1973.


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