Protectionnisme, mercantilisme : ça n’est pas (forcément) la même chose !

par samuel_
lundi 18 avril 2011

 On confond souvent protectionnisme et mercantilisme. Le mercantilisme étant une attitude agressive, ou repliée vis-à-vis du reste du monde, on attribue alors ces traits de caractère déplaisants au protectionnisme. « Le protectionnisme, c'est la guerre », dit-on souvent. Il est vrai que le mercantilisme peut être vu comme une sorte de protectionnisme. Mais le protectionnisme n'est pas forcément du mercantilisme, c'est à dire qu'il peut n'être animé, ni d'agressivité, ni de méfiance excessive vis-à-vis du reste du monde.

 Le protectionnisme est l'attitude d'un État, qui favorise ses productions locales par rapport aux productions étrangères, en agissant sur autre chose que sur le coût local du travail, la qualification de la main d'œuvre locale, ou la qualité des équipements locaux ou des méthodes locales de production. On parle de protectionnisme douanier si les instruments utilisés par l'État sont des quotas de biens exportés ou importés, des droits de douane sur les biens importés, ou des subventions aux exportations. On parle de protectionnisme monétaire si l'État agit pour dévaluer sa monnaie par rapport aux autres monnaies, au lieu de la laisser prendre la valeur que lui donnerait le marché.

 Par exemple, la Chine agit aujourd'hui pour maintenir la valeur de son yuan, en dessous de celle que lui donnerait la seule action du marché. Et l'Allemagne a récemment eu recours à la TVA sociale, qui est une mesure équivalente à une augmentation des droits de douane et des subventions aux exportations. De plus, grâce à l'euro, l'Allemagne bénéficie du fait que le marché ne peut plus comme avant, ajuster la valeur des monnaies des autres pays de la zone euro, par rapport à son mark.

 Le mercantilisme est une attitude qui existait déjà au XVIème siècle en Europe. On peut voir cette attitude comme une sorte de protectionnisme, animé d'une intention particulière. C'est le protectionnisme d'un État qui cherche par ce moyen, à vendre plus de biens qu'il en achète au reste du monde, ou qui cherche à ne pas trop lui acheter de biens, quand bien même il pourrait lui en vendre autant. Le mercantilisme est donc une attitude agressive, ou bien repliée vis-à-vis du reste du monde. Agressive par un refus d'une réciprocité de l'échange commercial, ou par un refus de s'engager avec des armes égales dans la concurrence avec le reste du monde. Repliée lorsqu'elle est celle d'un État qui ne veut pas trop d'échange commercial quel qu'il soit, ou pas trop de concurrence avec le reste du monde quelle qu'elle soit. Les États qui adoptent une attitude mercantiliste, font cela pour préserver ou accumuler des réserves de change ("la richesse du Prince"), ou pour préserver ou agrandir leur appareil productif ("la puissance économique du Royaume").

 Au moins en partie grâce à leurs attitudes protectionnistes, la Chine et l'Allemagne font de très importants excédents commerciaux. On peut donc dire que la Chine et l'Allemagne sont deux grands États mercantilistes d'aujourd'hui, assurément pour ce qui concerne la Chine, et avec plus de doutes pour ce qui concerne l'Allemagne. Il est vrai en effet que l'Allemagne fait plus de la moitié de son excédent avec les autres pays de la zone euro, et peut-être que c'est plus grâce à l'euro, que grâce à la TVA sociale, qu'elle fait cet excédent. Mais il est vrai aussi que l'Allemagne, en exerçant une pression à la baisse sur le cout du travail sur son territoire, par la TVA sociale et par d'autres moyens, a nui à la compétitivité des autres pays de la zone euro par rapport à elle, sans que ces autres pays puissent voir le marché ajuster les valeurs de leurs monnaies respectives par rapport au mark. Et la pression à la baisse sur les salaires allemands a en plus réduit la demande des consommateurs allemands, qui aurait pu être une source de croissance pour les autres pays de la zone euro.

 Contrairement au mercantilisme, le protectionnisme qu'appellent de leurs vœux de nombreux économistes et dirigeants politiques français d'aujourd'hui, n'est pas animé d'agressivité ou de méfiance excessive vis-à-vis du reste du monde. Il n'est pas motivé par un refus de l'échange commercial réciproque, ou par une hostilité à trop d'échange commercial quel qu'il soit, mais par un refus de l'échange commercial non réciproque. Il n'est pas motivé par un refus de la concurrence à armes égales, ou par une hostilité à trop de concurrence quelle qu'elle soit, mais par un refus de la concurrence sur le cout du travail, qu'on peut considérer comme une concurrence à armes inégales.

 Non seulement la non-réciprocité de l'échange commercial dégrade l'appareil productif de la France, qui est pourtant à long terme le seul fondement de sa prospérité et de sa puissance. Non seulement encore, cette concurrence sur le cout du travail est une source importante de chômage, et exerce une pression à la baisse sur les salaires et les dépenses de l'Etat. Mais en plus, le fait que des entreprises localisées dans les pays émergents, puissent concurrencer les entreprises de France en utilisant l'arme d'un plus bas coût du travail dans ces pays, les dispense d'être concurrentielles par leurs innovations, par la qualité des biens qu'elles produisent, ou par l'efficacité de leurs processus de production (et ce suffisamment pour compenser le handicap qui leur vient du coût, quand même assez faible aujourd'hui, du transport des biens qu'elles produisent vers la France). Quant aux entreprises de France, elles savent que même en déployant toute la créativité, tout le soin, toute la rationalité du monde, leur effort pour lutter contre des entreprises pouvant payer le travail beaucoup moins cher qu'en France, est très probablement voué à l'échec.


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