Protectionnisme, relocalisation et décroissance
par olivier bouly
samedi 11 avril 2009
Au
coeur du projet d’une société de décroissance, il y a la relocalisation
: la relocalisation des moyens d’existence, du pouvoir politique, des
liens sociaux etc.
Pourquoi se réjouir du retour des théories protectionnistes ? Le protectionnisme a-t-il quelque chose à voir
avec la relocalisation ? Peut-il être une solution écologique ? Comment
peut-il être utile comme phase de transition vers une société de
décroissance ?
Que de nombreux articles y fassent référence, que le numéro de mars du Monde Diplomatique lui ait consacré un dossier, n’est pas étonnant : à l’heure de la crise, à l’heure des plans de relance et autres projets de moralisation du capitalisme, à l’heure du G-vain londonien, on a vu ressurgir les théories protectionnistes.
Les tenants de la dérégularisation des marchés, du libre-échange, de la déterritorialisation des productions n’imaginaient pas voir leur retour. Quoi, il y aurait encore des ouvrages, vantant le protectionnisme, en circulation ? Tous n’auraient pas subi les foudres des pompiers de Ray Bradbury ?
Pourquoi se réjouir du retour de ces théories protectionnismes ?
Au coeur du projet d’une société de décroissance, il y a la relocalisation : la relocalisation des moyens d’existence, du pouvoir politique, des liens sociaux etc. Mais, ce protectionnisme a-t-il quelque chose à voir avec la relocalisation ? Peut-il être une solution écologique ? Comment peut-il être utile comme phase de transition vers une société de décroissance ?
Un protectionnisme au service de qui et de quoi ?
Entendons-nous sur le terme : le protectionnisme est une politique économique selon laquelle un état, ou un groupe d’états, interviennent dans l’économie pour protéger leurs entreprises et aider leurs produits, par la mise en place de politiques d’achats publics, de barrières douanières, de subventions (à l’exportation, aux producteurs, aux acheteurs), de normes sanitaires ou techniques, de dumping (fiscal ou social) etc. En gros, les entreprises sont (en partie) protégées de la concurrence, les emplois ne sont pas menacés et les salaires ne plongent pas vers le bas.
Si le protectionnisme n’est qu’une rustine pour éviter le naufrage du néo-libéralisme, il n’a aucun intérêt.
S’il n’est qu’un mauvais moment à passer (pour certains, cela va de soi) en attendant la reprise des hostilités de l’horreur économique, il n’a pas plus d’intérêt.
S’il est une barrière qui protège les salariés, changerait-il pour autant le système actuel, aliénant et productiviste ?
Non, parce qu’il se pense toujours dans une société de croissance économique.
Est-ce à dire que le protectionnisme serait tout à fait inutile ?
Non, si on l’utilise comme un outil de transition au service d’une relocalisation désormais nécessaire de l’économie.
Redéfinir le protectionnisme
Mais de quel protectionnisme parlerait-on ? D’un protectionnisme écologique et social qui, pour se définir, tiendrait compte des dégâts sociaux et environnementaux dont le capitalisme est responsable : en clair, un protectionnisme interdisant à la fois l’importation de produits dont la production pourrait être assurée localement (au niveau géographique et non au niveau des frontières nationales si bien sûr il n’y a plus de politique de dumping social ou écologique entre les états voisins), et l’exportation de produits qui entraîneraient des suppressions d’emplois dans les pays d’exportation ou des pollutions.
François Ruffin dans un article du Monde Diplo auquel je faisais référence au début de cet article, fait cette remarque : « L’hypothèse [mettre davantage de barrières douanières] semble riche d’un protectionnisme moins défensif (industriellement) qu’offensif (socialement, écologiquement). Dirigé non pas contre des pays étrangers (du Sud, d’Asie, etc.), mais contre nos entreprises occidentales. Qui rebâtisse un espace où le politique reprend la main sur l’économie... »
N’est-ce pas à un dépassement de la vision traditionnelle du protectionnisme qu’il en appelle ?
Ainsi, un protectionnisme adapté pourrait permettre un changement structurelle de l’économie et une réorientation progressive de sa production, en se fondant notamment sur des petites entités artisanales et coopératives.
Il s’agit de maîtriser les échanges, de réduire et non pas d’interdire les importations. Pour cela Yves Cochet proposait que chaque territoire procède à un inventaire de ce qu’il importe, analyse ce qu’il peut raisonnablement produire, établisse un calendrier de transition pendant laquelle l’importation des biens visés sera plus chère et, encourage investisseurs et producteurs à entreprendre les productions locales (revue Entropia, n°1, automne 2006).
Relocaliser pour refonder le local
Entendons-nous à nouveau sur les termes : la relocalisation économique désigne un changement d’implantation géographique de tout ou partie des activités d’une entreprise, qui a pour objectif de rapprocher les lieux de production de ceux de consommation. Elle peut aussi être définie comme le retour dans un pays développé d’une activité qui avait précédemment été délocalisée dans un pays en développement.
« La stratégie de la renaissance local, écrit S. Latouche dans Le pari de la décroissance, ne consiste pas à construire et à préserver une oasis dans le désert du marché mondial », mais bien à créer une société autonome.
La relocalisation servira à construire l’après-capitalisme. Précisons qu’elle ne concerne pas uniquement le terrain économique, mais surtout les terrains politiques et culturels. Relocaliser, c’est bien sûr produire, transformer, distribuer et consommer localement. Mais cela doit aller bien au-delà : c’est la vie tout court qui doit être reterritorialisée.
C’est à la fois une nécessité et une évidence, parce qu’avec la raréfaction à venir du pétrole, les coûts de transport, qui devraient devenir beaucoup plus importants, conduiront à des relocalisations.
Cette refondation du local n’est nullement synonyme de repli sur soi ou de repli identitaire
« L’écorégion favorise les échanges internes mais ne s’interdit pas les partenariats », écrit Nicolas Ridoux dans La Décroissance pour tous. Qui en effet, pourrait croire qu’une région pourrait se suffire à elle-même, que chaque région du monde serait suffisamment dotée pour se passer de tout échange avec ses voisines ?
Vers l’autogouvernement
Ne proposer qu’un (re)développement local ne servirait à rien, si le territoire est à l’abandon, c’est-à-dire sans biens communs publics, et si ce territoire n’est plus qu’un espace à gérer au service du capitalisme, « des territoires sans pouvoir à la merci de pouvoirs sans territoire », comme l’écrit S. Latouche.
Favoriser la production locale, c’est poser la question de son utilité réelle, une utilité autre que la rentabilité ; c’est également réintroduire les questions de l’autonomie et de l’autoproduction.
Ces questions doivent être posées et débattues démocratiquement.
Revivifier la démocratie locale, c’est ce qu’on peut attendre de la relocatisation, tout comme on peut espérer : réduire les pollutions (moins de transport ; produire ce qui est juste nécessaire et le faire sans détruire ; traitement des déchets sur place et pas chez le voisin) ; refonder les solidarités locales (mise en place des circuits entre producteurs et consommateur) ; retrouver une autonomie (souveraineté alimentaire, autoproduction énergétique, etc.) ; se réapproprier les outils de production (autogestion) ; retrouver des savoirs-faire et des emplois diversifiés : la mondialisation néo-libérale a détruit les possibilités d’une société autonome par l’hyperspécialisation et le productivisme.
Il est plus qu’urgent que les citoyens prennent enfin le pouvoir politique pour débattre et organiser cette production qui répondrait à leurs besoins, et... construire une société équitable socialement et soutenable écologiquement.