Quand la merde monte...

par Monolecte
jeudi 2 avril 2009

Ils n’ont toujours pas honte, pas honte...

Ha ! au fait, c’est la crise ! Si, si, je vous jure ! Même que ça passe à la télé. En boucle. D’ailleurs, si c’est à la télé, c’est que c’est vrai. Dans les journaux, on n’est jamais sûr, avec tous ces copains et coquins de journaleux, mais à la télé, il y a des visages qui portent les mots et des regards bien droits, bien francs, bien assurés, qui traversent le salon, escaladent le plateau-repas et se vissent directement dans notre rétine. Les mêmes pupilles hypnotiques qui soulignaient il y a encore bien peu que tout allait bien dans le meilleur des mondes, les mêmes voix posées qui prédisent aujourd’hui, tranquillement, la fin de la zone de turbulences, avec encore plus d’aplomb et de douceur qu’une annonce sur un long courrier d’Air France.

Parce que c’est ça une crise : une série de remous bordéliques avec un début et une fin. Ensuite, tout rentre dans l’ordre et les cochons seront bien gardés. Il suffit de serrer les dents un petit moment, la ceinture aussi, et ça devrait finir par passer, comme une mauvaise lampée d’huile de foie de morue.

Sauf que...



Comme le décrit avec une belle précision l’ami Patrick des Suiveur(s) de Choses, la fameuse crise n’a rien d’un gentil rouleau compresseur qui nivellerait gaiement le tissu social comme une belle bande bitume tiède. Elle est sélective, la bougresse ! Elle n’a d’ailleurs pas le même début, selon la place que l’on occupe dans la société en général et sur l’échelle des salaires en particulier. Elle n’a pas non plus la même dureté pour tous et du coup, on ne peut qu’être circonspects quant aux prédictions assurées de nos Madames Soleil de l’économie. Si, déjà, ils avaient pu la voir arriver...

D’un autre côté, il faut les comprendre, quand la mer monte, nous n’avons pas tous les pieds mouillés en même temps. En 30 ans de politique économique libérale, les premiers qui ont bu la tasse étaient ceux qui avaient déjà le cul dans l’eau : le lumpenprolétariat, les gagnent-misère, les torchent-culs, les sans-grade, les chiens perdus sans collier, ceux qui ne sortent pas du moule et ne rentrent pas dans les bonnes cases, les petits bras de l’entresol, les mangent-merde, ceux pour qui la crise est une seconde nature. Ceux-là, ça fait un bon moment qu’ils pataugent sous la ligne de flottaison, un bon moment qu’ils ont même cessé d’appeler à l’aide, tant les passagers de l’entrepont s’en tamponnent de leur sort, de leur peine, de leur malheur. Que voulez-vous, ma bonne dame : ils n’avaient qu’à mieux bosser à l’école, tous ces bras cassés. Regardez, moi, je me suis faite toute seule, à la force du poignet. Quand on veut, on peut.

Le naufrage d’un monde en perdition, c’est surtout quand la foule des deuxièmes classes a les arpions qui trempent, qu’on commence à s’en préoccuper vraiment, quand les rats mouillés et affolés remontent de la cale et investissent les cuisines.
Mais quel est donc ce scandale ? Nous avions payé un bon prix pour un confort minimum !
Petites lâchetés quotidiennes, renoncements en cascades, le gros de la troupe, la fameuse classe moyenne, a fermé les yeux à s’en fendre les paupières sur toutes les petites saloperies qui tombaient drues sur le dos de ceux qui échouaient dans la grande course à l’échalote. Salauds de chômeurs, salauds de pauvres, enfoirés de malades, les cassos’ pourrissent la vie des gagnent-petits, à toujours prélever cette indigne petite miette de survie sur le fruit de leur labeur, sur cet argent si cher et si durement gagné.
C’est donc tout naturellement quand les classes moyennes ont commencé à s’enfoncer dans la merde à leur tour que le concept de crise a pu sembler pertinent. Pas de panique, mes amis ! Enfilez vos plans de sauvetage ! Pataugeons quelque temps ensemble, avant un bien mérité retour à la normale. Quand la mer monte, elle finit toujours par redescendre, non ? Enfin, sauf en cas de réchauffement climatique global, mais ces écolos ne sont que de fâcheux paranoïaques, n’allons pas nous pourrir nos prédictions de lendemains qui chantent pour si peu.

Ainsi donc, l’orchestre continue de jouer en première classe, là où les rubans froids de la marée peinent encore à déferler.
Et pendant ce temps-là, la mer monte toujours...


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