Quand la Russie se débarrasse du dollar…

par xavier dupret
dimanche 17 février 2019

La nouvelle n’a pas fait le tour des rédactions économiques dans le monde. Pourtant, il s’agit d’un événement très important. La Russie se débarrasserait de ses réserves de change en dollars.

Ce mouvement récent s’explique indubitablement par les sanctions que les Etats-Unis ont adoptées à l’encontre de la Russie. La réponse du berger à la bergère ne s’est finalement pas fait attendre de la part de Moscou.

 

Clarification et description

 

Avant toute chose, procédons à un rapide exercice de clarification. Que sont les réserves de change ? Il s’agit des devises étrangères et de l’or que détiennent les banques centrales. Elles revêtent assez souvent la forme d’obligations du Trésor des autres Etats. De cette façon, ces réserves rapportent un intérêt. L’utilité des réserves de change pour une banque centrale consiste à disposer de devises permettant d’agir sur le taux de change de la monnaie nationale. Par exemple, si le dollar vient à s’apprécier par rapport à la monnaie d’un pays, la Banque centrale de cet Etat peut choisir de vendre des dollars qu’elle détient en réserves.

 

Les dollars dont il est question dans le cas russe proviennent des exportations pétrolières et gazières du pays. Ces dernières constituent le moteur de l’accumulation de devises dans le chef de la Russie. En 2016, le pétrole et le gaz représentaient la moitié des revenus d’exportation de la Fédération de Russie. Or, on observe que près de 28% des exportations de la Russie avaient, à cette époque, pour destination la zone euro et 11% se dirigeaient vers la Chine. Par ailleurs, les Etats-Unis ne représentaient que 4,6% des exportations et 3,8% des importations russes[1]. Pourtant, jusqu’au moment où la crise ukrainienne a éclaté en 2014, la Russie facturait en dollars le pétrole qu’elle vendait aux Européens et aux Chinois.

 

Cet état de choses s’explique par la centralité du dollar dans le commerce international. Nous reviendrons plus tard sur cette donnée. En tout état de cause, depuis 2014, la Russie se distancie des Etats-Unis. Il en résulte une utilisation plus retreinte qu’autrefois du dollar de la part de Moscou. Ce mouvement s’est accéléré puisqu’au cours du deuxième trimestre 2018, la Banque centrale de la Fédération de Russie a converti plus de 100 milliards de dollars de ses réserves en euros et en yuans. Cette décision fait suite à un durcissement des sanctions américaines décidé en avril de l’année dernière[2].

 

La recomposition des réserves de change de la Russie a pris les proportions suivantes.

 

Evolution des réserves de la Banque centrale de la Fédération de Russie entre le premier et le deuxième trimestre de l’année 2018 (en milliards de dollars)

Source : Banque centrale de la Fédération de Russie, janvier 2019.

 

Entre le premier et le second trimestre de l’année dernière, 200 milliards de dollars étaient enregistrés sur les comptes de la Fédération de Russie. Trois mois plus tard, l’importance du billet vert dans la comptabilité de la banque centrale de ce pays avait fondu de moitié (100,32 milliards de dollars). Du même coup, l’euro a supplanté la devise américaine. En effet, au 1er trimestre 2018, l’euro était comptabilisé dans les avoirs de la Banque centrale russe à hauteur de l’équivalent de 102 milliards de dollars. Au 30 juin 2018, ce montant était passé à 201,02 milliards de dollars. Cette progression spectaculaire, puisqu’il s’agit, mine de rien, d’un doublement est inférieure à l’évolution caractérisant le yuan. Ce dernier, au premier trimestre 2018, valait l’équivalent de 23 milliards de dollars dans les réserves de la Russie. Cette position a été triplée en l’espace d’un trimestre. Les yuans détenus par la Banque de la Fédération de Russie valaient à la fin du mois de juin 2018 l’équivalent de 67,34 milliards de dollars. Ces arbitrages de la part de la Russie sont impressionnants. Il est vrai qu’ils se positionnent à rebours de la centralité du dollar dans le commerce international.

 

King dollar

 

Pour rendre compte de cette importance du dollar, il suffit de faire part de l’étonnement de journalistes du site d’informations d’information états-unien Bloomberg tout à leur découverte de ce que des responsables européens désiraient promouvoir l’euro dans les échanges commerciaux sur le Vieux Continent[3]. Ces mêmes commentateurs ne manquaient pas de relever que la Chine avait revendu une fraction importante de ses actifs libellés en dollars en 2017. Le monde se dédollarise.

 

Il n’y a, dans le fond, que les commentateurs états-uniens pour s’en étonner. On peut les comprendre. Le dollar occupe une fonction de pivot du système monétaire international depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Les accords de Bretton Woods, signés le 23 août 1944 par les nations alliées, reposaient sur un système de parité fixe des monnaies par rapport au dollar. Ce dernier était défini par un poids en or. Une once d’or valait 35 dollars. Le rattachement du dollar à l’or suppose que les États-Unis ne pouvaient pas connaître de déséquilibres majeurs de leur balance des paiements afin de préserver la valeur en or de leur monnaie conçue comme pivot du système. Précisément, cette condition ne va plus être respectée au fil du temps.

 

Avec le recul, le dollar s’est avéré être un pivot bancal. Le stock d’or détenu par les États-Unis ne va, au fil des années, plus suffire à couvrir le volume des dollars circulant en dehors des USA. Or, le système de Bretton Woods laissait la possibilité à chaque pays, mais avec l’accord de tous ses partenaires dans le système, de procéder à des ajustements monétaires si nécessaire (dévaluation ou, au contraire, réévaluation). Tout pays partie prenante à la conférence de Bretton Woods, puisqu’il avait des réserves en dollars américains, pouvait décider de les changer contre l’or que les États-Unis possédaient. La situation du dollar a été bien caractérisée par un économiste belge, Robert Triffin (1919-1993)[4]. Le paradoxe que Triffin repère dans les relations monétaires entre nations occidentales est le suivant. A la sortie de la guerre mondiale, l’Europe et le Japon sont des terres ravagées en comparaison des États-Unis dont la production industrielle a doublé entre 1940 et 1945. Les États-Unis sont donc, à cette époque, clairement la nation qui accumulé un capital dont les autres nations sous parapluie américain ont besoin pour leur reconstruction. Le monde enfanté par les accords de Bretton Woods fonctionnait comme un système de financement de la croissance des exportations américaines en solvabilisant la demande du Japon et des pays d’Europe occidentale.

 

Donc, à l’époque, logiquement, le dollar est la monnaie qui inspire confiance. En basant le système monétaire international sur le dollar, l’attrait pour ce dernier est pleinement consacré. Ce qui a pour effet, paradoxalement, de le fragiliser, car fournir des liquidités au monde occidental en plein effort de reconstruction peut conduire à un déficit de la balance des paiements des États-Unis. Avec le temps, les émissions de dollars vont déstabiliser la politique monétaire de l’oncle Sam. Par ailleurs, les pays qui exportaient vers les États-Unis accumulaient des dollars qui étaient alors convertis dans les monnaies locales. Ce qui y alimentait l’inflation puisque la masse monétaire y augmentait en raison des taux de change fixes. L’Allemagne, traumatisée par l’hyperinflation de l’entre-deux-guerres, va alors vouloir commencer à faire rembourser ses dollars excédentaires en or. Comme les USA ne veulent pas entamer leurs réserves, ils ont suspendu la convertibilité-or de leur devise nationale le 15 août 1971. Les conséquences de l’adoption de taux flottants ont été importantes puisque les monnaies ont, à partir de ce moment-clé, pu varier entre elles de manière nettement moins contrôlée au gré des mouvements des capitaux.

 

Il n’en reste pas moins que le dollar continuera à partir de 1971 à occuper un rôle central dans le système monétaire international. Les autres pays de la planète vont alors financer les déficits américains qui avaient déjà été à la base du démantèlement du système de Bretton Woods. Si le dollar s’effondrait, le commerce international s’effondrait également. Depuis 1970, les Etats-Unis n’ont connu que quatre années de surplus budgétaire (1998, 1999, 2000 et 2001). Depuis 1977, les Etats-Unis sont en déficit commercial chronique. Si l’on élargit l’analyse à l’ensemble des rentrées que les Etats-Unis tirent de l’extérieur, il faut scruter ce que l’on appelle la balance des opérations courantes. Cette dernière n’a plus été positive qu’au cours de sept exercices depuis 1970 (1970, 1971, 1973, 1974, 1975, 1976, 1980, 1981, 1991)[5]. La place du dollar a donc bel et bien servi d’instrument de financement par l’extérieur des déficits américains. C’est cet élément central de la finance internationale qui est en train de se défaire progressivement sous nos yeux.

 

Renaissance chinoise

 

Il est toutefois clair que la recomposition de réserves de la Russie a tout à avoir avec le durcissement des sanctions contre Moscou. Certains chiffres le prouvent aisément. Les réserves de la Fédération de Russie comptent 15% de yuans (pour une moyenne mondiale de 1,5%). En ce qui concerne l’euro, sa récente et fulgurante progression au sein des réserves russes tranche avec le fait que la monnaie unique européenne est de plus en plus délaissée dans les réserves des banques centrales de par le vaste monde.

 

C’est ainsi que le poids de l’euro sur la scène internationale a rapidement augmenté entre 2001 et 2003. A cette époque, la part de la monnaie unique européenne dans les réserves des banques centrales est passée de près de 24% à plus de 27% avant de se stabiliser aux alentours de 26%. La crise financière de 2006-2007 a entraîné une chute rapide et constante avec un mouvement de stabilisation depuis la fin de l’année 2016 jusque 2018 à hauteur de 22% des réserves mondiales[6].

 

La Russie ne fait, pour autant, pas exception à un mouvement plus lent et plus imperceptible de montée du yuan. Cette dernière n’a en rien perdu de sa vigueur cette année en dépit de la dépréciation du yuan face au dollar. C’est ainsi que les banques centrales ont augmenté leurs actifs en yuans de 32,6 % au deuxième trimestre de l’année 2018. D’ici 2022, la part du yuan dans les réserves mondial devrait, d’après la banque d’affaires Goldman Sachs, doubler et passer à 3% des réserves des banques centrales. Deux monnaies seront victimes de cette modification. Il s’agit du dollar et du yen.

 

C’est d’ailleurs la devise nippone qui souffrirait le plus de cette réallocation des avoirs des banques centrales. La chute du yen dans les réserves devrait dépasser les 12%. Celle du dollar sera, pour sa part, plus modérée (4%). Sur le plus long terme, le déplacement du dollar en faveur du yuan devrait être davantage prononcé.

 

Les mouvements de modifications de réserves des banques centrales se produisent toujours avec un temps de décalage sur les évolutions économiques. Alors que la puissance américaine constituait un fait accompli au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, la livre sterling était toujours la première monnaie de réserve dans le monde jusque durant les années 50 du siècle dernier, époque à laquelle elle fut définitivement supplantée par le billet vert.

 

En 1950, 55% des réserves en devises des banques centrales dans le monde étaient libellées en livres. Dans les années 1960, cette part est passée à 30% avant de plonger en-dessous des 15% à partir de 1970[7].

 

De surcroît, la montée en gamme de l’économie chinoise va conférer à l’Empire du milieu un poids de plus en plus central dans l’économie internationale. Lancé en mai 2015, le plan intitulé « Made in China 2025 » se vise à la promotion de l’industrie manufacturière. « Ce premier plan d’action sur dix ans vise à transformer le géant manufacturier qu’est la Chine en une puissance mondiale manufacturière » [8].

 

Importante question

 

Dans la foulée, un enjeu majeur relatif à la montée du yuan a trait à la montée d’un modèle économique différent de celui des Etats-Unis. En effet, le yuan est une devise dont le cours est contrôlé par l’Etat alors que la valeur du dollar est déterminée librement par la confrontation de l’offre et de la demande sur les marchés. Il en résulte que la prédation du capital financier sur le travail et les processus productifs sortira affaiblie de la confrontation yuan-dollar au fur et à mesure de la progression de la devise chinoise dans les échanges internationaux.

 

La suite de cette analyse visera à faire le point sur les mécanismes permettant au yuan de ne pas être une monnaie aussi librement échangeable que l’euro ou le dollar. Nul doute, à ce propos, que la description de dispositions échappant à la logique du capitalisme néolibéral financiarisé pourra servir de points de repères en ces temps de crise profonde du capitalisme néolibéral occidental.

 

Lorsque l’on parle d’une monnaie dont le cours est administré, on fait référence à un mécanisme de fixation des prix. Le taux de change d’une monnaie, c’est son prix exprimé dans une autre monnaie. Le cours du yuan est administré en ce sens que l’administration, c’est-à-dire le politique, en fixe le prix face aux autres devises (on dit, dans ce cas, que le yuan n’est pas pleinement convertible).

 

Depuis 2005, ces devises sont principalement le dollar, le yen, l’euro et le won (la devise sud-coréenne). Le pilotage du yuan est effectué de façon souple puisque les autorités chinoises laissent évoluer leur devise à l’intérieur d’une bande de fluctuation. Concrètement, depuis le 17 mars 2014, le taux de change du renminbi est fixé chaque matin par la banque centrale et est autorisé à monter ou à baisser de 2% au jour le jour. Si le yuan évolue en dehors de cette bande, la banque centrale intervient en vendant des devises étrangères en cas de dépréciation trop marquée du yuan. En cas d’appréciation de ce dernier, la banque centrale va, au contraire, vendre des yuans.

 

En procédant de la sorte, la Chine utilise ses prodigieuses réserves, en fait, les plus importantes au monde, accumulées en devises (plus de 3.000 milliards de dollars) pour régler le taux de change de sa devise. Les autres pays du Sud font autrement. Sous la pression du FMI et de la Banque mondiale (qui ne sont jamais intervenus en Chine), les banques centrales du Tiers-monde travaillent essentiellement à partir de leurs taux d’intérêt. Lorsque leur monnaie se déprécie, ils augmentent les taux pour attirer les capitaux extérieurs. Et dans le cas où leur devise s’apprécierait trop, ces pays baissent leurs taux pour diminuer leur attractivité. Cette stratégie pourrait paraître attrayante de prime abord pour des pays qui disposent de moins de réserves que la Chine. Elle présente, cependant, un inconvénient majeur. En faisant dépendre leur destin de la finance occidentale, ces pays sont sujets à de fortes variations en ce qui concerne le taux d’investissement. Ces soubresauts sont à poser en lien avec la conjoncture économique du moment au sein des pays fournisseurs capitaux. Si une situation de crise y éclate, on va alors assister à un exode des capitaux au sein des pays émergents. C’est ainsi qu’entre 2008 et 2009, plus de 60 milliards de dollars ont quitté les pays émergents pour revenir vers leurs sièges sociaux au nord[9].

 

C’est ce schéma que la Chine a voulu éviter. Pour ce faire, elle a empêché que des mouvements trop brusques d’entrées et de sorties de capitaux ne nuise à la stabilité de son économie. Dans le jargon des économistes, on dit que la Chine n’a pas libéralisé son compte de capital. La fermeture du compte de capital du pays implique logiquement que sa devise ne puisse s’échanger de manière complètement libéralisée.

 

Internationalisation du yuan et force de l’Etat chinois

 

Pourtant, comme nous l’avons vu, la Chine est une puissance montante en pleine renaissance. Aussi désire-t-elle que sa monnaie soit davantage utilisée dans ses échanges commerciaux avec le reste du monde. Cet objectif, somme toute légitime, aurait pu entrer en contradiction avec la limitation de l’ouverture du compte de capital. En effet, l’usage international d’une monnaie est facilité par la généralisation des mouvements de capitaux qui la concernent.

 

Comment la Chine a-t-elle géré cette opposition ? Le gouvernement chinois a repéré, il y a déjà quelques années de cela, une demande croissante de yuans vu l’ampleur des échanges de tous les pays du monde avec la Chine. Les autorités chinoises ne devaient pas faire trop d’efforts pour séduire des partenaires internationaux. Il leur était donc loisible d’imposer leurs conditions au capitalisme financier international dans un rapport de forces bien compris. Cette disposition d’esprit est caractéristique de la méthode dont le yuan s’est diffusé dans le monde. Examinons cet aspect des choses d’un peu plus près. Nous verrons que jusqu’à présent, l’ouverture de la Chine aux investisseurs internationaux est le fait des Chinois eux-mêmes sans pression de l’extérieur.

 

Remettre le politique aux commandes au-dessus de l’économique suppose une certaine pratique de la planification. Cette dernière n’a rien d’évident pour des générations d’Européens habituées, depuis des décennies, à la libéralisation des marchés financiers. Voilà pourquoi il s’avère intéressant de décrire dans le concret les voies et moyens selon lesquels Pékin administre sa monnaie.

 

Il existe non pas un mais deux marchés de changes pour les yuans. On trouve, d’une part, le yuan onshore (désigné par l’abréviation CNY dans la presse économique) et d’autre part, le yuan offshore (CNH). Le yuan onshore ne circule qu’à l’intérieur des frontières de la Chine. Il forme la plus grande part de la masse monétaire chinoise. C’est ce yuan qui est strictement encadré par les autorités chinoises. En vertu de ces dispositions, il est impossible de spéculer contre le yuan et partant, de déstabiliser l’économie chinoise dans le chef des capitaux étrangers. Ces derniers peuvent se rabattre sur le yuan offshore. Ce dernier ne peut être acquis qu’en dehors des frontières de la Chine.

 

La création en 2004 du yuan offshore démontre un grand sens de la planification de la part du gouvernement chinois. La mise en avant de cette monnaie s’est faite de façon progressive. Au départ, il n’était possible de la trouver qu’à Hong Kong puis Singapour. L’arrivée du yuan offshore dans les pays occidentaux est plus récente. C’est en 2014, par exemple, que le yuan offshore est arrivé en France. C’est la Banque de Chine qui a fixé le montant de yuans offshore qui circulera dans chacun des pays partenaires de la Chine dans l’internationalisation du yuan.

 

De cette façon, l’Empire du Milieu ne risque pas de voir des montants trop importants de yuans circuler en dehors du pays. Si tel était le cas, les paiements et les investissements auxquels donnent lieu le yuan offshore pourraient finir par submerger l’économie chinoise. A l’été 2018, on trouvait 1.250 milliards de yuans offshore en dehors de la Chine. Par comparaison, la masse monétaire en circulation en Chine était, à la même époque, de 180.000 milliards de yuans[10]. On fera également remarquer que le yuan offshore s’échange sans problème selon la loi de l’offre et de la demande. Vu les faibles quantités en jeu, cette disposition n’entraîne aucune conséquence pour l’économique chinoise et le cours administré du yuan onshore. Voici la répartition exacte des yuans offshore à travers le monde

 

Répartition des comptes libellés en Yuans offshore dans le monde en 2018 (milliards)

Source : Banque des Règlements Internationaux, novembre 2018.

 

Pour garantir que l’opération d’internationalisation du yuan se passe sans encombre, ce sont des banques d’Etat chinoises qui en assurent la promotion directement auprès du public. En Belgique, c’est la Bank of China, propriété intégrale du gouvernement chinois, qui s’acquitte de cette mission[11]. Cet impressionnant réseau de banques publiques, puisque c’est lui qui a accès aux yuans émis en Chine, fait respecter les règles imposées par la partie chinoise dans les paiements en yuans. Pour éviter que des flux à caractère spéculatif ne soient organisés, les envois de yuans entre particuliers sont prohibés.

 

Donc monsieur X à Anvers ne peut envoyer de fonds à Monsieur Y à Shanghai, lequel ne pourra pas spéculer à la Bourse en Chine pour le compte de Monsieur X et renvoyer à ce dernier son capital ainsi que sa plus-value (éventuellement minorée d’une commission). De surcroît, les banques publiques désignées par le gouvernement chinois pour promouvoir le yuan imposent une série de conditions à leurs homologues occidentales avec lesquelles elles mettent en œuvre la politique d’internationalisation du yuan.

 

Les entreprises occidentales désirant effectuer des transactions en yuans sont soumises à des conditions drastiques. Elles doivent certifier qu’elles sont opérationnelles et entretiennent des relations commerciales effectives avec la Chine. Ce qui signifie que les paiements en yuans depuis et en direction de la Chine continentale ne seront effectués que dans la mesure où un véritable besoin d’affaires est prouvé auprès des banques d’Etat chinoises qui servent d’intermédiaires entre la Chine et l’Occident. L’idée est là encore de protéger l’économie chinoise de mouvements spéculatifs. Par contre, si le lien avec l’économie productive locale est établi, la partie chinoise acceptera volontiers ce paiement qui rend, en fin de compte, la Chine moins dépendante du dollar. Un véritable besoin d’affaires est censé exister ipso facto si un client occidental possède une filiale ou un partenaire commercial en Chine continentale.

 

Le moins que l’on puisse dire est que la façon de procéder des autorités chinoises constitue un franc succès. « Le RMB est la 5ième monnaie pour le règlement des transactions internationales. En 2013-2014, environ entre 14 et 16 % du commerce de la Chine étaient réglés en renminbi (presque 0 en 2009) »[12]. On notera que cette internationalisation s’est produite alors que la Chine s’est attelée à régler une crise financière interne qui aurait pu, faute de traitement adéquat, porter un sérieux coup aux finances publiques du pays.

 

Comme quoi, un solide réseau de banques publiques et un Etat limitant l’activité des marchés constituent d’évidence de bien meilleures méthodes que la libéralisation financière et la dérégulation. Cette leçon mérite d’être méditée alors qu’une nouvelle déflagration financière pointe à l’horizon en Europe et aux Etats-Unis…

 

[1] Observatory of Economic Complexity, janvier 2019.

[2] Bloomberg, 9 janvier 2019.

[3] Bloomberg, ibid.

[4] Robert Triffin, Gold and the Dollar Crisis : The future of convertibility, Yale University Press, New Haven (Conecticut), 1960.

[5] Banque Mondiale, janvier 2019.

[6] Banque Centrale Européenne, juin 2018

[7] Catherine R. Schenk, The Retirement of Sterling as a Reserve Currency after 1945. Lessons for the US Dollar, University of Glasgow, pp.9-10.

[8] Chine Magazine, 19 mai 2015.

[9] Caixa Bank, monthly report, 2 septembre 2013.
Url : http://www.caixabankresearch.com/en/13im09_f1-es. Date de consultation : 30 janvier 2019. Calculs propres.

[10] Banque mondiale, China Money Supply M2, août 2018.

[11] L’Echo, 14 février 2011.

[12] Lahet, Delphine. « Le degré d’internationalisation du Renminbi. Un bilan d’étape fondé sur une revue de la littérature », Revue d'économie politique, vol. vol. 127, no. 5, 2017, pp. 761-811.


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