Quand les puissances d’argent s’emparent du pouvoir politique
par Catherine Segurane
lundi 18 juillet 2011
On croyait avoir tout vu en matière d'abus des puissances d'argent, mais il manquait le point d'orgue, qui a été posé ces derniers mois. Après avoir transformé l'économie en casino, les financiers sont en train de s'emparer du pouvoir politique. Deux événements le montrent. Le premier est la crise dite "de la dette" grâce à laquelle ils sont en train d'obtenir, partout en Europe, des politiques dites "de rigueur" consistant à comprimer salaires et retraites. L'autre événement est le chantage mené aux Etats-Unis, consistant à refuser de relever le plafond de la dette, au risque de provoquer une crise systémique pour éliminer Barack Obama.
Il s'agit là tout simplement de prises de pouvoir : les puissances d'argent gouvernent en direct et imposent les politiques qui leur conviennent. Elles le peuvent, parce qu'une partie cruciale du pouvoir régalien leur a été indument déléguée. On sait que les Etats s'interdisent de battre monnaie, ce pourquoi ils sont les seuls légitimes. Ils délèguent ce pouvoir aux banques. Et elles l'utilisent à leur profit.
Ce pouvoir peut leur être repris. Il suffit que les Etats le décident.
Nous ne sommes plus, ou plus seulement, dans une crise de type 2008, quand on parlait d'argent fou. Pour parler de la crise de 2011, je n'utiliserai pas ces mots. Un fou ne sait pas ce qu'il fait. L'argent le sait encore moins, puisque c'est une chose sans cerveau. Les fameux "marchés" pas davantage, puisqu'ils ne sont qu'un lieu, physique ou virtuel, où acheteurs et vendeurs se rencontrent pour échanger.
Or, les derniers développements nous montrent des puissances d'argent qui savent ce qu'elles font et qui ont des objectifs précis : décider de la politique budgétaire en Europe ; mettre en difficulté un président américain qui ne leur convient pas.
En 2008, on avait vu des spéculateurs fous encaisser les gains quand il y en avait, et transférer les pertes aux Etats sous la menace d'une crise systémique.
Maintenant, nous les voyons dicter en direct la politique budgétaire de l'Europe par les biais des agences de notation.
Il suffit que celles-ci baissent ou menacent de baisser la notation d'une dette souveraine, pour que le processus auto-réalisateur s'enclenche : le pays visé par l'abaissement de note subit automatiquement la méfiance des marchés ; ce qui fait augmenter les taux d'intérêt auxquels il emprunte ; ce qui augmente sa dette et diminue ses chances de la rembourser aisément. Le peuple de ce pays est, en quelque sorte, mis en esclavage pour dette, sans issue prévisible à vue humaine.
Il importe peu, à cet égard, que le pays soit ou non vertueux. On a tout dit sur la Grèce "panier percé". Mais les marchés ont aussi pris pour cible l'ultra-libérale Irlande, qui pourtant avait tout pour leur plaire. Ils s'attaquent maintenant à l'Espagne et à l'Italie. Demain, ils s'attaqueront à la France, dont la dette explose, et, dans cette dette, il y a beaucoup de sommes qui ont servi à aider les banques et les entreprises lors de la crise de 2008, et aussi beaucoup d'argent qui sert à renflouer les premiers pays visés par les agences de notations.
Plan d'aide par ci, plan d'aide par là ... Autant de milliards qui grèvent notre propre dette et qui nous mettront un jour sous la surveillance malveillante de ces mêmes puissances d'argent qui, après avoir encaissé nos aides, ne se feront pas scrupule de nous reprocher nos déficits.
L'inflation est interdite par Trichet et par l'Allemagne. Cette dernière aurait par contre une bonne idée : faire payer en partie banques et assurances. Mais Trichet et Sarko s'y opposent.
Bref, la seule solution qui conviendrait à tout ce beau monde, ce serait que le payeur soit le ménage de base, de préférence salarié ou retraité. Et qu'au passage, un peu plus de pouvoir soit délégué à l'Europe, comme si elle ne nous avait pas assez mis dans l'embarras.
Or, les solutions existent. Elles ont été de tous temps employées. Elles s'appellent inflation et dévaluation. Elles ne sont pas aussi anti-sociales qu'on veut nous le faire croire. On n'arrête pas de nous présenter l'inflation comme la ruine des retraités, mais, en même temps, pour l'éviter, on sabre les retraites ! Cherchez l'erreur ! En réalité, tout est question de pouvoir politique. Retraités et salariés ne souffriront pas de l'inflation si salaires et retraites sont indexés.
Mais, pour cela, il faut reprendre le pouvoir. Les Etats doivent reprendre leur pouvoir de battre monnaie, imprudemment livré aux banques avec la loi Pompidou-Rotschild de 1973 (gravée ensuite dans le marbre du traité de Lisbonne, adopté contre le refus des Français exprimé par référendum). Et le peuple doit reprendre le pouvoir imprudemment délégué à des politiques indignes et à des instances bruxelloises occultes.
Les solutions peuvent aussi s'appeler défaut. Les dettes non remboursées jalonnent l'histoire ; l'Allemagne a commencé par ne pas payer les dédommagements dus à la suite de la deuxième guerre mondiale ; on ne lui a pas reproché ; au contraire on s'est extasié devant le "miracle allemand" que cette remise à niveau du compteur a permis.
En matière bancaire, la solution s'est aussi longtemps appelée : séparation de la banque d'affaires et de la banque de dépôts. Un mur étanche les séparait, et tout allait bien tant qu'il n'a pas été brisé. La banque d'affaires pouvait spéculer tant qu'elle voulait, prendre tous les risques qu'elle voulait, faire faillite si elle le méritait : l'argent des déposants était à l'abri dans une banque de dépôts séparée.
Retrouvons notre pouvoir de citoyens.
Pour cela, commençons par ne pas aggraver notre dépossession ; on entend beaucoup parler d'Europe fédérale. Plus l'Europe nous enfonce, plus il faudrait la renforcer !
Faisons un retour ordonné au franc. Retrouvons notre pouvoir de battre monnaie. Nous mènerons alors la politique monétaire que nous jugerons conforme à nos intérêts.