Rapport Attali : aux aveux !

par Roland Verhille
mardi 29 janvier 2008

Lire entre les lignes du rapport Attali nous apprend où il nous mène.

Le flot des lectures du rapport Attali en présente des vues variées. Celles en prêchant la pertinence semblent peiner à l’ouvrage. Beaucoup de celles le repoussant semblent avoir condamné d’avance le fils adoptif de Mitterrand sans même l’avoir lu, ou sans avoir su le lire, les uns parce qu’il en serait un fils indigne reniant la parole du père, les autres seulement parce qu’il est le fils de son père. La plupart des autres semblent aveuglés par la profusion de leurres lancés pour grossièrement dissimuler la finalité de l’ouvrage. Alors, laissons passer ses leurres pour nous occuper de sa vérité. Cela nécessite de partir des rares données chiffrées fournies pour tenter d’en déduire celles restées implicites.

La mission de la Commission était d’identifier les actions et réformes à mener capables de libérer la croissance économique française. Ses 316 « décisions » sont dites (page 241) pouvoir élever d’un point le taux de croissance d’aujourd’hui. Précisons donc en premier lieu quel est le compte de la croissance d’aujourd’hui sur lequel s’appuie toute la construction du rapport. Sa page 179 nous en fournit quelques éléments : le PIB s’élève à environ 1 800 milliards d’euros, les dépenses publiques à plus de 1 000 milliards d’euros, les dettes publiques se montant à 1 218 milliards d’euros sont à 65,9 % du PIB. En page 180, les prélèvements obligatoires sont dits être en 2006 à 44,2 % du PIB, niveau auquel son augmentation risquerait de provoquer une décroissance économique ainsi qu’une réduction de compétitivité des acteurs économiques. C’est implicitement dire, pour le moins, qu’il doit être décidé de plafonner ce taux à ces 44,2 % du PIB. Ces données relatives aux dépenses publiques et aux déficits publics sont exprimées « au sens du traité de Maastricht », qui n’est pas tout à fait le même que celui de la comptabilité nationale de l’Insee, et les prélèvements obligatoires sont ceux présentés à l’appui du rapport sur eux aussi annexé au PLF pour 2008 qui ne sont pas tout à fait ceux qui ressortent de la comptabilité nationale.

I. Les comptes implicites du rapport Attali

De ces données peut être déduit le compte de la situation initiale qui serait améliorée par la mise en œuvre des 316 « décisions » du Rapport Attali. Ces données semblent tirées du « Projet de loi de finances pour 2008 (PLF 2008) », partie « Rapport économique social et financier ».

http://www.performance-publique.gouv.fr/fileadmin/medias/documents/ressources/PLF2008/REF08_1.pdf

Les données fournies au PLF 2008 pour l’année 2007 sont ajustées pour qu’elles reflètent les définitions de la comptabilité nationale (par ajout des écarts constatés entre les deux catégories de comptes pour l’année 2006). Le tableau ci-dessous montre les deux catégories de comptes pour l’année 2007.

Croissance-2007

Cela fait, entreprenons de montrer comment on parvient à la situation de 2012 décrite dans le rapport Attali.

Prenons en compte le résultat proclamé des 316 « décisions » sur la croissance : en 2012, une croissance économique plus élevée d’1 point que celle d’aujourd’hui. Ce redressement de la croissance est introduit progressivement dans les comptes annuels ici présentés.

Prenons en compte ensuite l’évolution « décidée » de la dépense publique, mais, elle, exprimée de deux manières distinctes. En page 20, comme en page 220, il est « décidé » de baisser chaque année dès 2009 d’1 point son taux. En cette page 220, il est vigoureusement précisé que cette réduction du taux ne consiste pas à en réduire le montant, mais à seulement le maintenir à son niveau en monnaie constante, c’est-à-dire indexé sur la hausse des prix. La cohérence de ces deux « décisions » n’étant pas systématiquement assurée, il convient de présenter deux tableaux de données chiffrées, à raison d’un tableau pour chacune de ces « décisions ». Ils ne diffèrent que de peu, encore convenait-il de s’en assurer.

Dans ce premier tableau, est appliquée la « décision » de tenir stables en monnaie constante les dépenses publiques (euros 2007).

Croissance-2012a

Dans ce second tableau, est appliquée la « décision » de baisser d’un point chaque année à partir de 2009 le taux de la dépense publique.

Croissance-2012b

II. Commentaire des comptes implicites du rapport Attali

Selon le rapport Attali, ses 316 décisions sont justifiées par plusieurs nécessités pressantes (pages 9 et 10) : parer à la régression de la France du quatrième au sixième rang des puissances mondiales qui peut mettre en péril « la prospérité de la France (et des Français) » ; rembourser les dettes publiques ayant fait boule de neige et détournant vers les prêteurs une part des impôts devenant trop importante ; assurer le maintien du niveau des prestations de retraite qui détournent vers les retraités une part croissante du PIB en mal de croissance.

L’anxiété ainsi exprimée des commissaires ayant porté dans le rapport les Français entre parenthèses semble causée principalement par le déclassement du pays parmi les puissances mondiales, ainsi que par l’effroi d’une dette privant l’état des moyens nécessaires pour la rétablir, les prélèvements obligatoires sur les Français étant jugés à la limite extrême du supportable.

Notre reconstitution de l’évolution de la situation initiale de 2007 vers celle de 2012 nous montre que les rares données chiffrées du rapport Attali sont à peu près cohérentes. La dette publique est bien ramenée en 2012 aux environs de 55 % du PIB, malgré un taux de prélèvements obligatoires stable, grâce à des déficits publics disparus dès 2010 remplacés par des excédents budgétaires croissant rapidement dès 2011. C’est l’illustration comptable du « travailler plus pour gagner plus ». Avec la moitié du PIB supplémentaire résultant de l’activité supplémentaire des Français tombant dans les caisses publiques, l’état gagne plus de recettes sans devoir plus travailler. Dès lors qu’il ne les dépense plus, il peut commencer à rembourser ses dettes.

III. Le but probablement visé par le rapport Attali

Hélas, on ne voit pas parmi les « décisions » du rapport Attali celles qui seraient de nature à restaurer une croissance économique normale et salvatrice du pays. Le rapport insiste on ne peut plus lourdement sur le fait qu’aucune de ses « décisions » appliquée isolément n’aurait l’effet recherché ; que seule la mise en œuvre de l’ensemble des 316 « décisions » parviendrait à la situation redressée de 2012. Mais ce n’est là que pure affirmation, le rapport n’en a pas fait la démonstration. La commission persiste comme le candidat heureux à la présidentielle dans l’incantation d’une croissance tombée du ciel. A défaut, ce qui est prévisible, la construction Attali subit le sort du pot au lait de Perette.

En réalité, la commission Attali semble avoir seulement voulu justifier le maintien du niveau actuel des dépenses publiques en le disant compatible avec l’exigence devenue redoutable de rétablir la croissance économique du pays, de rétablir l’équilibre des finances publiques, de réduire la dette publique, le tout sans accroître les prélèvements obligatoires.

Un texte de trois pages, illustré de trois pages de tableaux chiffrés et de graphiques, a été soumis à la commission pour lui expliquer les mécanismes emportant inéluctablement la ruine des Français et de l’état ; ceux d’une machine infernale détruisant l’emploi et le pouvoir d’achat construite par les prélèvements obligatoires outranciers (voir mon article AgoraVox le média citoyen : Le pouvoir d’acheter). La commission n’a pas voulu, en connaissance de cause, entreprendre le démontage de cette funeste machinerie. En conséquence, ses 316 « décisions » ne peuvent avoir que pour effet d’agiter le pays, et de conduire les Français à dresser, peut-être avant 2009, le constat d’échec de notre nouvelle présidence.

A moins que le président, compliments d’usage faits à la commission Attali, n’en revienne rapidement à son constat de mi-décembre dernier (Les échos, 13/12/2007) d’un excès de dépenses publiques se montant à 150 milliards d’euros (16 %) nous privant d’un point de croissance économique, et passe enfin aux actes en conséquence.

Roland Verhille, 27/01/2008

Décroissance

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