Réformer les « élites » d’abord ?

par Nicolas P.
lundi 28 mai 2007

Pourquoi ne pas renverser la logique qui a mené à l’échec les précédentes réformes du droit du travail ? A l’heure où le gouvernement rencontre les partenaires sociaux pour évoquer le contrat unique, on redoute les soubresauts du CPE ou du CIP de Balladur en 1994 qui faisait suite au CES de Rocard et au TUC de Fabius.

Sans préjuger de ce qui se prépare discrètement, voilà une proposition qui viserait à renverser la logique de réforme.

L’évolution du droit du travail vers plus de flexibilité est nécessaire dans le cycle que nous vivons en ce moment ; sauf à épouser ces thèses amusantes de la décroissance...

Nous quittons peu à peu l’ère industrielle, ce qui ne signifie pas que l’industrie n’existera plus (de la même manière que l’agriculture continue d’exister dans notre société industrielle). Aborder l’ère des services et de l’information signifie que la différence de compétitivité va se situer autour de notre capacité à communiquer :

Cette communication tous azimuts remet en cause l’organisation pyramidale et cloisonnée du taylorisme ; et le taylorisme avec, et c’est tant mieux ! On travaille aujourd’hui en structures projets, en organisations matricielles... ce qui signifie en termes plus prosaïques que on n’a plus un seul petit chef et que de facto, on gagne aussi en liberté.

On voit aussi se développer le travail à distance, ce qui peut être une autre manière d’échapper au petit chef, et le droit s’est déjà adapté en partie afin de prendre en compte cette nouvelle dimension (cf. rapport parlementaire : Du télétravail au travail mobile : un enjeu de modernisation de l’économie française).

Idyllique ? Sans doute ! Avec la liberté vient aussi la responsabilité. Et le lien du contrat de travail hérité de l’époque industrielle, le sacro-saint CDI, n’est plus adapté. D’où les tentatives avortées. Les spécialistes des ressources humaines évoquent aussi depuis belle lurette l’employabilité, nous expliquent que l’on exercera quatre, cinq, six... métiers dans sa vie, qu’il faudra se former continuellement.

Seulement, à chaque fois que l’on tente de passer de la théorie à l’application pratique, on explique aux plus faibles, les jeunes qui cherchent un premier emploi, les personnes manquant de qualification... que "vous comprenez, c’est bon pour vous, le monde évolue... il faut vous adapter". Et évidemment, le message passe mal.

A contrario, je proposerai donc que la mesure soit appliquée à ceux qui sont les mieux armés pour jouer la flexibilité : les plus qualifiés et les mieux insérés dans le système. Prenons un critère simple : ceux qui ont les plus hauts salaires, tous secteurs confondus.

Voilà un exemple, évidemment contestable, pour fixer les idées :

  1. Les mandataires sociaux (gérants de SARL, PDG, DG...) sont déjà de facto révocables immédiatement et, pourvu qu’ils n’aient pas signé de primes de départ avantageuses avec des administrateurs complaisants (les fameux "parachutes dorés"), ils sont déjà en situation flexible.
  2. Au-delà d’une rétribution annuelle supérieure à six fois le Smic, idem, le salarié ou fonctionnaire serait révocable du jour au lendemain (plus de période de préavis, plus d’ancienneté...)
  3. De trois fois à six fois le Smic, appliquons une période de préavis qui passe progressivement de trois mois à zéro ; pas de notion d’ancienneté.
  4. En deçà de trois fois le Smic, on reste dans les conditions actuelles des contrats de travail : préavis, ancienneté...

Voilà quelques avantages que je vois à cette approche :

  1. Plus d’ancienneté : éviter les scandaleuses situations de salariés qui partent avec des parachutes dorés parce qu’ils ont fait 25 ans chez EADS
  2. La compétence d’abord : les entreprises et l’administration fonctionneraient différemment si à la notabilité de l’ancienneté et de l’échelon hiérarchique on substituait la compétence. Un haut salaire n’est pas un droit acquis quand d’autres restent collés toute leur vie autour du Smic.
  3. Une relation assumée entre adultes  : exit le paternalisme de la période industrielle, exit les fausses promesses d’éternité, les relations entre employeurs et salariés qualifiés ont besoin d’être clarifiées. Le dialogue devient plus direct, la séparation n’est plus une honte, ni un drame.
  4. Montrer l’exemple  : à une époque où la flexibilité et l’employabilité sont prônées par ceux qui sont les plus protégés, dont d’ailleurs la nature du travail requiert le plus de flexibilité, il est normal qu’ils tracent le chemin. Qu’à un niveau de rétribution élevé corresponde aussi une mise en responsabilité accrue légitimerait aussi ces différences de rémunération aux yeux de tous.
  5. Rappeler les responsabilités des "élites" : les excès des parachutes dorés sont symptomatiques de notre époque. Les élites sont en crise ; ceux qui ont le pouvoir sont des gens astucieux, malins, mais qui n’assument plus leur rôle de prendre en charge les problèmes communs pour les résoudre. Il faut rappeler ces responsabilités.

D’un point de vue plus macro, cette évolution prendrait tout son sens dans le cadre des pôles de compétitivité regroupant géographiquement des industries leaders dans leur domaine ; le nucléaire à Saclay (91), l’aéronautique à Toulouse, les jeux vidéo à Lyon... par exemple. Il est alors simple pour un salarié d’évoluer d’une entreprise à une autre tout en restant dans le bassin d’emploi qui porte sa spécialité.

L’époque est idéale pour cette évolution : l’emploi des cadres ne s’est jamais aussi bien porté comme le montre une enquête de l’APEC. La génération des baby-boomers commence à préparer sa retraite, ce qui ne manquera pas de créer un appel d’air pour de nouveaux cadres compétents.

Le succès de l’usine Toyota de Valenciennes est un exemple illustrant cette réforme par les élites et le management. Et sans doute y a-t-il d’autres domaines où l’on ferait bien de réformer par le haut.


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