Par David, gérant d’OPCVM
Plus ça change...
D’énormes crédits accordés à des emprunteurs dont la situation précaire est activement dissimulée aux épargnants...
Des garanties s’avérant illusoires...
Des épargnants confiants encouragés à placer leurs économies à fonds perdus en suivant les "opinions éditoriales" favorables de "rédacteurs spécialistes" sensés être indépendants bien que grassement payés par les emprunteurs ou leurs affiliés...
... et plus c’est la même chose.
Mais les historiens, ainsi que 316000 français contemporains porteurs d’emprunts russes en défaut de paiement, savent bien qu’au début du 20ème siècle l’on incitait déjà l’épargnant à prêter en dissimulant le mauvais état des finances de l’emprunteur, lequel payait certains journaux afin qu’ils publient des "opinions" favorables à son égard.
Ces faits sont connus et publics depuis longtemps...
N’est-il pas temps de dire la vérité, la simple vérité ?
Modèle emprunteur/payeur : bon courage aux épargnants.
Les agences de notation, ce sont ces sociétés incontournables et hautement stratégiques du dispositif financier international, sensées éclairer les épargnants en toute indépendance et bonne foi sur la fiabilité et la solvabilité des emprunteurs.
Toute peine mérite salaire. Il faut donc les rémunérer, et elles le sont... par les emprunteurs qu’elles s’apprêtent à noter !
Franchement : quel emprunteur accepterait de payer des centaines de milliers, voire des millions de dollars pour le plaisir de se faire attribuer une mauvaise note en sachant qu’elle aurait pour effet immédiat de le priver de toute source de crédit ?
En tout cas, voila bien une idée à exploiter. Mauvais auteurs : salariez directement le jury du Goncourt. Mauvais élèves : salariez directement vos examinateurs.
Vous verrez : cela fonctionne.
Petit bottin des gros défauts de paiement.
Penn Central, Orange County, Enron, Parmalat, Worlcom... Maintenant le "subprime"... Lors de chacune de ces débâcles l’indépendance des agences a été mise en cause et elles ont ete accusées d’accorder de bonnes notes à de mauvais emprunteurs dans le but d’augmenter leur chiffre d’affaires .
Explications peu convaincantes.
En pareil cas les agences invoquent très officiellement la complexité des produits et l’impossibilité de vérifier l’exactitude des informations fournies par les emprunteurs.
Si je comprends bien, la tromperie des notes de bonne qualité attribuées à des produits médiocres résulterait donc des informations erronées ou incomplètes fournies aux agences, qui auraient donc elles-mêmes été trompées. L’arroseur arrosé, en quelque sorte.
Admettons... Il est vrai que j’hésiterais à me fier à feu les auditeurs, comptables et administrateurs d’Enron, par exemple.
Il n’empêche : certaines notes trompeuses sont attribuées dans des situations pourtant simples à analyser, que les agences ne peuvent prétendre ignorer.
J’affirme même que des notes injustifiées ont été et sont encore attribuées non par suite d’un quelconque vice, impossible à détecter, contenu dans l’information fournie aux agences, mais bien au contraire en dépit de leur connaissance pleine et entière d’une situation précise et vérifiable qu’elles choisissent sciemment de ne pas dévoiler aux épargnants. Choix conditionnant l’accès à des milliards de dollars de chiffre d’affaires.
Deux exemples pleinement actuels qui dérangent.
Ainsi les agences accordent-elles depuis des années des notes favorables à deux emprunteurs souverains qui sont pourtant en défaut de paiement notoire.
Inutile pourtant d’être dans le secret des dieux pour savoir que la REPUBLIQUE POPULAIRE DE CHINE (RPC) est en défaut sur des centaines de milliards de dollars d’obligations détenues dans le monde entier. En 2006 le ministère des Finances de la RPC a même publié un communiqué de répudiation ; et au cas où les agences n’auraient pas eu connaissance du défaut de paiement chinois, il leur a été aimablement
notifié par les porteurs ; ce qui ne les empêche pas de continuer à attribuer à ce pays des notes qu’elles prétendent pourtant réserver aux seuls émetteurs à la fois solvables et
respectueux de leur obligations contractuelles.
Et il suffit d’être Français pour savoir qu’il reste plus de 316.000 porteurs français d’emprunts russes impayés représentant une valeur actualisée de plus de 100 milliards d’euros (j’ai bien écrit milliards) - selon les estimations les plus conservatrices de certains porteurs.
Le maintien des porteurs dans leurs droits à l’encontre de la FEDERATION DE RUSSIE, confirmé par trois arrêts du Conseil d’Etat, plus haute juridiction administrative de notre pays en 2003 et 2004, est
rappelé par M. Sarkozy en 2007 et par Mme. Lagarde en 2008.
A la lumière de la déconfiture de M. Madoff et des
très inhabituels aveux du Chairman de la Securities and Exchange Commission ("
La commission a appris que des allégations crédibles et précises portant sur les méfaits de M. Madoff ont été portées à l’attention du personnel de la SEC de manière répétée depuis au moins 1999, mais n’ont jamais été signalées à la commission pour qu’elle agisse"), il me faut souligner que les porteurs américains d’emprunts chinois ont eux aussi de nombreuses fois
attiré l’attention de la SEC sur les déclarations trompeuses de la Chine et la dissémination d’informations volontairement inexactes par les agences de notation. Là non plus,
la SEC n’a pas donné suite aux demandes d’enquêtes.
Pourquoi les agences s’obstinent-elles à nier l’évidence de deux défauts notoires ?
Explication possible ci-dessous.
Petits secrets du "big business" : zoom sur conflit d’intérêts.
Il est crucial de comprendre qu’en vertu de l’usage dit du "plafond souverain", les agences s’interdisent normalement d’attribuer à un emprunteur domicilié dans un pays donné une meilleure note que celle attribuée au gouvernement du pays en question. Ainsi, noter la Fédération de Russie en "default" comme elle le mérite aurait contraint les agences à noter en "default" la totalité des emprunteurs russes privés ou publics sans exception. Elles se seraient alors privées de tout revenu en provenance d’emprunteurs russes depuis le retour de ce pays sur les marchés internationaux dans les années 90, et auraient subi un manque à gagner se comptant en milliards de dollars. La même chose est valable pour la RPC. Le conflit d’intérêts est donc plus puissant encore que dans le cas des conflits équivalents en matière de produits "subprime", car il conditionne le chiffre d’affaires issu d’un pays tout entier, et non d’un "arrangeur" de produit isolé.
Sean EGAN, directeur-général de l’agence de notation EGAN JONES indépendante (comprenez : rémunérée par ses clients investisseurs, non par les émetteurs d’emprunts)
résume assez clairement le problème : "
Notre métier est de publier des notations qui informent les investisseurs le mieux possible. Le métier de Moody’s, S&P ou Fitch, c’est de publier des notations qui facilitent l’émission de titres, ce qui est parfaitement légitime puisque les émetteurs assurent environ 80 % de leurs revenus."
Contorsions
Juridiquement : le fût du canon se refroidit au bout... d’un certain temps ?
"S’il existe une dette répudiée émise par un gouvernement précédent qui n’est pas prise en compte dans le passif du gouvernement actuel, alors nous retirons le statut de défaut si l’affaire n’est pas résolue après un certain temps".
Ainsi l’agence Standard and Poor’s s’en remet-elle au seul passage du "temps" et au débiteur indélicat lui-même pour décider si ce dernier est en défaut de paiement, en négligeant le témoignage des créanciers ainsi que les conclusions du Conseil d’Etat, plus haute juridiction administrative de notre pays, un fondateur de l’Union Européenne !
Conseil d’Etat : combien de divisions ?
Quel observateur indépendant est-ce donc qui déclare un défaut de paiement résolu sur la foi des seules déclarations du débiteur (lesquelles constituent au surplus des faux en écritures publiques, voir ci-dessous), en refusant d’entendre créditeurs et tribunaux ?
Et pour quelle raison le fait-il ? Nous devons en avoir le cœur net.
Ceci doit faire l’objet d’une enquête approfondie.
Confiance et règlementation
Rétablir la confiance en s’occupant du processus de notation des produits structurés qui sont à l’origine de la crise, c’est bien...
Washington : audition d’une agence le 22.10.08
Alex Wong AFP/Getty Images
L’ampleur des dégâts dus aux
notes de complaisance attribuées aux produits structurés "subprime" et la nécessité unanimement reconnue de rétablir la confiance, contraint les autorités à sortir de leur immobilisme à l’égard des agences ; et tant la Securities and Exchange Commission aux USA que la Commission européenne chez nous mettent en place des règlementations plus contraignantes
pour qu’enfin les épargnants puissent retrouver la certitude que l’opinion exprimée par les agences aura été formée en toute indépendance et à l’abri de tout conflit d’intérêts.
Pour ma part je soutiens pleinement N. Sarkozy lorsqu’il déclare le 25 septembre dernier à Toulon :
"On ne rétablira pas la confiance en mentant mais en disant la vérité. La vérité, les Français la veulent, ils sont prêts à l’entendre. S’ils ont le sentiment qu’on leur cache quelque chose, le doute grandira. S’ils ont la conviction qu’on ne leur cache rien, ils puiseront en eux-mêmes la force de surmonter la crise."
Mais il faut aller au-delà des seuls produits structurés (subprime).
...inclure le processus de notation des émetteurs souverains, c’est mieux !
En effet les agences cesseraient-elle vraiment de cacher la vérité si tout en prétendant résoudre leurs conflits d’intérêts en matière de notation de produits structurés elles persistaient à attribuer en toute connaissance de cause à certains émetteurs souverains en défaut de paiement notoire tels la Fédération de Russie, des notes de complaisance qui :
- font abstraction de l’absence avérée de volonté de payer du débiteur("willingness to pay") - un critère pourtant primordial à en croire les termes des méthodologies publiées par les agences elles-mêmes ;
- sont établies sur la foi de faux en écritures publiques : la comptabilité de la Russie ne mentionne pas - donc dissimule - les droits, confirmés par le Conseil d’Etat, des porteurs à l’encontre de la Russie.
- font abstraction du risque juridique qui pèsera sur la Russie jusqu’au paiement définitif.
Tricotage paneuropéen
"Rubis sur l’ongle" à Luxembourg = "drapeau" à Paris
Dans les années 90 la Russie a émis des emprunts contemporains, cotés en bourse de Luxembourg.
Ce pays de l’Union Européenne s’oblige évidemment - comme la France - à faire respecter la
directive 2003/6/CE qui désigne comme "manipulation de marché"
"le fait de diffuser des informations, que ce soit par l’intermédiaire des médias (dont Internet) ou par tout autre moyen, qui donnent ou sont susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses sur des instruments financiers, y compris le fait de répandre des rumeurs et de diffuser des informations fausses ou trompeuses, alors que la personne ayant procédé à une telle diffusion savait ou aurait dû savoir que les informations étaient fausses ou trompeuses."
Il serait intéressant d’amener la Justice luxembourgeoise à se prononcer sur la diffusion des notes de bonne qualité attribuées par les agences à la Fédération de Russie, émetteur d’emprunts cotés au Luxembourg - donc en Europe - mais qui reste de facto et ouvertement en défaut de paiement envers des porteurs français - eux aussi Européens - dont les droits ont été confirmés par le Conseil d’Etat, plus haute juridiction d’un pays là encore Européen.
Celui-ci n’a-t-il pas écrit en mars 2007, que
"Si les Français me choisissent pour être le prochain Président de la République, je ferai en sorte [que le problème des emprunts russes] soit étudié avec le sérieux et la méthode qui s’imposent".
puis déclaré, en prenant ses fonctions le 16 mai 2007 :
"
Je pense avec gravité au mandat que le peuple français m’a confié et à cette exigence si forte qu’il porte en lui et que je n’ai pas le droit de décevoir (...) Exigence de respecter la parole donnée et de tenir les engagements parce que jamais la confiance n’a été aussi ébranlée, aussi fragile."
Avec 316.000 porteurs, soit 0,8% de l’électorat - mais plus de 1,5% si j’inclus leurs familles - j’attends sa réponse. Avec confiance, naturellement.
Confiance
Le 21 novembre dernier, sur les ondes de BFM le président sortant de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) déclarait à Hedwige Chevrillon à propos des agences que :
"...nous allons nous assurer qu’ (...) en termes de conflits d’intérêts, en termes de méthodes, de rapports avec leurs clients, elles observent une éthique parfaite, et qu’en termes de méthodologies, elles sont parfaitement transparentes".
Je n’oublie pas que l’AMF, autorité publique en charge de la protection de l’épargne, ne s’est pas opposée, comme elle aurait pourtant dû le faire en vertu des
engagements officiels du gouvernement devant la représentation nationale
(1) et comme le règlement de place lui en donnait la possibilité, à ce que
le 24 octobre 2007 Euronext radie définitivement la totalité des emprunts russes du marché règlementé de la bourse de Paris dans la plus grande discrétion, nuisant ainsi très gravement aux intérêts des épargnants qu’elle prétend défendre,
réduisant du même coup la capitalisation boursière et la richesse nationale de plus de 100 milliards d’euros (selon les estimations les plus conservatrices) et ce moins d’une semaine après le retour du président Sarkozy d’un voyage officiel à Moscou - ce qui me rend circonspect, voire sceptique quant à l’entrain qu’elle mettra à respecter les engagements pris sur BFM.
Et je pense que les épargnants feront bien de se rappeler au bon souvenir de son prochain président.
Ils ne manqueront pas de le solliciter, d’ailleurs, ainsi que tous intervenants concernés, sur l’éthique en matière de notation des émetteurs souverains indélicats.
Espérons que l’AMF tient mieux sa maison que la SEC.
Alors, en définitive ?...
Les régulateurs
pourront-ils amener le retour de la confiance sans s’attaquer au problème lancinant des notes trompeuses attribuées aux émetteurs souverains qui refusent de s’acquitter de leurs obligations contractuelles ? Le fait est qu’ils ne débordent pas d’enthousiasme ; et s’ils pouvaient compter sur
le silence des porteurs spoliés ils feraient bien l’économie de cet embarrassant détour.
Au printemps 2009 le Parlement Européen aura à s’exprimer sur l’adoption d’un Règlement portant sur l’encadrement des agences en Europe. En son état actuel ce Règlement reste loin de régler
l’épineuse question des conflits d’intérêts en matière d’émetteurs souverains. Les porteurs ont exactement trois mois pour le faire savoir à leurs députés européens et je les encourage vivement à visiter les sites
Afiper et
Voix des Emprunts Russes dans les jours qui viennent.
A la lumière des graves défaillances constatées ces tous derniers jours chez les régulateurs - de l’aveu même du premier d’entre eux la SEC - nul doute que les porteurs saisiront une fois encore les chefs d’Etats et de gouvernement en amont du sommet de la réforme de la gouvernance mondiale le 2 avril prochain à Londres. Ils ont du pain sur la planche.
Les épargnants refusent de disparaitre.
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(1) : "S’agissant des cotations des emprunts russes, je confirme les propos que j’ai tenus à l’Assemblée nationale. Le Gouvernement ne pose pas d’objection à ce que la cotation des titres russes puisse reprendre, même si cette éventualité n’est envisageable que dans la mesure où l’information des porteurs sera parfaite sur les conditions d’indemnisation des titres. Nous n’en sommes pas encore tout à fait là, mais, dès que ces conditions seront remplies, la cotation pourra reprendre."Charles Josselin, secrétaire d’Etat à la coopération, au Sénat le 10 décembre 1997.
Pour en savoir plus :
Et bien sur :