Remettre de l’ordre dans la finance

par Laurent Herblay
lundi 16 février 2009

Si le protectionnisme représente une solution à la déréglementation commerciale, pour éviter une nouvelle crise, les Etats ne doivent pas s’en contenter et ils doivent aussi refondre l’architecture financière mondiale.

La chienlit financière

La crise actuelle a un avantage : elle permet de constater que les excès de la finance peuvent déstabiliser l’économie réelle. Il est proprement incroyable que les conditions délirantes des emprunts immobiliers de quelques millions de ménages Américains mettent à bas l’économie mondiale et fassent s’effondrer des économies comme celles du Japon et de l’Allemagne, où le marché de l’immobilier était resté sage.

Les problèmes sont multiples. Tout d’abord, toutes les institutions financières cherchent à échapper aux réglementations, en opérant dans des paradis fiscaux ou en les contournant par le hors bilan par exemple (1200 milliards pour Citigroup contre 2400 pour le bilan avant la crise), démultipliant les risques de pertes comme les chances de gains. L’effet de levier a atteint des proportions délirantes avec certaines banques d’affaires dont les engagements représentaient plus de 30 fois leurs capitaux.

Bien évidemment toute baisse des cours est dangereuse étant donnée la faiblesse des capitaux par rapport aux engagements. L’exubérance à la hausse nourrit la croissance comme celle à la baisse nourrit la récession et le chômage. Et comme les échanges financiers représentent environ 50 fois les échanges réels, si la planète financière s’enrhume, la planète réelle devient gravement malade, comme le montre l’impact grandissant des crises financières sur l’économie, de limité en 1987 à très grave aujourd’hui.

La double immoralité de la finance actuelle

Pire, le poids pris par la finance fait que l’Etat est obligé d’intervenir pour sauver les établissements financiers défaillants pour éviter que leur faillite ne fasse encore plus de mal à l’économie réelle. Il y a donc un aléa moral fort puisque les banques ont une sorte d’assurance vie gratuite fournie et financée par des contribuables dont elles extraient pourtant toujours plus de profits en temps normaux ! Et les sauvetages réalisés depuis quelques mois vont malheureusement renforcer ce sentiment pour l’avenir.

Mais il y a sauvetage et sauvetage : les Etats peuvent recapitaliser, prêter ou racheter les actifs pourris. Cette dernière pratique, utilisée par la Fed, est la plus choquante car la collectivité assume les pertes à la place des banques assainies. Les prêts, notamment utilisés en France, limitent l’influence de l’Etat. En revanche, la recapitalisation ou la nationalisation permettent à l’Etat des mesures justes comme celles prises par Barack Obama de limiter les rémunérations des dirigeants. En outre, elle permet à l’Etat de récupérer sa mise plus tard en revendant ses parts. Elle est la solution la plus juste pour les citoyens.

Pire, les dirigeants de certaines banques ont commis des abus de pouvoir inqualifiables comme le rapporte le blog « Les cordons de la bourse ». Les dirigeants de Merrill Lynch ont ainsi fait distribuer 3,6 milliards de bonus en décembre de cette année (dont 121 millions pour les 4 principaux dirigeants) alors que la banque avait perdu la bagatelle de 27 milliards en 2008 et que l’Etat investissait 20 milliards pour permettre le rachat de Merrill par Bank of America et offrait une garantie de 188 milliards sur d’éventuelles pertes futures…

Remettre de l’ordre dans la finance

Il y a bien sûr urgence à réformer le mode de rémunération des banquiers pour éviter de tels abus, sans doute en augmentant la redistribution à partir d’un certain niveau et en étalant la distribution des bonus pendant un certain temps pour éviter les comportements court-termistes. Mais la meilleure solution pour éviter de tels abus scandaleux est sans doute de mieux réguler la finance dans son ensemble.

Il est essentiel de remettre l’ensemble des institutions financières sous le boisseau d’une réglementation commune et donc d’interdire réellement les paradis fiscaux. Il faut interdire le hors bilan. Et Il faut également interdire les pratiques purement spéculatives comme les ventes à découvert ou la spéculation sur les matières premières. L’aléa moral pose la question de la constitution d’un secteur public bancaire.

Mais surtout, pour dégonfler cette bulle financière. Il y a deux moyens très simples : remonter les exigences de couverture par des capitaux propres (passer de 8 à 10 ou 12% au moins), ce qui limitera l’effet de levier des banques et donc leurs pertes en cas de crise. Et enfin, il faut instaurer une taxe Tobin sur tous les mouvements de capitaux et encadrer leur circulation, ce qui limitera considérablement la spéculation et fera davantage contribuer le monde financier à la collectivité, comme le propose Joseph Stiglitz.

Il y a des solutions pour remettre de l’ordre dans le système financier mondial. Mais il ne faudra pas s’arrêter à la réforme de la rémunération des traders et ne pas hésiter à s’attaquer aux structures mêmes de la finance. Malheureusement, ces solutions ne semblent guère évoquées aujourd’hui.

Source : http://cordonsbourse.blogs.liberation.fr/cori/2009/02/distribution-de.html


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