Remettre de l’ordre dans le commerce par le protectionnisme
par Laurent Herblay
samedi 14 février 2009
Depuis quelques semaines, le débat fait rage sur l’opportunité d’avoir recours au protectionnisme pour lutter contre la crise. Suite au papier de Malakine sur le blog Horizons, voici un plaidoyer pour un protectionnisme de croissance.
Pourquoi avons-nous besoin du protectionnisme ?
Sur le fond, le raisonnement est finalement assez simple : la libre concurrence entre des pays dont les écarts de salaires vont de 1 à 20 provoque inexorablement une baisse des salaires et du chômage dans les pays où ils sont plus élevés. Les Etats-Unis ont fait le choix du premier puisque le salaire d’un ouvrier Américain a baissé de plus de 10% depuis les années 70 et que le salaire minimum est passé de 8 à 5,15 dollars depuis 1966 (en dollar constant). L’Europe a choisi le chômage et la stagnation des salaires.
Les théoriciens du libre-échange auront beau rappeler toutes les belles théories écrites il y a des siècles, il ne faut pas oublier qu’à l’époque de Ricardo, les écarts de salaire allaient de 1 à 2. En outre, la théorie des avantages compétitifs a de grandes limites, tant illustrées par le fait que la Chine devient l’usine du monde, indistinctement des secteurs que par l’analyse de Jean-Luc Gréau. Bien sûr, le commerce peut être bénéfique mais il est aujourd’hui un facteur d’appauvrissement de la population des pays développés.
Maurice Allais, notre seul prix Nobel d’économie a été le pionnier de ce débat, au début des années 90. Emmanuel Todd lui a emboîté le pas et aujourd’hui Hakim El Karoui, Jean-Luc Gréau, Jacques Sapir ou Gérard Lafay plaident pour le protectionnisme. Mieux, même s’ils n’ont pas encore franchi le cap protectionniste, de nombreux économistes (Patrick Artus, Paul Krugman, prix Nobel d’économie et même Alan Greenspan) reconnaissent que le libre-échange provoque un appauvrissement des pays développés.
Le difficile débat sur le protectionnisme
Malgré cette percée idéologique, le débat est encore difficile aujourd’hui et oppose trop souvent les gentils partisans du libre-échange et les méchants protectionnistes, même si la situation s’améliore. Les premiers brandissent la crise des années 30 comme une preuve des dangers du protectionnisme alors qu’il n’était qu’une conséquence de la crise et non pas une cause…
En effet, tous les pays utilisent des formes de protectionnisme. Même l’Allemagne y a recours, par l’utilisation de normes spécifiques (les fameuses normes DIN) qui protègent leurs industriels de concurrents étrangers qui hésitent à investir pour rendre compatible leur production. L’instauration d’une TVA sociale il y a deux ans relève de la même logique. Les Etats-Unis ont une panoplie d’outils protectionnistes (pics tarifaires, réglementation de l’acier, mécanismes de rétorsion) bien plus développée qu’en Europe.
Et à l’opposé de la légende écrite par certains, le modèle de développement du Japon, de la Corée ou de la Chine associe un solide protectionnisme du marché intérieur avec le bénéfice de l’ouverture des autres. 95% des voitures achetées dans ces trois pays sont ainsi produites localement, le marché intérieur étant protégé de différentes manières. La Chine, par exemple, taxait à environ 100% les voitures importées il y a une dizaine d’années (environ 30% aujourd’hui) pour imposer aux constructeurs occidentaux à construire des usines sur place, leur imposant au passage un partenaire local pour former les futurs constructeurs locaux…
Construire un protectionnisme européen de croissance
L’établissement d’une forme de protectionnisme est donc essentiel pour permettre la hausse des salaires dans les pays occidentaux, sinon la concurrence avec les pays émergents provoquera chômage et déflation salariale. Il ne s’agit pas de retourner à l’autarcie. Il n’est en aucun cas nécessaire de remettre en cause le commerce avec des pays comparables au nôtre, ni même d’arrêter complètement le commerce avec les pays émergents. En outre, une restriction de certains commerces aura un impact écologique positif.
Il s’agit d’éviter de faire peser une concurrence destructrice pour les salaires et l’emploi. Des solutions existent. Maurice Allais recommande l’utilisation de quotas d’importations (qui pourraient être vendus) : il recommande de réserver 20% du marché industriel aux importations et 10% du marché agricole. Jean-Luc Gréau recommande des droits de douane qui seraient fonction du niveau des salaires. Enfin, il existe toujours une solution fiscale comparable à ce qu’a fait l’Allemagne avec la hausse de sa TVA.
Beaucoup affirment que de telles politiques sont impossibles, que l’Allemagne, qui profite du commerce, refusera forcément la mise en place d’un protectionnisme européen. Je n’y crois pas. Tout d’abord, chaque pays peut adapter sa fiscalité pour permettre une meilleure contribution des importations au bien-être de la collectivité. Ensuite, le souci de compétitivité allemand a des limites : depuis 10 ans, la croissance moyenne de l’Allemagne est de 0,9% et ce pays souffre de l’appauvrissement des classes moyennes. La sévérité de la crise actuelle (le PIB a reculé de 6 à 8% en rythme annuel au 4ème trimestre) peut changer les mentalités.
Les partisans du « laissez passer » oublient l’importance de la demande. La crise actuelle, qui frappe très violemment les économies exportatrices montre les carences d’un système qui déprime la consommation. Cela peut amener les premiers bénéficiaires du libre-échange à s’ouvrir à un protectionnisme de croissance.
Source : http://horizons.typepad.fr/accueil/2009/02/lalternative-protectionniste.html