Renault : mais que fait Carlos Ghosn ?

par romarin87
jeudi 9 juin 2011

Les chiffres d’immatriculations de véhicules neufs publiés par le Comité des constructeurs français d'automobiles (CCFA) pour le mois de mai ne sont pas brillants : -8,3% comparé à 2010. Pourtant, les constructeurs français ne s’en sortent pas si mal : +15,6% pour Citroën, +9,7% pour Peugeot. Et Renault dans tout ça ? -13,6% ! Score déplorable qui relègue le constructeur à la deuxième place du marché français en nombre d’immatriculations, derrière Peugeot pour la première fois, et devant Citroën de quelques centaines d'unités. Mais pour combien de jours encore ?

« Officiellement, » Renault subit de plein fouet la catastrophe japonaises : des problèmes d’approvisionnement toucheraient la production des moteurs diesel. Bernard Cambier, directeur commercial France du groupe, explique : « nous nous sommes trompés dans notre planification ­industrielle en sous-estimant la reprise de la demande française et mondiale en fin d’année dernière. » Grosse bourde en effet. Et puis, Renault serait plus dépendant du Japon que les autres constructeurs Européens ? Curieux, Peugeot aussi a annoncé des retards conséquents sur ses productions et ne se porte pas si mal ! Alors, qu’est-ce qui ne tourne plus rond chez ce fleuron créatif et technique de l’industrie française ?

Renault peine à innover

Souvenez-vous de la fierté toute française d’avoir inventé le monospace (en fait, le designer maison rentrait des Etats-Unis où il venait de croiser le chemin du Chrysler Voyager), ou celle de rouler en monospace compact avec le Scénic. Pendant 20 ans, Renault a pris des risques en inventant des segments de marchés encore inexplorés. Nous pouvons remonter encore plus loin en citant la R16, première berline à hayon dès 1965. Cette logique a cependant quelques limites si on la pousse à l’absurde. L’Avantime, puis le VelSatis sont de parfaits exemples de ratages complets. L’Avantime préparait le marché au nouveau design de Renault popularisé par la Mégane 2. Soit. Le Vel Satis se voulait un concurrent crédible et haut de gamme aux constructeurs Allemand. Plutôt que se concentrer sur le niveau de finition, la fiabilité et le brio mécanique, Renault s’est démarqué en proposant une berline bi-corps dans le seul segment ou le consommateur ne jure que par la malle arrière ! Hérésie que la clientèle huppée n’a pas manqué de snober.Alors, pardonnez-moi, mais, dans ce contexte, la Wind ne réinvente pas pas la poudre.

Renault ne comprend plus le marché

Au milieu des années 2000, la mode était aux petits SUV. Toyota avait lancé la tendance quelques années plus tôt avec le Rav4. Consommant comme un monospace compact, fun et décalé, le concept avait tout pour plaire. Trop fiers ou bornés, les constructeurs français n’ont pas souhaité développer leur propre modèle. PSA s’est appuyé sur plateforme Mitsubishi, Renault a rebadgé le Samsung QM5, devenu Koleos. Cette stratégie fonctionne sur le marché américain ou le design est une donnée secondaire. Mais en Europe, le client ne s’est pas laissé berner par ces modèles conçus à la va vite et sans âme. Résultat : des ventes décevantes et un boulevard pour les constructeurs asiatiques qui se sont pliés aux exigences européennes en ouvrant des bureaux de design en local. Même constat pour les crossovers, ces véhicules mi-SUV, mi-monospace, mi-berline. Peugeot écrase le marché français avec le 3008, première automobile française à venir par la même occasion talonner les allemand en terme de niveau de finition et d’innovation.

Toujours au même moment, le néo rétro pointait son nez avec la New Beetle, le PT Cruiser et surtout la Mini. Des ventes facilement assurées par un design sympathique et un vivier de clients acquis chez les boomers. Chez Renault… Rien ! Pourtant il y a de quoi faire : Alpine, Gordini, Dauphine… Ah si, la Twingo se dote d’un bleu Gordini et de bandes blanches à la Starsky et Hutch ! Et puis il y a la Mégane CC série limitée « Floride », du nom d’un cabriolet de la marque lancé dans les années 50 et surtout connu pour sa tenue de route plus qu’aléatoire. Pas très fin… Au même moment Fiat sort une 500 Abarth dont le kit sport est livré dans une caisse en bois et monté en concession. 160 ch de pure jubilation !

Renault n’a plus de vision stratégique

Comment des hommes aussi brillants que des polytechniciens et des énarques peuvent-ils laisser un trou béant dans la gamme ? L’Espace 4, lancé en 2002, est vendu au rabais en concession (on parle de plus de 30%). Et les clients qui mettaient plus de 40000€ dans ce type de véhicule s'en sont détournés au profit des 4x4. Le Vel Satis est mort dans l’indifférence l’année dernière, juste avant le lancement de la Latitude. Donc, deux produits à forte valeur d’image et de CA qui ne jouent plus leur rôle depuis bien longtemps.

La Laguna 3, cheval de bataille de l'objectif zéro défaut de Ghosn, ne joue pas non plus son rôle de cœur de gamme. En effet, la voiture est fiable. En effet, la voiture est bien finie. Mais quelle verrue stylistique face à une Audi A4, une Passat, une C5, ou la toute récente 508 ! L’essentiel de ses ventes concerne d’ailleurs les flottes d’entreprise. Pour corriger le tir, un coupé est lancé. Le coup de crayon est réussi compte tenu de la base (surtout l’arrière). Le comportement est excellent. Mais les moteurs ne soutiennent pas la comparaison avec la concurrence allemande. Pourquoi ne pas avoir pioché dans la banque Nissan ? Et elle est horriblement mal placée niveau prix. A ce petit jeu, une Audi A5, mieux dessinée, mieux finie et autrement mieux motorisée est bien plus avantageuse. Et elle décote moins vite que la Laguna Coupé dont les prix plongent au bout de deux ans de vie.

Enfin, les modèles qui se vendent « facilement », Twingo et Clio, commencent aussi à vieillir. Le plus grave, c’est que les seuls lancement prévus ne sont attendus qu’en 2012 : ce seront la Zoé électrique et la Clio 4. Rein de bien glorieux à se mettre sous la dent.

Et ne parlons pas du marché chinois, totalement ignoré alors que le groupe VW se taille une part de lion et que PSA s’y est implanté il y a déjà bien longtemps… Rappelez-vous la ZX sur la Grande Muraille !

Donc, revenons-en à la question initiale : que fait Carlos Ghosn ? Cet homme providentiel venu de la filiale Nissan avec tant de projets ne serait-il qu’un gestionnaire à la petite semaine ? Il semblerait que le développement d'un modèle haut-de-gamme ou d'un nouvel Espace coûtait trop cher et qu'il y avait d'autres prioritiés. Bon, d'un constructeur qui annonce comme principale excuse de ses contre performance une erreur de « planification industrielle », on peut légitimement se poser des questions de compétence !

Design timoré, logique de gamme douteuse, frilosité pathologique – ou orgueil mal placé – devant les tendances structurantes du marché… Renault reste pourtant une belle marque, chargée d’histoire(s), au palmarès établi. Ghosn aura-t-il le courage ou l'envie de la relancer au bout de 6 ans d'activité dont on ne comprend toujours pas très bien le bilan d'activité ? Ou faudra-t-il attendre l’arrivée d’un nouveau dirigeant providentiel ? Il y a de quoi s'inquiéter et c'est bien dommage.


Lire l'article complet, et les commentaires