Retour aux fondamentaux de l’entrepreneuriat : bâtir et transmettre
par Josémoneira
mercredi 20 février 2013
Quoi de plus révoltant, alors qu’on ne peut pas allumer la radio sans entendre le récit d’une nouvelle menace sur l’emploi, que de détecter dans les analyses de tel responsable politique ou de tel journaliste des relents de mépris vis-à-vis des patrons ? Des patrons qui sont même allés jusqu’à se voir qualifier par le maire de Toulouse de « voyous » et dont l’exaspération est assimilée à de capricieuses « lamentations » pour reprendre le mot d’un éditorial navrant. Pas étonnant dans ce contexte que le moral des Français soit au plus bas.
C’est dommage, car n’en déplaise aux cassandres et autres fossoyeurs de l’entreprise, l’espoir est permis. L’esprit d’entreprendre n’est pas mort, loin de là. Il est fragile mais malgré les menaces, les écueils, les tempêtes, les barrages, les rigidités, il prospère.
Il prospère dans les start-ups qui enregistrent 24 % de croissance annuelle de leurs effectifs et qui contrairement aux idées reçues embauchent majoritairement en CDI. Ifrance, Meetic, Kelkoo, Allociné sont des entreprises de croissance surfant sur une économie du net qui pèsera 130 milliards d'euros en 2015. Un montant supérieur à ceux générés par les secteurs traditionnels tels que l'énergie, les transports ou l'agriculture. Il prospère au sein des 2,5 millions de PME, chez les 700 000 artisans et les 950 000 auto-entrepreneurs. Mais il prospère aussi et surtout dans l’industrie, dont on a trop souvent tendance à prononcer l’oraison funèbre et qui continue pourtant de constituer le socle de notre économie.
Contrairement à une partie de leurs élites, cette évidence, les Français l’ont intégrée. Une étude récente menée par l’Ifop le confirme. Ils aiment leur industrie et croient en sa capacité d’évoluer. 86 % d’entre eux considèrent que les usines concentrent beaucoup de technologies ; 82 % estiment qu’elles font partie du patrimoine français et qu’elles sont un lieu de création de valeur. Les mots travail (90 %), ingénieur (90 %), entreprise (90 %), ouvrier (81 %) et usine (61 %) sont connotés positivement. Lassés des discours convenus, les Français ont soif d’information juste sur l’industrie. 86 % d’entre eux estiment que les usines sont trop peu connues du grand public. 80 % expriment le souhait d’être mieux informés. En fait, tout laisse à penser que nos compatriotes perçoivent le décalage existant entre les analyses pessimistes sur l’avenir industriel et la réalité, leur réalité. Quand on travaille dans l’industrie, quand ses parents, ses amis ou ses enfants sont ouvriers ou ingénieurs, on sait davantage de quoi on parle que celui qui n’a jamais mis ne serait-ce qu'un pied dans le monde de l'entreprise.
Leur réalité ne se résume pas au drame de Florange, elle recoupe aussi celle des success stories des fleurons industriels français. L’étude de l’Ifop montre que les Français ont envie qu’on leur parle de cette industrie qui embauche et pas seulement de celle qui licencie, de ces usines qui ont été sauvées et pas seulement de celles qui ferment.
Car l'industrie est à la recherche de main d’œuvre, c’est un fait. La fabrication de matériel de transport, d'équipements électriques, l'industrie chimique, recrutent. Pour la seule métallurgie (1,5 million de salariés), 120 000 recrutements annuels sont attendus d'ici à 2020.
Dans l’aéronautique, Safran a ouvert six usines en deux ans en France. Il a déjà annoncé l'embauche de 3 000 personnes en 2012 et prévoit de continuer à ce rythme au cours des trois à cinq prochaines années. Philippe Petitcolin, le PDG de Sagem, la filiale défense et sécurité de Safran assume « la responsabilité sociale de Safran dans la réindustrialisation de la France. » Et en début d’année, lors de l'inauguration de l'usine de Villemur-sur-Tarn (Haute-Garonne), le président de Safran, Jean-Paul Herteman, avait insisté sur le développement de son groupe : « Nous sommes une entreprise par essence mondiale puisque nous exportons 80 % de notre activité mais nos racines industrielles et technologiques sont françaises et le resteront. »
Même son de cloche optimiste chez Eiffage. Le groupe français de construction et de concessions devrait enregistrer une nette progression de ses résultats sur l'année, a annoncé en septembre son nouveau PDG Pierre Berger. « Le résultat net comme le résultat opérationnel sont en nette croissance au premier semestre et le seront aussi sur l'ensemble de l'année. » Sur les six premiers mois de l'année 2012, Eiffage a dégagé un résultat opérationnel courant en progression de 10,6%, à 499 millions d'euros, et un résultat net en croissance de 18,6%, à 51 millions d'euros. Cette bonne santé va permettre au groupe de renouer avec une stratégie de développement à l’international. Il prévoit d’augmenter de 2 à 3 milliards d’euros le niveau de ses ventes à l’étranger.
L’industrie française embauche donc, et se développe. Elle a aussi ses contre-exemples aux échecs dramatiques d’Arcelor, de Doux, de Ford, de Peugeot. L’industrie française ne raconte pas que des cauchemars mais également de belles histoires à l’instar des fleurons de l’économie numérique ou de la finance. Des histoires d’entreprises qui ont su redresser la barre avant le naufrage, innover, se forger une identité et se doter d’une bonne gouvernance.
C’est le cas d’Oberthur Fiduciaire qui après être passé au bord du dépôt de bilan au début des années 80 est aujourd’hui leader mondial dans son secteur. Rachetée par un ancien cadre bancaire en 1984 pour 1 franc symbolique, cette entreprise centenaire ne comptait plus à cette époque que 50 salariés pour un chiffre d’affaires exsangue. A part son repreneur, Jean-Pierre Savare, personne ne misait sur le succès de l’entreprise aujourd’hui dans le top 3 mondial des imprimeurs de billets de banque. 70 banques centrales -dont la BCE- lui font aujourd’hui appel pour l’impression de leurs devises. Oberthur Fiduciaire imprime chaque année 3,5 milliards de billets de banques et 1,5 milliard de documents sécurisés. L’entreprise moribonde il y a 30 ans a innové, s’est diversifiée, s’est internationalisée. Elle a racheté huit sociétés dont six étrangères, mais sa croissance externe ne l'a en rien dissuadée de préserver la totalité de l'emploi industriel en France, son berceau historique, ce qu'affirme avec une inestimable conviction son PDG, Thomas Savare : « C'est un choix qui correspond pleinement à nos valeurs. Je suis en effet persuadé qu’après les excès de la financiarisation de l’économie, nous entrerons bientôt dans une nouvelle période, marquée par le retour des entrepreneurs et d’une vision de l’entreprise davantage centrée sur les hommes qui sont sa vraie richesse ».
Comment ne pas citer également Steeltech, une société située à Sarreguemines qui fabrique des pièces d'acier utilisées dans l’exploitation minière ? En 2006, alors que fermaient les dernières mines de Lorraine, le propriétaire de l’entreprise décide de s’en séparer et la vend à un fonds de pension allemand. Liquidant le patrimoine matériel et financier de Steeltech, il laisse un trou de 9 millions d’euros dans les comptes de l’entreprise dont la fermeture est annoncée. Les salariés, au premier rang desquels bataille Guy Zins s’y refusent parce qu’ils croient aux potentialités de leur outil de travail. « Nous n'avions rien. Nous n'avions que nos idées » rappelle l’actuel PDG. De riches idées en l’occurrence : six ans après, le chiffre d'affaires a doublé et 70 nouveaux collaborateurs ont été embauchés. Steeltech multiplie les investissements et part à la conquête de nouveaux marchés. L’entreprise a également adopté une nouvelle gouvernance puisque 33% de son capital appartient aux salariés.
Safran, Eiffage, Oberthur Fiduciaire, Steeltech, et bien d’autres représentent autant de raisons de croire en l’industrie. Elles justifient aussi les actions déployées par l’Etat en faveur de réindustrialisation. Non pas pour aider des canards boîteux à survivre comme vient d’ailleurs de le rappeler le président de la nouvelle Banque publique d’investissement (BPI), mais pour faciliter le développement de secteurs et d’entreprises innovantes, enracinées dans le concret, dépositaires de richesses matérielles et humaines considérables. L’apport du FSI au groupe Daher en 2008 était ainsi vertueux s’agissant d’une entreprise ponctuellement déstabilisée par la crise financière. Les primes à la relocalisation ont été pertinentes dans le cas d’entreprises comme le fabricant de skis Rossignol. De la même manière, la promotion du « Fabriqué en France » est légitime…si elle s’accompagne d’un effort de pédagogie sur le contenu que l’on donne au label (la Citroën Picasso est fabriquée en Slovaquie quand la Toyota Yaris l’est à Valenciennes !)
Elle semble loin l’illusion du début des années 2000 qui consistait à célébrer l’économie dématérialisée. A cette époque, on se réjouissait presque de laisser la Chine devenir « l’usine du monde » et les Chinois se salir les mains. C’était alors une vision communément admise et défendue par certains chefs d’entreprise comme Serge Tchuruk, PDG d'Alcatel, qui annonçait sans tiquer la transformation de son groupe en une « entreprise sans usines ». Rares sont ceux qui dénoncèrent l’absurdité d’un tel projet. Avec le recul, on mesure l’erreur qui fut alors commise. Erreur sur le plan microéconomique si on en juge les déconvenues d’Alcatel qui vient d’annoncer de lourdes pertes cette année et la suppression de 1500 emplois en France. Erreur sur le plan macroéconomique car un pays qui produit peu importe beaucoup, et risque de perdre la maîtrise de son destin et de voir son économie transformée en château de sable...