Retour sur les coups tordus de l’ingénierie financière
par Unoeilsurlemonde
mercredi 2 février 2011
Quand on les met bout à bout, on dirait que les professionnels de la finance mondialisée alignent les filouteries comme on enfile des perles.
- La dernière décennie : un florilège de coups tordus
2001 : Enron, 100 milliards d’euros de chiffre d’affaires, falsifie ses comptes. On découvre alors que 3000 sociétés offshore ont été créées pour dissimuler les dettes du groupe. Il fait faillite… 2002 : le cours de l’action Vivendi s’effondre après la découverte du mensonge de l’année, « Vivendi est en forme olympique ». En 2004, Vivendi est épinglé par l’AMF pour diffusion de fausses informations, et par les autorités américaines pour « publications financières frauduleuses ». 2002 toujours (un grand cru, décidément) : Worldcom, le géant américain des télécommunications gonfle frauduleusement ses comptes de 11 milliards d’euros. Malgré une dette de 41 milliards d’euros, l’entreprise se place en dépôt de bilan et obtient de poursuivre son activité. Mais son patron de l’époque dort sous les verrous. 2003 : Parmalat, grâce à des manipulations comptables, cache un trou béant de 14 milliards d’euros engendré par des opérations financières aventureuses. Passons les récentes affaires SG – Kerviel, Madoff, Stanford, ou encore celle du vendeur japonais de futons. Ces gens-là sont plein d’imagination. Mais ces cas d’école sont médiatiques parce qu’ils ont été épinglés. La réalité quotidienne et omniprésente, c’est que la financiarisation a rendu certaines opérations tellement complexes que plus personne n’y comprend rien. Le patron de NYSE Euronext lui-même, en 2010, confiait que « l’opacité a augmenté sur les marchés », et redoutait encore « une série de phénomènes potentiellement dangereux et de distorsions suscitées par une fragmentation incontrôlée du marché ».
- Coups tordus : deuxième épisode
On a suffisamment entendu parler des subprimes, même si visiblement on n’en a pas encore tiré toutes les leçons. Mais aviez-vous entendu parler des « darks pools » (les « marchés occultes », en bon français) ? Les dark pools sont des sortes de « marchés fictifs » sur lesquels les établissements financiers s’échangent de gros volumes de titres de manière inaperçue. S’affranchissant ainsi des conditions de marché (puisque le rapport entre l’offre et la demande est censé régir le cours des titres), ce système opaque permet aux opérateurs d’échapper aux variations de prix des titres lors de l’échange. Comment est-ce possible ? Une directive européenne de 2008 a simplement cassé le monopole des bourses, où les mouvements étaient centralisés, donc contrôlables. Chacun désormais fait ce qu’il veut, où il veut.
Autre sujet brûlant aux Etats-Unis : le « Foreclosure Gate » (ou « scandale des saisies ») qui risque de faire du dégât. Le système informatique MERS, où sont consignées toutes les opérations immobilières du pays, serait défaillant et des banques seraient incapables de prouver qu’elles détiennent une hypothèque. Cela pourrait conduire à l’annulation de millions d’actes de vente ou d’achat, et certains établissements sont déjà soupçonnés d’avoir falsifié des documents pour abuser des propriétaires.
- Des fonds vautours à l’insécurité permanente
Tous les coups sont permis. Il existe des fonds d’investissement spéculatifs passés maîtres dans l’art de racheter des dettes. Mais pas n’importe lesquelles : celles des pays pauvres ! Une enquête de France 24 en cite les principaux : Debt Advisory International, Donegal International Elliott Associates L.P., FG Hemisphere, Kensington International Ltd… Leur pratique consiste à racheter à bas prix des parts de la dette des pays du sud, pour ensuite intenter des procès contre ces pays en vue d’obtenir le remboursement intégral des créances, intérêts compris…
Ces pratiques de prédation se développent aussi à nos portes. Certains fonds spéculatifs sont spécialisés dans la traque aux entreprises en difficulté, comme l’explique Le Monde : « dans un premier temps, ils achètent, sur le marché de la dette "décotée", les obligations d'une entreprise en difficulté. Puis ils s'invitent à la table des négociations de la restructuration avec les autres créanciers. Leur objectif : obtenir la revalorisation de leurs créances ou les convertir en fonds propres de la société. En six mois, l'opération doit leur permettre de réaliser un profit moyen d'au moins 15 %. » Ils auraient notamment prospéré grâce aux faillites d’Enron et de Worldcom, et s’en seraient pris à Eurotunnel, Bull ou Alstom. « Les acteurs les plus souvent cités dans les opérations de restructuration sont d'origine anglo-saxonne. Il s'agit de Cerberus Capital Management, Strategic Value Partners, Trafalgar Asset Managers, Oaktree Capital Management et Soros Fund Management », précise le Monde.
Dernièrement, c’est le patron du groupe Belvédère qui a effectué une sortie médiatique remarquée, dans laquelle il affirmait qu’il « est de notoriété publique que Belvédère subit depuis deux ans une opération de harcèlement organisée et coordonnée sur plusieurs pays par des hedge funds conseillés par la Banque Lazard ». Belvédère, qui figure parmi les leaders mondiaux des spiritueux, reproche aussi à l’AMF son indifférence quant aux agissements de fonds étrangers sur le territoire français : « Comment se fait-il que l'AMF, une Institution Indépendante Française, soit manifestement plus prompte à communiquer sur Belvédère et ses dirigeants, plutôt que sur ses assaillants ? ». La technique employée dans l’affaire Belvédère est identique à celle dénoncée dans l’article du Monde évoqué précédemment (le principal créancier de Belvédère serait d’ailleurs Oaktree Capital Management). Belvédère est une cible de choix. Ce qui interpelle, en l’occurrence, c’est qu’un hedge fund a décidé de s’en prendre à une entreprise « en bonne santé financière », comme le rapporte L’Express. La moindre faille juridique est exploitée et bien que l’entreprise soit saine et rentable elle pourrait bien, via cet acharnement procédurier, passer sous contrôle américain. Pourtant, jeudi dernier, le titre Belvédère bondissait de 4% après que le groupe ait annoncé le versement d’une somme importante au titre du remboursement de sa créance, pour « couper court à toute polémique ». L’avocat de Belvédère s’étonnait d’ailleurs en décembre d’un risque de redressement judiciaire alors même que le groupe dispose d’une abondante trésorerie et d’un « cash largement supérieur à son échéance théorique ». C’est une bataille judiciaire qui s’engage, semble-t-il, entre l’entreprise et ses créanciers (représentés par la BNY Mellon). Le procéduralisme l’emportera t-il sur la logique économique ? Réponse dans quelques semaines, puisque le Tribunal de commerce de Dijon doit rendre une décision cruciale pour l’avenir de l’entreprise dans le courant du mois.
En tout cas, la crise est passée ; et malgré tout, on n’a pas fini d’entendre parler de « scandales financiers » !
Pour aller plus loin :
http://trends.rnews.be/fr/economie/actualite/banque-et-finance/l-opacite-a-augmente-sur-les-marches/article-1194709881966.htm
http://www.marianne2.fr/Dark-pools-le-nouveau-visage-de-l-horreur-financiere_a189527.html
http://www.objectifeco.com/economie/anticipations-tendances/article/foreclosuregate-v-quoiqu-en-disent-les-banques-impliquees-c-est-une-affaire-tres-grave
http://www.france24.com/fr/20070924-les-fonds-vautours-economie-mondiale
http://www.lemonde.fr/economie/article/2006/04/12/les-fonds-vautours-predateurs-d-entreprises-au-bord-de-la-faillite_760837_3234.html
http://www.tradingsat.com/actu-bourse-176233-BVD.html
Pour aller plus loin :
http://trends.rnews.be/fr/economie/actualite/banque-et-finance/l-opacite-a-augmente-sur-les-marches/article-1194709881966.htm
http://www.marianne2.fr/Dark-pools-le-nouveau-visage-de-l-horreur-financiere_a189527.html
http://www.objectifeco.com/economie/anticipations-tendances/article/foreclosuregate-v-quoiqu-en-disent-les-banques-impliquees-c-est-une-affaire-tres-grave
http://www.france24.com/fr/20070924-les-fonds-vautours-economie-mondiale
http://www.lemonde.fr/economie/article/2006/04/12/les-fonds-vautours-predateurs-d-entreprises-au-bord-de-la-faillite_760837_3234.html
http://www.tradingsat.com/actu-bourse-176233-BVD.html