Retraites du secteur public : inéquité, mensonge et déficit

par JDCh
lundi 18 septembre 2006

 

Avant l’été, notre valeureux Minefi révélait que la dette publique de la France était de 1200 milliards d’euros et avouait qu’il fallait y ajouter la retraite des fonctionnaires pour un montant de 800 milliards, ce qui nous amenait gentiment à 2000 milliards d’euros (soit plus que le PIB de notre cher pays et alors que le critère de Maastricht nous impose un maximum à 60% du PIB).

Ces fameux 800 milliards supplémentaires que j’ai trouvés, dans un premier temps, assez mystérieux, et que j’ai imaginés être plus "comptables" que "réels", sont, en fait, la conséquence d’un mensonge et d’un tabou bien entretenu : nos fonctionnaires ne cotisent pas pour leur retraite !

La lecture du Point fin août m’a finalement apporté l’explication et j’ai pensé utile de la reformuler de façon simple pour que cet état de fait soit connu et compris par le plus grand nombre.

Vous noterez que le graphique vertigineux produit par la commission Pebereau ne tient pas compte de ces fameux 800 milliards ni de l’accroissement de 2004 à 2500 de plus de 100 milliards. Il n’en reste pas moins la parfaite illustration de la mauvaise pente dans laquelle nous sommes entraînés.

Revenons à nos retraites et à notre système, soi-disant égalitaire, de répartition, et prenons le cas de la retraite des salariés du secteur privé que tout le monde a en tête. Le système est simple : les actifs cotisent un certain pourcentage de leurs salaires auprès de la CNAV et d’organismes comme l’AGIRC (cadres) et l’ARCCO (non cadres). Cet argent est utilisé immédiatement pour payer les retraites des anciens salariés du privé. Si le nombre de retraités augmente par rapport au nombre de cotisants et si l’on veut éviter un déficit chronique, voire exponentiel, on a plusieurs moyens :

  • augmenter le montant des cotisations ce qui baisse le salaire net des actifs : ceci a d’ailleurs été fait depuis vingt ans de façon régulière
  • baisser le montant des droits à la retraite, ce qui baissera la retraite des actifs au moment de leur retraite : ceci a été fait en prenant comme salaire de référence les 25 meilleures années au lieu des 10 meilleures
  • rallonger la durée du travail avant retraite, ce qui repousse la date de départ à la retraite des actifs : ceci a été fait en augmentant le nombre de trimestres de cotisations.

Les actifs actuels que nous sommes "paient et paieront" le fait que leurs parents vivent plus vieux, que leurs parents aient fait beaucoup d’enfants (pour les "baby boomers" nés entre 1945 et 1965) ou que leurs parents n’en aient pas fait assez (ceux nés après 1970).

La réforme Fillon, en 2003, qui faisait suite à la réforme Balladur, en est l’expression : beaucoup s’accordent à dire qu’elle ne sera pas suffisante pour absorber la période de retraite des "paby-boomers" (nés entre 1945-1965 et donc à la retraite entre 2005 et 2050). Seule conclusion pour les "papy boomers" : se constituer d’ici là une épargne complémentaire permettant de ne pas trop souffrir financièrement le jour venu.

Mais tel n’est pas l’objet de ce "post"...

La situation des fonctionnaires et des salariés des grandes entreprises publiques (EDF, GDF, SNCF, RATP, La Poste... que j’appellerai dans ce "post" les GFI - gouffres financiers institutionnalisés) est, quant à elle, bien plus confortable. Aucune corrélation n’est faite entre les cotisations récoltées (qui sont totalement fictives car de simples écritures sur la feuille de traitement des fonctionnaires) et les retraites versées, puisque l’État est son propre "assureur-vieillesse" et que les cotisations des salariés des GFI sont en cours de transfert vers le régime général pour diluer le déficit des régimes spéciaux, en cacher les déficits astronomiques et "faire payer" du même coup les salariés du privé ou les contribuables (le rapport annoncé de la Cour des comptes, jugeant préoccupante la situation de la branche vieillesse de la Sécu, devrait, je l’espère, nous en apprendre plus).

Concernant les GFI...

Les négociations des GFI entreprise par entreprise avec la CNAV et l’AGIRC/ARRCO (sous l’égide d’un État qui est actionnaire des uns et "régulateur/décideur" des autres, ce qui garantit la plus grande transparence... !) sont plus ou moins avancées : le statut d’entreprise cotée en bourse d’EDF et GDF a rendu ces négociations nécessaires : si on avait demandé à ces deux entreprises d’assumer financièrement le coût du statut de leurs salariés et retraités, leur faillite aurait été rapide et cela n’aurait pas fait très propre au moment de leur mise en Bourse !

Mais non seulement les "soldes de tout compte" versés par EDF (et sans doute GDF) à la CNAV ne correspondent pas à la réalité des coûts à venir mais, en plus, aucune réforme du statut des salariés en activité ou à recruter n’a été élaborée... Pas bien grave, les salariés du privé paieront la différence...

Concernant la SNCF, la RATP, la Poste... les mêmes discussions doivent avoir lieu et aboutir en 2007. Il est prévu que l’État (donc les contribuables) assume l’écart économique (appelé "soulte") entre ces régimes coûteux et le régime général. Encore une fois, le contribuable sera le payeur...

Rappelons que les principales différences des systèmes de retraite entre un salarié du privé et un salarié d’un GFI sont extrêmement lourdes. Elles sont même colossales :

  • cotisations "salariales" à 10,35% contre 7,85% pour les GFI : injustifiable différence surtout quand les droits associés sont bien supérieurs (et j’imagine qu’il y aussi une différence côté charges "patronales")
  • durée de cotisation à 40 ans contre 37,5 ans : ce qui explique en partie que les retraités des GFI ont une espérance de vie de 28 ans à la retraite contre 22,5 ans pour les salariés du privé. Les autres explications étant la date d’entrée dans la vie active plus tardive dans le privé, le fait de ne pas connaître de périodes de chômage et sans doute le "stress tout au long de la vie" !
  • salaire de référence pris comme la moyenne des 25 meilleures années contre les 6 derniers mois : c’est là que se trouve l’inéquité majeure et on imagine toutes les coutumes/magouilles consistant à augmenter fortement le salarié du GFI en fin d’activité
  • évolution des retraites suivant l’indice du coût de la vie contre évolution générale des salaires de chaque entreprise du GFI : ici on explique la solidarité entre salariés actifs et retraités de ces "grandes maisons"
  • décote de 10% par année de cotisation manquante contre aucune décote (sans oublier que le cumul emploi-retraite est libre pour les GFI et "cappé" pour nous autres...).

S’éclairer à la bougie et marcher à pied pendant quelques mois de grève est sans doute le seul scénario envisageable : j’y suis prêt...

Monsieur Fillon a cette semaine indiqué qu’il souhaitait une réforme rapide de ces régimes spéciaux. Le voilà marchant dans les pas de Juppé qui s’y était attaqué en 1995. C’est en tout cas courageux d’annoncer cela en pleine campagne présidentielle. Souhaitons que les Français comprennent que ce "parler vrai" est dans leur intérêt...

Concernant les fonctionnaires...

Le statut des fonctionnaires retraités ressemble beaucoup à celui des salariés/retraités des GFI si ce n’est qu’un modeste alignement avec les salariés du privé a été opéré en 2004 :

  • durée de cotisation portée à 40 ans en 2008
  • évolution du montant de la retraite suivant le même indice du coût de la vie depuis 2004
  • alignement de la décote en cas d’année de cotisation manquante alignée à partir de 2015.

La principale et colossale différence qui demeure est celle du salaire de référence (6 derniers mois contre moyenne des 25 meilleures années) que l’on peut estimer à près de 50% d’écart sur le montant de la retraite perçue en ayant eu une trajectoire salariale similaire !

On ajoutera, élément marginal mais emblématique, que de véritables et avantageux systèmes de retraite par capitalisation sont accessibles aux fonctionnaires (CREF, CGOS et la fameuse PREFON) : une rente viagère très attractive à laquelle tous mes conscrits anciens fonctionnaires sont ravis de cotiser... (ceci dit, il semble qu’il n’y ait que 600 000 actuels ou anciens fonctionnaires, mutualistes et salariés du secteur public sur un potentiel de 10 000 000 qui l’utilisent : ignorance, idéologie, absolue confiance dans le lendemain ?).

En réalité, la notion de durée de cotisation est non seulement à l’initiative du fonctionnaire à qui on ne peut imposer de prendre sa retraite mais surtout assez neutre pour le budget (et déficit associé) de l’État : c’est là que se situe le grand mensonge...

 

 

Comme évoqué plus haut, les cotisations inscrites sur les feuilles de traitement de nos chers fonctionnaires sont fictives : une simple écriture de l’État qui devrait se verser à lui-même cette somme avant de la verser aux retraités fonctionnaires.

Cette "simple écriture" rend les discours politiques sur la réduction des dépenses publiques totalement mensongers et manipulateurs : quand un Coppé annonce fièrement qu’il ne va remplacer que 2 fonctionnaires sur 3, il énonce un ratio qui n’a aucun impact économique favorable à court terme, mais il aime bien nous le faire croire...

En effet, le ratio sordide qui signifierait quelque chose serait le taux de remplacement des fonctionnaires décédés multiplié par le taux de conversion (aujourd’hui entre 75% et 80%) des retraites de cette population, corrigé de l’effet positif de l’arrivée de jeunes fonctionnaires aux salaires plus faibles : bref, vous avez compris, le budget de l’État dépend de l’espérance de vie à la retraite des retraités fonctionnaires et de leurs conjoints qui, il se trouve, est supérieure à celle des salariés du privé.

Avez-vous déjà entendu un homme ou femme politique citer le "taux de mortalité" des anciens fonctionnaires et de leurs conjoints ? Evidemment non... Avez-vous déjà entendu un homme ou femme politique constater en toute objectivité que le phénomène du "papy-boom" ne commençant à s’estomper qu’entre 2040 et 2050 "grâce" au décès d’une génération, il faudrait pour réduire le budget de l’État (avant que mon fils, qui en a 17, ait 57 ans ou moi 83 ans !) faire une vraie réforme du régime de retraite des fonctionnaires ? Pas encore...

Le calcul est compliqué mais les seuls "remèdes de cheval" qui permettraient d’éviter cette lente agonie semblent être :

  • aligner immédiatement le régime de retraite des fonctionnaires encore actifs sur celui des salariés du privé : notamment le salaire de référence calculé sur les 25 meilleures années au lieu des 6 derniers mois
  • geler la pension des anciens fonctionnaires déjà à la retraite : un peu raide si l’inflation redémarre
  • geler toute embauche dans la fonction publique jusqu’en 2030 voire 2040 : bien évidemment, un peu théorique !

Pas très réaliste, bien sûr, mais les autres scénarios sont peu enthousiasmants : nous avons le choix entre Soleil vert (très bon film de SciFi qui m’avait beaucoup marqué à sa sortie dans les années 1970, cf. Soleil Vert) ou la faillite !

Conclusion

Oui, il faut très rapidement aligner les régimes spéciaux sur le régime général des salariés du privé. Il semble que 59% des Français en soient convaincus (voir sondage paru cette semaine). Espérons, une fois encore, que cette vérité ne nuira pas à ceux qui la disent.

Non, la réforme Fillon de 2003 du régime de retraite des fonctionnaires n’a rien résolu. Ce régime va peser pendant encore 40 ans sur le budget de l’État. Le réformer en l’alignant sur le régime des salariés du privé est également absolument nécessaire pour en amoindrir le coût astronomique pour l’instant "hors bilan" dans nos comptes publics. Espérons que certains sauront également dire cette vérité...

En effet, quitte à voir le pays bloqué pendant quelques semaines à la rentrée 2007 par nos chers syndicats (CGT, FO, SUD...), chantres de la défense des avantages inéquitables, autant traiter les deux systèmes d’un coup !

Dernière minute

J’entendais hier soir Henri Emmanuelli indiquer que ces régimes spéciaux sont contractuels et qu’on ne peut changer un contrat : voilà un homme politique plein de courage et de capacité à réformer ! Il me semble, par ailleurs, que les salariés du privé avaient également un contrat, et que l’on a décidé déjà par deux fois de le leur changer...

Monsieur Emmanuelli indiquait également, comme "argument massue", que les salariés des GFI (et il aurait dit la même chose des fonctionnaires) ne sont pas des privilégiés comparés, par exemple, à des grands patrons : il a raison, mais il compare 5 millions de favorisés à quelques dizaines de privilégiés et pourquoi ces 5 millions de salariés seraient-ils favorisés de façon si extrême par rapport aux 15 millions de salariés du privé ?

Il est vrai que les fonctionnaires et salariés des GFI sont les principaux (et seuls) clients de Fabulius (que Monsieur Emmanuelli soutient dans sa candidature à la présidentielle...). Est-ce une raison suffisante pour tenir une telle argumentation et faire preuve d’aussi peu de courage ?

En fait et en réalité, il ne s’agit pas d’opposer les salariés du privé et leurs homologues du secteur public, mais de traiter un problème intergénérationnel lourd : quel système sommes-nous en train de livrer à nos enfants ?

J’avais, d’ailleurs, imaginé, il y a six mois, un aboutissement positif et encourageant (cf "post" I had a dream...) à cet enjeu : la vision se transformerait-elle en réalité ?

 


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