Retraites et chômage : alerte incendie, tout le monde à son poste !
par Renaud Bouchard
lundi 11 janvier 2010
Gouverner c’est prévoir, aurait dit Emile de Girardin. Mais gouverner, c’est aussi décider…y compris avoir le courage politique de prendre tant qu’il en est encore temps les mesures les plus impopulaires qui soient pour, en premier lieu, repartir sur d’autres bases saines plutôt que de s’acharner à gérer la pénurie d’un système à bout de souffle comme le montre l’explosive question des retraites.
Selon un sondage Ifop paru ce dimanche 10 janvier 2010 dans le Journal du Dimanche (JDD), http://www.lejdd.fr/sondage/retraites :-les-francais-peu-confiants-154.html , c’est un sentiment d’inquiétude qui domine dans l’opinion. Car même s’ils se disent prêts à faire des efforts - par pragmatisme ou résignation - en déclarant qu’ils accepteraient de travailler jusqu’à quasiment 62 ans, les Français sont 76% à être pas du tout ou plutôt pas confiants quant à la garantie de toucher plus tard une retraite satisfaisante par rapport à leurs revenus.
La question des retraites, avec celle du chômage, points cardinaux et enjeux de la prochaine élection présidentielle, sont les ingrédients qui vont en effet, à moins d’une décision immédiate, conduire à l’explosion de ce quinquennat qui court sur son erre.
Il faut en effet répondre aux multiples défis auxquels l’assurance vieillesse est confrontée : vieillissement de la population, allongement de la durée de vie, départs massifs à la retraite de la génération baby-boom.
Comme l’écrit Hakim El Fattah, ces défis sont incontestablement des tendances lourdes dont les conséquences se vérifient à travers les déficits importants de cette branche. Ainsi, pour l’ensemble des régimes obligatoires de base, le déficit devrait être de 9,5 milliards d’euros en 2009, contre 7,2 milliards prévus dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, et atteindrait, à législation constante, près de 15,7 milliards d’euros en 2013. A quoi, il faut rajouter le déficit du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) qui sera de 3 milliards d’euros en 2009.
La branche retraite du régime général est passée en quelques années d’un excédent en 2003-2004 à un déficit important en 2007, de plus 4,5 milliards d’euros. En 2008, ce déficit s’est creusé de 1,2 milliard d’euros pour atteindre 5,6 milliards d’euros et devrait poursuivre sa dégradation en 2009 et dépasser les 8,2 milliards d’euros. Le déficit dépasserait les 10,5 milliards d’euros en 2010 et, selon les projections figurant à l’annexe B du projet de loi, atteindrait, à législation constante, 14,5 milliards d’euros en 2013.1
La crise actuelle n’épargne pas les régimes de retraite ; ainsi, alors que le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 prévoyait des recettes à hauteur de 95,3 milliards d’euros pour la branche vieillesse du régime général, les prévisions révisées inscrites à l’article 4 du présent projet sont de 90,7 milliards d’euros, ce qui explique pour l’essentiel l’aggravation du déficit.
Le projet de LFSS pour 2010 ne prévoit pas de dispositions importantes qui auraient pour objectif de répondre aux difficultés de l’assurance vieillesse. L’avenir de cette dernière fera l’objet d’un grand débat national en 2010. Le Président de la République a en effet programmé l’organisation de ce débat devant le Congrès, le 22 juin 2009, en affirmant que « 2010 sera un rendez-vous capital. Il faudra, a-t-il dit, que tout soit mis sur la table : l’âge de la retraite, la durée de cotisation et, bien sûr, la pénibilité. Toutes les options seront examinées. Les partenaires sociaux feront des propositions. Je n’ai nullement l’intention de fermer le débat au moment même où je l’ouvre. Mais quand viendra le temps de la décision, à la mi-2010, que nul ne doute que le Gouvernement prendra ses responsabilités. C’est une question d’honneur, c’est une question de morale à l’endroit des générations qui vont nous suivre ».1
Dont acte, mais qu’en sera-t-il dans les faits ? Car la question qui se pose n’a en effet rien à voir avec l’honneur ni même avec la morale, mais tout simplement avec une balance comptable entre des ressources (à l’heure actuelle de l’ordre de l’hypothèse ou du vœux pieux) et des dépenses (bien réelles, quant à elles, et prévisibles dès lors que l’hémorragie est constatée).
La réunion que le Conseil d’orientation des retraites a tenue le 16 septembre 2009 a été consacrée à la préparation du prochain rapport¹ sur les modalités techniques d’un passage éventuel vers un régime en points ou un régime en comptes notionnels², en réponse à la demande du parlement. Elle a été l’occasion de présenter, d’une part, les questions liées à la transition d’un régime en annuités à un régime en comptes notionnels ou en points (documents n°2 en pièce jointe), d’autre part, les premiers, résultats de simulations, demandées par le secrétariat général du COR à la CNAV, illustrant certains effets du passage à un système en points (documents n°3).
Comme l’expliquent Christophe Albert et Jean-Baptiste Oliveau dans leur rapport intitulé Simulations, à l’aide du modèle PRISME de la CNAV, des effets du passage du calcul des pensions au régime général à un système en points, la question de l’évolution éventuelle des régimes de retraite par répartition fondés sur la technique du calcul des droits à retraite en annuités vers un système utilisant d’autres techniques, tout en restant en répartition, requiert des analyses approfondies. Rappelant que le débat sur cette question a notamment été alimenté en 2008 par un article d’Antoine Bozio et Thomas Piketty, (" Pour un nouveau système de retraite : des comptes individuels de cotisations financés par répartition", Bozio A. et Piketty T., Coll. du Cepremap n°14, éd. Rue d’Ulm (2008), les auteurs évoquent le rapport du Conseil d’Orientation des Retraites (COR), à l’attention du Parlement, sur « les modalités techniques de remplacement du calcul des pensions personnelles par les régimes de base d’assurance vieillesse légalement obligatoires, soit par un régime par points, soit par un régime de comptes notionnels de retraite fonctionnant l’un comme l’autre par répartition ».
Les services de la CNAV participent en effet aux travaux du COR dans ce cadre, en s’appuyant sur les réflexions et les travaux de modélisation qu’ils ont menés au cours des dernières années. Très prudents puisqu’ils ne manquent pas d’indiquer en effet que par ces mêmes travaux ils n’entendent pas prendre parti sur le bien fondé ou non d’une telle évolution vers un régime par points ou en comptes notionnels, les auteurs font toutefois valoir qu’il apparaît utile néanmoins de verser au débat des éléments techniques indispensables à l’appréciation des conséquences de cette éventuelle transition. Ils s’appuient pour ce faire sur les éléments dont dispose la CNAV : des bases de données détaillées et un outil central, le modèle de projection PRISME. Leur étude vise ainsi à étudier les effets que pourrait avoir sur le régime général le passage d’un calcul des pensions en annuités, comme c’est le cas actuellement, à un calcul en points.
L’intérêt d’un modèle de micro simulation tel que PRISME , expliquent-ils, est qu’il permet d’analyser les effets en termes de redistribution intra-générationnelle d’un tel changement. Le choix, expliquent-ils encore, est fait dans les simulations qu’ils présentent de se placer autant que possible « toutes choses égales par ailleurs » notamment à solde du régime inchangé, en conservant les éléments non contributifs actuels et avec un niveau de ressources identique. Ce choix permet en effet d’analyser les seuls effets du mode de calcul des droits (en annuités ou en points). Il ne signifie en aucune manière que le passage éventuel à un régime en points doive se faire sous de telles hypothèses. En particulier, la question du retour à l’équilibre financier des régimes se pose dans tous les cas, que le régime soit en annuités, en points ou en comptes notionnels, de même que celle des évolutions possibles des éléments de solidarité actuels.
¹ C’est l’article 75 de la LFSS 2009, qui prévoit que le COR réalise un rapport sur les modalités techniques d’un passage éventuel d’un régime en annuités à un régime de comptes notionnels ou par points.
² Dans le régime des comptes notionnels, chaque assuré acquiert un capital virtuel de droits à retraite qui reflète les cotisations versées ; il peut se comparer à cet égard au régime par points. Cependant, dans le premier régime, la valeur du capital varie en fonction de l’espérance de vie de la génération de l’assuré et de son âge au moment du départ en retraite. Ainsi, les notions d’âge légal de la retraite et de durée d’assurance n’ont pas de fondement dans les régimes notionnels à cotisations définies. 2
Mais que le « grand public » peut-il comprendre à ces études remarquablement précises dès lors qu’il n’attend qu’une réponse à la question qu’il se pose : « quand vais-je pouvoir prendre ma retraite, à quel taux, et les revenus qui me seront versés seront-ils en mesure de subvenir à mes besoins ? » Pas grand-chose. A moins qu’on le tranquillise en lui expliquant sereinement, sans fioritures, qu’il existe non seulement un extincteur mais aussi une issue de secours pour peu qu’il veuille bien les utiliser.
Mieux qu’une réponse, la solution existe-t-elle ? Bien évidemment, à ceci près qu’elle suppose l’arrêt complet de l’appareil avec - condition sine qua non - le courage d’une décision immédiate qui consiste à poser comme nécessaire et inéluctable l’obligation de rajuster les retraités présents et futurs à la péréquation d’un revenu unique pour tout le monde, sorte de « période spéciale », le temps de résoudre le deuxième problème : le chômage, lequel requiert pour ce faire une révision et une remise en cause complètes des promesses de campagne formulées en 2007 par le Chef de l’Etat.
Ce qu’il faut comprendre - mais une lecture attentive et préalable du rapport précité s’impose, lecture réellement intéressante - c’est que les graphes retenus permettent en effet d’observer la distribution des pensions de ceux dont la pension serait plus élevée (respectivement plus faible) avec les nouvelles règles, par sexe et pour les pensions liquidées en 2050. En comparant les pensions du régime actuel et celles du régime en points, les auteurs montrent en effet :
- que l’on assiste bien à un « recentrage » des pensions, puisque les pensions avec les règles actuelles de ceux qui seraient désavantagés par la transition sont relativement élevées, alors qu’à l’inverse les pensions avec les règles actuelles de ceux qui seraient avantagés sont plus faibles ;
- que néanmoins, les pensions en points de ceux qui seraient désavantagés par le passage à un régime en points restent supérieures aux pensions en points de ceux qui seraient avantagés par le changement de règles (sauf pour les pensions les plus élevées).
Note :
PRISME (Projection des RetraItes, Simulations, Modélisation et Evaluations) est le modèle de
micro-simulation dynamique créé par la CNAV, afin d’évaluer les conséquences globales et individuelles des changements de législation passés (et futurs). Il s’appuie sur un échantillon de plus de 4 millions d’individus et permet (entre autres) de projeter la carrière et le départ en retraite de ceux-ci à l’horizon 2050. Les retraites simulées dans PRISME sont les pensions de base (droit propre et réversion) versées par le régime général (hors pensions de base autre régime et hors pensions complémentaires).
Sources et références :
http://www.dialogue-social.fr/fr/retraite/seniors.html
08-12-2009
L’avenir incertain de l’assurance vieillesse.
25-11-2009
L’Assurance Retraite publie son baromètre annuel sur « Les Français et la retraite ».
02-11-2009
Personnes âgées et handicapées : installation du nouveau conseil de la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (CNSA).
20-10-2009
Cumul emploi retraite et retraite progressive : un point commun et beaucoup de différences.
20-10-2009
Quelles sont les motivations des départs à la retraite en Europe : situation personnelle, familiale, professionnelle, ou rôle de la protection sociale ?
Retraite : dossier spécial dans Le Nouvel Observateur.
12-10-2009
Le droit à l’indemnité de départ à la retraite.
07-10-2009
Conseil d’orientation des retraites (COR) : les modalités techniques d’un passage éventuel vers un régime en points ou un régime en comptes notionnels.
http://www.cor-retraites.fr/article359.html,
Voir aussi :
" Pour un nouveau système de retraite : des comptes individuels de cotisations financés par répartition", Bozio et Piketty T., Coll. du Cepremap n°14, éd. Rue d’Ulm (2008)
« Le Fonds de réserve pour les retraites, bilan et perspectives », Anne Lavigne http://www.cairn.info/revue-regards-croises-sur-l-economie-2008-1-p-187.htm
LAVIGNE Anne (2003), "Pension Funds in France : Still a Dead End ?", Geneva Papers on Risk and Insurance, Issues and Practice, 28(1), 127-150.
LAVIGNE Anne (2003), "Analysing French Pension Reforms ?", Geneva Papers on Risk and Insurance, Issues and Practice, 28(4), 727-733.
LAVIGNE Anne (2007), (en collaboration avec Ch. Berger), "A Model of the French Pension Reserve Fund : what could be the Optimal Contribution Path Rate ?", Journal of Pension Economics and Finance, 6(3), 1-18
A consulter à partir de http://www.univ-orleans.fr/leo/pages/articles.htm
1 Hakim EL FATTAH, L’ avenir incertain de l’assurance vieillesse.
Rapport fait au nom de la Commission des affaires sociales sur le projet de L.F.S.S. pour 2010. Octobre 2009. in Dialogue Social, 08-12-2009.
2 Hakim EL FATTAH, Conseil d’orientation des retraites (COR) : les modalités techniques d’un passage éventuel vers un régime en points ou un régime en comptes notionnels. In Dialogue Social, 07-10-2009.
Documents joints :
Document 3 : Simulations, à l’aide du modèle PRISME de la CNAV, des effets du passage du calcul des pensions au régime général à un système en points.
Document 2 : questions liées à la transition d’un régime de retraite en annuités à un régime en comptes notionnels.
Document 1 : note de présentation générale.
Pour la lecture et l’étude précise de ces documents, consulter http://www.cor-retraites.fr/article359.html, site du Conseil d’orientation des retraites.