Salaire maximum : des patrons moins bien payés pour des entreprises moins compétitives ? Pas forcément
par Guillaume
mercredi 6 août 2014
Alors qu’en Suisse l’hypothèse de la création du salaire minimum le plus élevé du monde faisait débat il y a quelques semaines, avant d’être balayée par référendum, l’instauration d’un salaire maximum est elle aussi de plus en plus discutée. Une solution également envisagée ailleurs dans le monde, notamment en France.
Des inégalités en hausse constante
A en croire le dernier rapport en date du High Pay Center, publié mi-juillet, entre le début des années 1980 et 2012, le revenu annuel moyen des PDG des cent entreprises britanniques les mieux capitalisées à la bourse de Londres est passé de 200 000 livres à 4,3 millions de livres. Si, il y a 30 ans, ces grands patrons gagnaient environ 20 fois plus que la moyenne des travailleurs britanniques, en 2012 c’est 160 fois plus.
Aux Etats-Unis, les rémunérations des PDG des grands groupes sont passées de 20 fois le salaire ouvrier moyen en 1980 à 85 fois en 1990 et… 531 fois en 2000. Des données édifiantes, alors que l’accroissement des inégalités en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis, mais aussi en France, résulte essentiellement de l’augmentation beaucoup plus rapide que la moyenne des 1% des plus hauts revenus.
D’où une question, pertinente, alors que le sujet de l’instauration d’un salaire minimum est sur toutes les lèvres : et si on réfléchissait aussi à la création d’un salaire maximum ? En Suisse, où l’on se creuse décidément beaucoup la cervelle avec ces histoires de salaires, on a encore une fois soumis l’idée à un référendum. C’était en novembre 2013, et le projet proposait de limiter le salaire des patrons à douze fois le salaire le plus bas de leur entreprise. 65 % des Suisses ont rejeté cette option, ce qui fait tout de même 35 % de personnes favorables à l’instauration d’un salaire plafond. Pas si mal.
La même idée avait été défendue par le Front de gauche en 2012. Il proposait alors, par la voix de Jean-Luc Mélanchon, de limiter le salaire des patrons à 20 fois le salaire le plus bas de leur entreprise. Avant lui, au début des années 80, Georges Marchais, emblématique Secrétaire Général du Parti Communiste, s’illustrait déjà par ses prises de position radicales sur la question, affirmant au micro de Jean-Pierre Elkabbach : « Au-dessus de 40 000 francs, je prends tout ! ». A bien y regarder, l’idée même d’un salaire maximum remonte à la nuit des temps. Au Ve siècle avant JC, Platon estimait qu’il appartenait au législateur d’ « établir quelles sont les limites acceptables à la richesse et à la pauvreté », et proposait un rapport, ambitieux, de 1 à 4.
Les estimations de Platon, il y a 2 millénaires et demi, n’ont pas tant bougé. En 1998, Thomas Piketty demandait aux Français quels devraient être selon eux les revenus mensuels respectifs d’un cadre supérieur d’une grande entreprise et d’une caissière de supermarché. Réponses : 27 300 francs pour le premier, 7 477 francs pour la seconde, soit un rapport de 1 à 3,6 – alors que l’écart réel de ces deux catégories était, à l’époque, au moins de 1 à 9.
Le salaire maximum, pas forcément démotivant – le cas Henri Proglio
Les enquêtes d’opinion publiées sur le sujet l’affirment régulièrement, plus de 80 % des Français estiment que les inégalités sont trop fortes dans notre pays. Oui mais voilà, si le sujet de l’instauration d’un plafond des salaires joue l’Arlésienne depuis plus de 2 000 ans, ce n’est pas tout à fait un hasard. Délicat à mettre en œuvre, il est l’objet de nombreuses critiques. Première d’entre elles, la réduction de l’incitation à innover qu’entrainerait une telle politique. Autrement dit, des employés hautement qualifiés moins bien payés seraient moins motivés et, par ricochet, rendraient l’entreprise dans laquelle ils évoluent moins compétitive.
Pour vérifier l’exactitude de cette proposition, rien de tel que de la confronter aux faits. Dans l’actualité, un exemple illustre bien son ineptie. PDG d’EDF, Henri Proglio vient d’officialiser sa candidature à un second mandat. Pourtant, si sa rémunération en 2013 n’avait rien de chiche, avec 450 000 euros empochés, l’homme était en queue de peloton du classement des patrons les mieux payés : 111e sur 124.
Entre 2012 et 2013, son salaire a été divisé par trois. 450 000 euros, ça paraît énorme, c’est pourtant dérisoire au regard de ce à quoi il pourrait prétendre en passant dans le privé. Dérisoire à côté de la rémunération moyenne d’un patron du CAC 40 (2,3 millions d’euros/an) et de celle de Maurice Lévy (4,8 millions d’euros/an), équivalente à 357 fois le smic annuel. Dérisoire, enfin, comparé à la rémunération en 2013 de Gérard Mestrallet, PDG de GDF Suez, autre fleuron français de l'énergie (2,2 millions d'euros).
Voilà donc un homme dont le salaire a été divisé par trois en un an, et qui en redemande pourtant. Une simple planque, la direction d’EDF ? Pas vraiment. En même temps que son souhait de briguer un second mandat, Proglio a communiqué sur les résultats de l’électricien lors du premier semestre 2014. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : un résultat net ayant bondi de 8,3 %, un titre en hausse de 2,79 % à la Bourse de Paris. Bref, Proglio n’a pas chômé, et semble plus motivé que jamais : « J’aime mon travail, ma mission me passionne, j’ai envie de poursuivre » confiait-t-il à qui voulait bien l’entendre lors de la publication des résultats d’EDF, jeudi 31 juillet.
Le cas Proglio est intéressant, puisqu’il montre que la diminution drastique du salaire d’un patron n’est pas corrélée à celle de sa motivation pour la mission qui lui incombe. Le plafonnement à 450 000 euros annuels du salaire des dirigeants d’entreprises publiques est une des seules promesses électorales concernant la limitation des rémunérations les plus élevées que François Hollande a tenues. Las, les autres sont passées à la trappe : taxe à 75 % sur les plus hauts salaires, fin des stock-options, limitation des bonus, etc. Le plafonnement du plus haut revenu d’une entreprise à un multiple du revenu le plus bas aurait pourtant du bon pour notre économie, puisqu’en liant salaire maximal et minimal, on inciterait les patrons à défendre des salaires minimaux plus élevés. CQFD.