Satellites électriques : la France et l’Europe qui gagnent !

par Laurent Simon
lundi 18 août 2014

Trois succès en moins d'un mois !

Un record mondial sur la technologie de propulsion, obtenu par la société française Snecma-Safran. Et deux succès commerciaux, d'Airbus Defence and Space, fliliale spatiale d'Airbus Group (ex EADS), pour des satellites de 3.5 et 5.3 tonnes.

Et ceci alors que Boeing avait pris une avance conséquente, avec la vente de 4 satellites électriques, plus petits de moins de 1,8 tonne (ABS 3A et Satmex 7, puis ABS 2A et Satmex 9).

Il est vrai que le programme européen NEOSAT, géré par le CNES et l'ESA, est une opportunité pour les fournisseurs européens, qui devraient engranger, pour les 10 prochaines années, des ventes à hauteur de 7 milliards d'euros !

Cocorico ! Snecma - Safran remporte en juillet le record mondial d'endurance, et d'impulsion, pour la propulsion électrique (plasmique).

Ne boudons pas notre plaisir ! Avec son moteur plasmique 1 350 E, utilisé pendant 6700 heures, la Snecma bat ainsi son record mondial, détenu avec la sonde SMART-1 de l'ESA [1]. Envoyée en 2003 vers la Lune, qu'elle a atteinte en 2006, après un voyage sur des orbites utilisant aussi l'effet de fronde créé par l'attration garvitationnelle des planètes, elle démontra la robustesse de cette technologie.

C'était alors le moteur 1 350 G, de 1 500 W, dont le modèle 1350 E (1 500 W - 2 500 W) est dérivé [2], et dont 4 exemplaires ont été installés sur le lourd (6.65 t) et très puissant satellite Alphasat lancé en juillet 2013. [3]

Cette fois-ci, l'impulsion totale, somme de toutes les micros impulsions créées par le moteur plasmique, atteint 3.4 MegaNewton.secondes.

Un secteur d'excellence pour SNECMA, depuis plus de 20 ans...

La société française travaille depuis 30 ans sur les propulseurs électriques pour satellites, et en particulier sur cette technologie "plasmique", qu'elle a développée suite à un accord avec une société russe, qui avait réalisé les premiers essais dans les années 1970.

Car comme Airbus, la société française fait la différence en innovant en permanence, et gagne des contrats régulièrement sur les marchés internationaux, pourtant très disputés.

Est-il d'ailleurs nécessaire de rappeler le fabuleux succès de sa co-entreprise CFM international, avec General Electric à 50 / 50, qui conçoit et fabrique le réacteur le plus utilisé et vendu dans le monde, le CFM-56 et toutes ses variantes. Y compris le futur LEAP, qui équipera dès 2015 à la fois un peu plus de la moitié des monocouloirs et biréacteurs Airbus de la famille A320 NEO, et la totalité des concurrents Boeing 737 MAX ? [4]

Cette technologie de moteur plasmique à effet Hall est une de celles (avec le moteur ionique, à grille), qui permettent la propulsion électrique : au lieu d'éjecter un gaz chaud (par réaction chimique), ce sont des particules ionisées qui sont accélérées puis éjectées, créant ainsi une poussée, un peu comme dans un avion à 'réaction'.

... mais Boeing et SpaceX avaient dégainé les premiers

De leur côté, les sociétés américaines comme Boeing et Lockheed n'étaient évidemment pas restées les bras croisés. Boeing utilise depuis 15 ans le "moteur ionique", qui est plus limité en terme de poussée, et qui convient donc seulement aux satellites 'tout électriques' plus petits (7 kW de puissance, alors que les satellites Eutelsat 172 B et SES-12 cités atteignent respectivement 13 kW et 19 kW).

Mais en quoi précisément ces satellites 'tout électriques' différent-ils des satellites classiques ?

Les satellites actuels utilisent souvent une propulsion électrique, à titre partiel, pour le seul "maintien en poste", sur leur orbite (il suffit d'une petite quantité d'énergie), au lieu de la propulsion chimique qui obligerait à emporter une masse de carburant très supérieure.

Mais les satellites tout électriques, "une fois injectés par le lanceur à leur orbite de transfert - effectueront leur mise à poste sur l'orbite géostationnaire, à 36 000 km de la Terre, en utilisant uniquement" leurs moteurs électriques (pour Boeing : 4 moteurs XIPS, d'Electron Technologies Inc, une filiale de L3 Communications). Et bien sûr "de même pour le maintien à poste pendant les quelque 15 ans de leur durée de vie".

Cette commercialisation de 'tout électrique' était donc une première mondiale pour Boeing.

La réduction de masse pouvant atteindre 40%, et le coût de lancement étant alors diminué dans la même proportion, créaient une menace très réelle pour Airbus Defence and Space (qui a succédé à Astrium lors de la réorganisation récente de Airbus group) et pour Thales Alenia Space, s'ls ne prenaient pas en compte cette nouvelle offre de leurs concurrrents.

De plus, Boeing a ciblé les petits ou moyens satellites (jusqu'à un peu moins de 5 tonnes), qui peuvent être lancés par la start-up américaine Space-X pour un prix très inférieur (55 millions de dollars par lancement, vs environ 100 millions d'euros [5] par lancement -certes double- par Ariane 5. Ce qui, du fait d'un dollar très bas, représente bien entendu une menace très sérieuse pour notre lanceur européen Ariane 5, qui détient depuis plus de 10 ans envrion 50% du marché des lancements de satellites.

L'accord signé de Boeing avec Space- X lui a donc permis de prendre une avance conséquente, en annonçant dès 2012 la commercialisation de satellites tout électriques, construits autour de sa plate-frome 702 SP. Et en obtenant en 2013 deux contrats de satellites à lancer début et courant 2015, par le lanceur de Space-X, Falcon 9 v1.1. [6] Avec un lancement par SpaceX pour seulement 30 millions de dollars chacun des satellites, de 1.8 tonne.

Dans la foulée du record mondial de Snecma, deux contrats Airbus de satellites "tout électriques", pour Eutelsat et SES

La performance technique et opérationnelle de la technologie Snecma vient donc à point nommé pour aider les constructeurs européens de satellites à continuer à signer des contrats. Car la poussée plus importante offerte par la propulsion plasmique permet aussi des "temps de mise à poste" (sur l'orbite souhaitée) plus courts, nettement plus courts que les 8 mois pour les satellites Boeing lancés par SpaceX, ce qui est un argument de poids pour un opérateurs de télécommunications !

Et c'est chose faite avec ces deux contrats obtenus fin juillet par Airbus Defence and Space, pour la construction des deux nouveaux satellites Eutelsat 172B (3.5 t) et SES-12 (5.3 t), à lancer en 2017 pour des opérateurs majeurs de satellites de télécommunications dans le monde.

La réponse des industriels, et de la France depuis 2013...

Car les deux leaders européens 'Airbus Defence and Space' et 'Thales Alenia Space' de satellites, tous deux très implantés dans l'hexagone, avaient réagi, et signé chacune un accord avec Snecma - Safran, pour utiliser le futur modèle PPS 5000 (5 kW), pour leurs palte-formes respectives : Eurostar E 3000 et Spacebus.

Et l'Etat Français a apporté un soutien de 25 Millions d'euros (programme d'investissements d'avenir 2 (PIA 2) [7], 34 plans de "reconquête industrielle", et via des partenariats public - privé) pour la mise au point de ces satellites électriques. C'est le Centre National d'Etudes Spatiales (CNES) qui a été nommé chef du projet des satellites à propulsion électrique.  [8]

Même si le marché est encore limité actuellement (20% selon Eric Beranger, chef de la division satellite de Airbus Defense and Space [9], ce qui représente environ 5 satellite de télécommunication par an), cette part pouvant atteindre et même dépasser à terme les 50%.

... qui rejoint les projets Néosat (Artes 14) et Electra (Artes 33), décidés par les ministres européens en 2012

L'Agence Spatiale Européenne (ESA) et les ministres européens chargés de l'espace n'avaient en effet pas attendu un financement français (national) pour lancer en 2012 le projet NEOSAT [10], à l'initiative de la France, lors du sommet de Naples des 21 et 22 novembre 2012 :

"Les télécommunications et la navigation par satellite font aussi l’objet de plusieurs décisions qui viennent assurer la compétitivité de l’Europe dans ces domaines porteurs. Le programme Neosat de nouvelle plateforme de satellites de télécommunications de nouvelle génération proposé par la France, a rencontré un vif succès auprès de ses partenaires européens." [11].

"L'objectif de Neosat, qui sera doté de quatre PPS 5 000, est ambitieux : mettre à poste en GTO une charge utile de 600 kg en moins de trois mois. Et en 120 à 130 jours, si la charge utile est d'environ une tonne."

"Le PPS 5 000 aura en tout cas une poussée nettement supérieure à celle du XIPS équipant les BSS-702 SP de Boeing : 320 mN contre 165 mN pour le XIPS, selon les spécifications techniques livrées par les deux constructeurs." [12].

D'ailleurs Neosat, "basé sur une cooperation entre l'ESA et le CNES français, est géré par une équipe conjointe ESA–CNES". [13].

Airbus Defence and Space et Thales Alenia Space sont les deux maîtres d’œuvre de Neosat. Selon Magali Vaissière, Directeur Télécommunications et Applications intégrées de l’ESA, « Neosat renforcera la compétitivité de l’industrie européenne des satellites ainsi que la position de l’Europe sur le marché des satellites de télécommunications pour les 10 prochaines années.

«  Il s’agit d’une opportunité exceptionnelle pour les fournisseurs européens puisque 80% des équipements des plates-formes satellitaires européennes sont approvisionnés auprès d’industriels des États membres de l’ESA. Ces fournisseurs devraient engranger des ventes à hauteur de 7 milliards d’euros. »

L'ESA a aussi conclu un partenariat public - privé, avec l’opérateur de satellite SES (qui a depuis signé, en juillet, un des deux contrats Airbus cités, pour le satellite SES 12) :"SES participera au programme Electra Artes 33 (Advanced Research in Telecommunications Systems) de l’Esa de mise au point de la première plateforme satellite 100 % électrique de taille moyenne en Europe (typiquement, un satellite de 3 tonnes).

Plus précisément, ce projet vise à développer, lancer et assurer l’exploitation commerciale d’une plateforme satellitaire géostationnaire dotée d’une propulsion électrique (au lieu d’une propulsion chimique conventionnelle) pour la mise en orbite géostationnaire ainsi que pour le maintien à poste en orbite."

D'ailleurs, "dans ce domaine stratégique de la recherche en matière de télécommunications spatiales, ce n’est pas la première fois que l’Esa travaille en étroite collaboration avec l'industrie spatiale européenne. C’est le cas de la plateforme Alphasat (satcom de 12 tonnes -également citée plus haut NDLR-), du petit satellite géostationnaire Small Geo ou des programmes opérationnels comme Hylas (satellite Internet) et le satellite de télécommunications Artemis qui a validé en orbite de nouvelles technologies liées aux liaisons laser et à la propulsion ionique."

Ce satellite européen de communication Artemis lancé en 2001 est d'ailleurs un excellent exemple, à la fois :

  • de la vulnérabilité de ces déploiements dans l'espace (un échec, ou semi échec de lancement est toujours possible). Artemis n'a pu être positionné le 12 juillet 2001 sur la trajectoire prévue : une défaillance ne lui permit d'atteindre qu'une orbite de 17 000 km au lieu des 36 000 km visés
  • de la pertinence de cette propulsion ionique, qui n'était prévue que pour corriger son orbite (c'était donc très loin d'un satellite tout électrique) ; et qui grâce à une trajectoire en spirale, lui a fait gagner 15 km par jour et atteindre, en 18 mois, son altitude de 36 000 km. Artemis a ainsi prouvé que la propulsion électrique est capable d'effectuer la même tâche que la propulsion chimique, mais avec jusqu'à 90% d'économie de consommation [14]
  • de la compétence et de la passion mises par les ingénieurs européens, qui ont travaillé d'arrache pied pour sauver le satellite, en le reconfigurant à distance pour atteindre sa position souhaitée, par le biais d'une nouvelle procédure logicielle. D'abord par une série de mises à feu, utilisant la plus grande partie de son carburant, pour le mettre sur une orbite circulaire plus élevée, puis par cette trajectoire en spirale grâce à la propulsion électrique.

Il était très important de sauver ce satellite, très novateur et dont il aurait fallu attendre des années un remplaçant opérationnel, car :

- Artemis permet aux satellites d'observation de transférer leurs données au sol alors qu'ils ne sont pas en vue des stations de réception. La station au sol à Toulouse est ainsi en contact avec les satellites lorsque ceux-ci survolent la portion du globe comprise entre l'Inde et l'Amérique du sud

- Artemis contient les premiers composants du système de navigation par satellites européen EGNOS (qui complète et améliore la précision des systèmes de navigation GPS, GALILEO et GLONASS -quand le système Galileo sera déployé-)

 

Pourquoi donc opposer les décisions-actions-succès français et européens ?

En conclusion, ces succès de la SNECMA - SAFRAN, du CNES français, de l'Agence Spatiale Européenne ESA et des industriels européens du domaine, ainsi que l'active coopération entre ces différents acteurs sont très importants.

Ils permettent de relever le défi lancé par les sociétés américaines Boeing, ainsi d'ailleurs que Lockheed qui développe aussi une technologie de propulsion électrique, plus puissante que celle de Boeing...

Il ne faut pas non plus oublier le rôle d'Arianespace : une offre commerciale très attractive, formulée conjointemernt avec Airbus Defence and Space, a pu créer les conditions favorables à l'obtention de contrat essentiel au développement des activités spatiales françaises et européennes (construction de satellites et delanceurs, ainsi que les services en prolongement, pour les opérateurs de satellites)..


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