Sauvetage de Chypre : Pourquoi le tabou de la protection des dépôts a-t-il été brisé ?

par Le taulier
lundi 18 mars 2013

Et de cinq ! Après la Grèce, l’Irlande, le Portugal et l’Espagne, Chypre est devenu samedi le cinquième pays de la zone euro à bénéficier d’un plan d’aide international, sauf que cette fois-ci un tabou est tombé ; les épargnants, petits et gros, retraités anglais, oligarques russes et travailleurs chypriotes, seront aussi mis à contribution par le truchement d’une « taxe » (9,9% sur les dépôts bancaires supérieurs à 100.000 euros et de 6,75% en deçà). Le choc pour les citoyens chypriotes et pour les observateurs ne vient pas tant de la mesure en elle-même mais du passage à l’acte, beaucoup ont cru que les exigences, de l’Allemagne et du FMI, d’une participation des déposants à l’effort n’était que de l’esbroufe à l’attention des médias ou des électeurs.

L’île de la Méditerranée orientale avait besoin de 17 milliards (soit son PIB annuel) d’euros pour sauver son système bancaire, les déposants y contribueront pour 5 milliards et un relèvement du taux d’imposition des sociétés, qui passe de 10% à 12,5%, ainsi que quelques privatisations rapporteront 2 milliards. Au final l’effort de solidarité demandé aux pays de l’Eurogroupe et au FMI ne devrait se monter qu’à 10 milliards.
Quoi de plus normal, comme l’a fait remarqué Jeroen Dijsselbloem, le nouveau président de l’Eurogroupe, que « de demander une contribution à tous les déposants » pour sauver le système financier chypriote. Bien qu’on soit quasiment dans le même cas de figure que lors du sauvetage de l’Irlande en 2010, consécutif à l’éclatement de la bulle immobilière de 2008 qui avait dévasté son secteur bancaire, et à qui on n’avait pas eu tant d’exigences. Pourquoi donc ce changement de méthode malgré les réticence de la BCE et de nombreux pays en Europe dont la France ?

Trois éléments ont contribué à l’élaboration de ce plan de sauvetage le plus sévère qu’un pays de la zone Euro ait connu.


- La réputation sulfureuse de l’île, présentée comme un paradis fiscal pour oligarque russe ou une grande lessiveuse pour argent sale. Demander aux contribuables européens de secourir un postier irlandais ou un agriculteur espagnol cela passe mais renflouer, entre autre, le compte en banque d’un trafiquant d’arme russe c’est invendable.
- L’approche des élections générales en Allemagne (première contributrice des plans de sauvetage) de septembre et une campagne électorale où chaque camp (y compris le SPD, les amis de « gauche » de Normal 1er) doit se montrer le plus intransigeant face aux cigales du Sud. L’ancien président chypriote Dimitris Christofias, un communiste (et oui, cela existe encore) porte aussi une lourde responsabilité dans cette affaire car les problèmes de l’île sont connu depuis bien longtemps mais il a préféré laisser pourrir le dossier (je suppose qu’il espérait faire nettoyer les écuries d’Augias par un successeur, c’est fait).
- l’impossibilité pour le FMI de financer un pays non-solvable. Certains ont tendance à l’oublier mais le FMI n’est pas seulement au service de l’Europe mais à celui de tous ses membres et l’argent prêté ne peut l’être à fonds perdus car son remboursement doit servir à aider un autre pays qui dans le future en aura besoin. Un plan de sauvetage de 17 milliards aurait fait crever le plafond de la dette publique chypriote à plus de 140% du PIB, un niveau auquel le plupart des économistes considère qu’un pays est insolvable.

La mise à contribution des déposants est-elle une bonne ou une mauvaise idée ?

En échange de cette « taxe » de 6,75 et 9,9% (pourquoi d’ailleurs ne pas avoir arrondis le chiffre à 10% ? On se croirait dans un hypermarché) les contributeurs recevront des actions de leurs banques. Franchement recevoir des actions de sociétés qui sont par définition en quasi-faillite, sinon elles n’auraient fait appel à l’Etat, est un sacré foutage de gueule, je suppose qu’on ne leur demandera pas en plus de payer des droits de garde sur titres. En fait la Troika et le gouvernement chypriote appliquent un haircut qui ne dit pas son nom dans le but, entre autre, d’éviter tout recours de la part d’épargnants qui pourraient arguer que le principe de garantie des dépôts institué par l’UE n’est pas respecté.

Les deux principaux reproches qu’on pourrait émettre contre la méthode est qu’elle pourrait créer une crise de confiance dans les systèmes bancaires de la zone euros et qu’elle n’épargne pas les petits épargnants.
Les négociateurs de ce plan auraient pu fixer un niveau assez bas en deçà duquel aucune taxe n’aurait été appliqué. Payer 9,9% pour un compte bancaire de 1 millions d’euros quand on a une fortune de 50 millions c’est pas la chose que celui qui doit verser 6,75 pour un compte de 20.000 euros qui représente tout ce qu’on a réussit à épargner au cours de sa vie.
A partir d’aujourd’hui tous les épargnants bien informés et biens dotés savent qu’en cas d’instabilité financière dans un pays où ils ont leurs comptes bancaire, une contribution pourra leur être imposée, les plus rusés et déterminés n’hésiteront donc pas à transférer leurs avoirs dans un autre pays, ce qui aura pour effet d’accentuer la crise bancaire du premier pays. La limite à ce genre de raisonnement est que les plus grosses fortunes n’ont pas attendu la crise que nous vivons pour appliquer le principe de répartition géographique des risques et qu’une crise bancaire peut frapper n’importe quel pays, même ceux qui paraissent les plus solides.

Personnellement je trouve que faire participer les déposants est une bonne chose car on ne peut pas toujours se reposer sur le contribuable européen pour colmater les brèches des banques, en particulier quand on se comporte en flibustier de la finance comme le fait Chypre. Les gros comptes qui vont être frappés le plus durement ont par ailleurs bénéficié, pour la plupart, de conditions de taxation très favorables et perdre 9,9% de ses dépôts quand on n’a pas payé d’impôts, ou si peu, reste une opération encore largement bénéficiaire. Pour reprendre une expression du domaine de l’écologie je dirais que les pollueurs doivent aussi être les payeurs.


Lire l'article complet, et les commentaires