« Sauvetage de l’euro » : les voix discordantes de deux économistes
par Catherine Segurane
samedi 29 octobre 2011
Les dirigeants de la zone euro ont conclu un accord en pleine nuit, pour tenter de sauver l'euro, ce qui semble devenu un but en soi, y compris au détriment des populations. Toute la bien-pensance europhile et mondialiste applaudit, ravie de cette occasion de faire encore une avancée sournoise en direction du fédéralisme, comme s'il ne suffisait pas d'avoir voté le traité de Lisbonne malgré le refus du peuple français exprimé par référendum.
Nous présentons ici deux voix discordantes, celles de deux économistes reconnus.
Je premier est Jacques Sapir, universitaire de gauche, spécialiste de feu l'URSS et des économies en transition.
Le second est Bruno Lemaire, professeur Emérite HEC, conseiller économique auprès de Marine Le Pen.
JACQUES SAPIR
Pour Jacques Sapir (source), l'accord signé ne fait que prolonger l'agonie de l'euro. De plus " il compromet très sérieusement l'indépendance économique de l'Europe et son futur à moyen terme. C'est en fait le pire accord envisageable, et un échec eût été en fin de compte préférable." Sapir conclut : "La seule solution, désormais, réside dans une sortie de l'euro, qu'elle soit négociée ou non."
Cet accord, Sapir l'analyse pour en faire ressortir huit mesures :
- une réduction de la dette grecque en partie en trompe l'oeil ; un pourcentage de réduction que Sapir évalue à 27,8 % et non 50 % comme annoncé
- le FESF moins richement doté qu'annoncé
- une recapitalisation des banques qui sera plus importante qu'annoncé et crée un risque de "credit crunch"
- un appel aux pays émergents lourd de risques ; Jacques Sapir souligne la divergence d'intérêt avec ces pays : ils ont intérêt à un euro fort, pas nous
- un engagement de Berlusconi peu crédible au vu des désaccords au sein de son gouvernement
- une demande faite à l'Espagne de "résoudre" son problème de chômage, demande bien incongrue au vu du plan d'austérité qu'on lui impose par ailleurs
- l'implication de FMI accrue, donc un surcroit d'influence pour Washington
- des rachats de dette de la BCE sur le marché secondaire qui limiteront la spéculation sans l'arrêter complètement
Sapir estime que les conséquences suivantes sont à attendre :
- une reprise de la spéculation dès que les marchés auront analysé les limites de l'accord
- l'aliénation de notre indépendance à plusieurs niveaux (vis à vis de l'Allemagne et de la Chine en particulier)
- la fin des illusions sur ce que l'Euro était censé nous apporter en matière d'indépendance et de protection
Il ajoute :
"Pour ces trois raisons, on peut considérer que cet accord est pire qu'un constat d'échec, qui eût pu déboucher sur une négociation concertée de dissolution de la zone Euro et qui aurait eu l'intérêt de faire la démonstration des inconséquences de la position allemande, mais qui aurait préservé les capacités d'indépendance des pays et de l'Europe.
Deux solutions complémentaires semblent s’imposer.
Tout d’abord, il faut renégocier les contrats pour que le taux d’intérêt réel soit indexé sur le taux de croissance (et ce, d’autant plus que l’on annonce une croissance zéro, voire ‘négative’ pour les prochains semestres). Si la croissance est au rendez-vous, même les créanciers en seront satisfaits. Sinon, il n’y a aucune raison que ces mêmes créanciers s’enrichissent à nos dépens.
Sur les 1700 milliards de dettes publiques françaises, 1400 à 1500 milliards sont dus aux intérêts qui nous ont été facturés depuis 1973, et la tristement fameuse loi Pompidou-Giscard.
Q. Et la deuxième solution ?
Exiger un moratoire de un an ou deux sur nos dettes, ce qui permettra de remettre l’économie française sur de bons rails.
Q. Pourquoi pensez-vous que nos créanciers accepteront cela ?
Parce qu’il n’y a pas d’autre choix. Entre ne pas être remboursés du tout, ou être remboursés avec retard, même les plus avides de nos créanciers comprendront que la deuxième solution est moins mauvaise pour eux."
Par ailleurs, qu’est ce qui empêcherait la banque centrale française – une nouvelle Banque de France, ou l’ancienne redevenue souveraine – de reprendre cette épargne à son compte. Que cette épargne soit inscrite directement dans les comptes de notre banque nationale au lieu d’être dans ceux de nos banques privées serait plutôt une bonne chose. De ce point de vue, les épargnants ont tout à y gagner. Là encore, on tente de faire peur à nos compatriotes en leur faisant croire que, pour sauver leurs économies, il faut donner encore plus d’argent aux banques."
D'autres points sont plus techniques : comme Sapir, Lemaire note que l'allègement du fardeau de la Grèce est moins important qu'annoncé.
Il souligne lui aussi les pertes de souveraineté qui sont en filigrane dans ce plan.