Semaine de transition
par maltagliati
vendredi 8 juin 2012
Que d’événements pour une semaine sans Événement. Les participants au prochain round de la Crise se mettent en place. Un instant on a cru que le système bancaire espagnol ne tiendrait pas jusqu’aux élections grecques. Tout compte fait, c’est sans doute à l’occasion de celles-ci, le 17 juin, que se déroulera la prochaine empoignade.
Europe
L’intervention de Madame Merkel est sans doute la prise de position la plus importante de la semaine. L’Europe n’avancera que dans le sens d’une union politique et budgétaire. Grosso modo. Variante populaire à consonance morale : qui veut profiter des avantages de l’euro doit en accepter les contraintes. Nouvelle preuve que l’Europe n’avance que dans le cadre de l’urgence et des périls les plus imminents. Mais de l’autre côté, les pays « du Sud » demandent du temps et montrent clairement qu’ils ne pourront pas tenir les engagements du pacte budgétaire, qu’ils veulent donc renégocier. Une demande qui fait partie des engagements de campagne de Monsieur Hollande.
Sous l’impact de la crise espagnole, clairement insoutenable dans le cadre actuel, se dirige-t-on vers DEUX Europe, l’une renforcée telle que la souhaite la chancelière allemande, et une Europe du Sud beaucoup plus laxiste. Les taux d’intérêt marquent la différence des deux entités, avec des taux en hausse constante dans le Sud, en baisse en Allemagne au point d’en devenir négatifs. La situation de la France est paradoxale pour le moment, la fuite des capitaux hors d’Espagne et d’Italie étant telle que les emprunts de l’État français trouvent preneurs à des taux historiquement bas. Gageons que cela ne dure qu’un instant et que l’écart, déjà important, se creuse avec l’Allemagne, à moins que les socialistes n’engagent une politique de rigueur comme en 1983.[1] Il reste les élections législatives, ne les oublions pas, même si elles risquent de passer bien inaperçues.[2]
Bien sûr, les euro-obligations, en répartissant le risque lié à l’endettement des pays du Sud sur l’ensemble de la zone, diminuerait sérieusement la tension. Mais l’Allemagne et ses alliés ne consentiront à un tel système qu’à la condition d’abandons de souveraineté qui empêcheront dorénavant les pays européens de mener des politiques laxistes. Les Espagnols ont essayé cette semaine que les Européens viennent en aide directement à leur système bancaire, sans passer par l’intermédiaire de l’État espagnol. Il n’en est pas question. Quant à la célèbre « croissance » hollandiste, Madame Merkel a renvoyé le président dans les cordes : un vrai plan de croissance certes, mais sans endettement supplémentaire.[3] Tout cela est cohérent.
Va-t-on déboucher sur une Europe renforcée et dotée de mécanismes politiques, comme le croient certains ? [4] Rien de moins sûr. Mais cette perspective réaffirmée par les politiques cette semaine, en dépit des divergences majeures du tandem franco-allemand, a rassuré les marchés. « Nous vivons des jours et des semaines cruciales », a reconnu jeudi soir M. Juncker, avant une série de rendez-vous décisifs pour l'avenir de la zone euro et de l'Union européenne, dont un sommet européen les 28 et 29 juin à Bruxelles. Ce sommet devrait être l'occasion d'aller vers plus d'intégration en Europe et de faire un « saut qualitatif », selon les termes de M. Juncker qui travaille aux côtés de la Commission européenne, du Conseil européen et de la Banque centrale à un grand plan d'ensemble sur l'avenir de l'Europe. Ce plan sera justement présenté fin juin aux 27 dirigeants de l'U.E. « Il faudra renforcer nos coordinations de politiques économiques, c'est une lacune du traité de Maastricht, cela n'a pas pu se faire à l'époque. (...) A la sortie de la crise, l'Europe doit être plus forte. » Rien de tel qu’une situation de crise maximale pour obtenir des avancées en ce sens, évidemment, mais à force de tendre la corde pour obtenir ce qu’on cherche, ne va-t-on pas la casser ?
États-Unis
Signe indubitable de la progression de la crise internationale : les États-Unis sont loin de profiter par compensation de la crise européenne et de la faiblesse de l’euro (qui descend vers la parité de 1,20 $), mais ils en pâtissent. La crise européenne porte un coup sérieux à la pseudo-reprise américaine. Obama a pris son téléphone et battu le rappel. Le président de la Federal Reserve, Bernanke, a lui aussi sommé les Européens de faire quelque chose sans attendre. Les rendez-vous de la fin juin ne seront pas qu’européens !
Chine
L’abaissement subit et inattendu des taux d’intérêt de la Banque de Chine ce mercredi 6 juin montre avant tout que le ralentissement économique enregistré dans les pays émergents est à la limite du supportable.[5] Mais il s’agit d’une arme à double tranchant, car l’efficacité d’une telle mesure sur la croissance risque d’être très limitée, alors que par contre, elle pourrait mettre en surchauffe un système de crédit déjà bien fragile.
Parallèlement le yuan chinois accède à un statut nouveau de monnaie internationale, le Japon et la Chine ayant décidé de ne plus régler dorénavant leur commerce commun en dollar. Cette mise en cause du statut international du dollar va peser lourd dans l’évolution monétaire prochaine, et dans ce contexte les Chinois sont les alliés des Européens contre le privilège exclusif du dollar dans le système monétaire international.[6] Dans un tel contexte, ce ne sont plus les difficultés financières des Européens, mais la crise de la Dette américaine qui pourrait venir à la Une.[7]
Syrie
La guerre au Moyen Orient a commencé. Depuis le mois de mai, les troupes internationales (des contingents arabes d’un côté, l’armée iranienne de l’autre) sont entrés en Syrie. Les scandales médiatiques sur des massacres se multiplient de jour en jour. Les Iraniens voudraient profiter du fait qu’Obama a les mains liées par les prochaines élections de cet automne. C’est le peuple syrien qui en pâti le premier dans l’indifférence générale. Mais une guerre non plus couvée mais ouverte au Moyen Orient modifierait bien sûr toute la donne économique mondiale. Sur cet aspect également, nous sommes en transition.
MALTAGLIATI
[1] Martine Aubry a affirmé lundi 4 juin que des "impôts complémentaires" pouvaient fournir d'"énormes" marges de manœuvre. Il n'en a pas fallu davantage aux ténors de la droite pour dénoncer un "plan B" caché que le gouvernement sortirait de son sac après le deuxième tour des élections législatives, le 17 juin et promettre "le tour de vis fiscal le plus important jamais réalisé contre les classes moyennes".
[2] Je n’irai pas voter. Le système est tel qu’il débouche forcément sur l’élection d’une assemblée non représentative. Il n’y a qu’un système : la proportionnelle intégrale sur l’ensemble du pays. Cent députés – c’est bien suffisant – les sièges étant attribués nationalement pour chaque centième des suffrages exprimés diminués des votes ne constituant pas une entité de 1%. Comme l’exécutif est élu de son côté, il faut bien sûr empêcher l’assemblée de renverser l’exécutif, sauf procédure exceptionnelle d’atteinte aux Lois et à la Sécurité. Sinon on retombe dans un système proche de la IVème République.
[3] Le ministère allemand de l'économie a fait circuler, mercredi 6 juin, un texte intitulé "Plus de croissance en Europe : emplois, investissements, innovation" La croissance ne peut provenir que d'une diminution des dettes publiques, martèle le texte. Ces dernières années, le Canada, la Finlande, les Pays baltes et l'Allemagne en ont apporté "la preuve" : "Par le biais d'une consolidation favorable à la croissance, les déficits publics ont pu être réduits, une vigoureuse croissance économique a été dans le même temps rendue possible, des réformes sur le marché du travail ont provoqué une augmentation soutenue du nombre d'emplois."
[4] Voyez par exemple les bulletins prévisionnels du GEAB. « En attendant que l'Euroland se dote, d'ici la fin 2012, d'un projet politique, économique et social commun de moyen et long termes […], les opérateurs resteront prisonniers des réflexes de court terme liés aux soubresauts politiques grecs, aux incertitudes sur la gouvernance de l'Euroland et aux risques sur les dettes publiques. »
[5] Un mini Bank Run a été observé dans certaines villes chinoises quelques jours avant cette décision.
[6] Meilleur signe de l’instabilité actuelle : le 2 ans suisse est à -0,3% ! Il vous faut payer pour conserver votre capital !
[7] Décidément, le conditionnel est le plus beau mode de la langue française !