Sortir de l’Euro : pour ou contre ?

par Marianne
lundi 28 mars 2011

Deux thèses s’affrontent au sujet d’une hypothétique sortie de l’Euro (retour au Franc) : nous apporterait-elle un avantage économique, une indépendance une fois libérés des contraintes de Maastricht, permettant de maîtriser notre monnaie et nos outils de relance de l’économie ? Ou au contraire serait-elle annonciatrice d’un grand péril, comme l’a proclamé récemment François Bayrou pour le Mouvement Démocrate, de même que l’ont aussi averti des représentants de l’UMP et du PS ?

Comme le remarque François Bayrou, sur ce sujet comme sur bien d’autres (déficit, guerre en Libye, éducation, hôpital,…), la ligne de clivage entre les deux positions n’est pas celle qui départage « la gauche » de « la droite ». En effet :

- Les partis favorables à la sortie de l’Euro sont : pour la droite le FN et les souverainistes (Debout La République) et pour la gauche le Parti de Gauche et le NPA ;

- Les partis qui au contraire alertent sur les dangers et les conséquences catastrophiques d’une sortie de l’Euro par la France sont l’UMP, le PS et même le PC par la voix de Pierre Laurent. Et surtout le MoDem avec François Bayrou, qui avertit qu’une telle hypothèse conduirait à une catastrophe économique, voire à des « larmes de sang », touchant notamment encore plus durement les plus défavorisés. Voir ses interventions récentes sur France Inter et sur la chaîne parlementaire LCP.

- A noter, une position intermédiaire : l’économiste Christian Saint-Etienne, du Nouveau Centre, qui prône quant à lui une scission de la zone Euro en deux : d’un côté une zone Euro fort, avec l’Allemagne et en général les pays du Nord, les moins endettés, de l’autre côté une zone euro faible avec les pays du sud les plus endettés : la Grès, l’Espagne, le Portugal, l’Italie, … et la France, auxquels s’ajoute l’Irlande. Ce scénario reviendrait au même pour la France qu’une sortie de l’Euro : une dévaluation de sa monnaie accompagnée d’une forte hausse des taux d’intérêt, donc de la charge de la dette publique.

 

Quels sont les arguments avancés pour soutenir ces deux thèses et comment pouvoir en juger ?

Tout d’abord un rappel pédagogique sur quelques notions simples d’économie, comme je l’avais fait lors d’un précédent article « Equations économiques : la quadrature de la crise  » :

· La valeur relative d’une monnaie reflète la solidité de son économie comparée à celle des autres pays, son pouvoir d’achat relatif comparé à celui d’une autre monnaie. Plus un pays est endetté, plus sa dette publique est élevée, plus il a de risque de rencontrer des difficultés à la rembourser, plus le taux d’intérêt exigé sur cette dette par les investisseurs est élevé, d’autant plus si ces derniers anticipent un risque de dévaluation de sa monnaie par rapport à la leur. La politique budgétaire impacte la valeur de la monnaie, pas seulement en termes de dette et de déficit public. L’anticipation d’inflation, notamment du fait de création monétaire (augmentation de la monnaie en circulation, des crédits, sans création de richesse en contrepartie, traduite au final par une hausse des prix), fait baisser la valeur de la monnaie. D’où la théorie de parité des pouvoirs d’achat établissant une équation d’équilibre entre trois variables : le taux de change entre deux monnaie, taux d’intérêt et taux d’inflation (voir définition Wikipedia ou plus d’explications dans cet article de Christian Biales).

· Lorsqu’un pays est autonome sur sa monnaie (ce qui n’est pas le cas s’il fait partie de la zone euro, contraint par les critères de Maastricht et la soumission à la politique de la BCE sur les taux d’intérêt), il peut utiliser la dévaluation comme un outil de relance des exportations (ce que fait la Chine en maintenant le Yuan sous-évalué). Il peut le faire en menant une politique budgétaire ou monétaire laxiste (augmentation exagérée des crédits consentis par le système bancaire ou rachat des titres de dette publique du Trésor par la Banque centrale), laissant filer sa monnaie sans contrainte.

Effets multiples d’une dévaluation monétaire :

L’inflation peut impliquer une dévaluation, de même qu’une dévaluation peut se traduire en inflation. Une politique monétaire ou budgétaire laxiste crée de l’inflation, provoquant mécaniquement une baisse du cours de la monnaie car les marchés vont anticiper cette baisse de valeur relative comparée aux autres monnaies. Ceci a aussi pour effet de faire mécaniquement baisser de prix des exportations pour les pays tiers, mais aussi de renchérir le prix des importations. Ce qui est un facteur positif si le pays est exportateur en net (balance commerciale excédentaire). En revanche, l’inflation va faire baisser le prix des valeurs mobilières (titres d’actions ou d’obligations) et immobilières, ce qui grève le patrimoine des épargnants et des investisseurs. De plus, l’inflation renchérit le prix des biens à la consommation alors que les salaires ne suivent pas ou suivent avec retard (surtout en période de chômage ou de récession), ce qui provoque une baisse de pouvoir d’achat des consommateurs, touchant en particuliers les plus défavorisés. Par ailleurs, si l’Etat est endetté vis-à-vis de l’étranger, la valeur relative de sa dette publique s’en trouvera diminuée (le cours du titre souverain libellé en monnaie étrangère baisse). Mais en contrepartie, les investisseurs qui souhaitent rentrer dans leurs fonds exigeront un taux d’intérêt bien plus élevé qu’avant, représentant une prime de risque, de dépréciation de leur actif. Un renouvellement de la dette (permettant de rembourser les échéances de la vielle dette) ne pourra se faire par l’Etat qu’à un taux plus élevé, ce qui renchérira considérablement la charge financière annuelle de cette dette, donc le déficit public, qui lui-même incrémente la dette publique. Il arrive même un seuil critique où la dette devient quasi impossible à rembourser, entrant dans un « effet boule de neige », qui justement se situe au-delà des critères de Maastricht de 60% du PIB pour la dette publique et de 3% du PIB pour le déficit public annuel). Plus encore que ces indicateurs, c’est le ratio déficit public/ recettes fiscales (capacité à couvrir le déficit par l’impôt) qui est un critère déterminant. La charge accrue de la dette handicape la croissance, obligeant l’Etat à augmenter les impôts ou à diminuer les dépenses publiques.

Au vu de ces multiples facteurs, la résultante des effets d’une dévaluation ne peut être anticipée, mesurée et appréciée qu’au regard d’une situation initiale dépendant des enjeux suivants :

- Niveau de la dette publique et niveau relatif des taux d’intérêt sur cette dette, impactant le déficit et nécessitant éventuellement une augmentation des impôts,

- Niveau relatif des exportations et des importations, ainsi que leur sensibilité aux prix (on a vu par exemple que l’Allemagne, grande exportatrice vers les pays émergents et la Chine, est peu sensible à l’augmentation de l’Euro),

- Impacts relatifs sur la relance de l’économie de l’effet sur les exportations et les importations,

- Effets de l’inflation sur le pouvoir d’achat des ménages.

 

Quel serait vraiment sur la France l’impact d’une sortie de l’Euro ?

1- Compte tenu de la situation très dégradée de nos finances publiques (dette publique atteignant 1600 milliards d’euros) et de notre balance commerciale (les importations excèdent les exportations), une sortie de l’euro se traduirait immédiatement par une dévaluation très forte de notre monnaie (certains économistes l’ont évalué à 20%, soit une valeur de 0,85 euros au lieu de 1 initialement) ;

2- L’effet positif sur les exportations serait neutralisé par l’effet négatif sur les importations. Comme le relate le Figaro dans cet article daté du 20 décembre 2010, un économiste de banque, Mark Cliffe, responsable de la recherche d'ING Bank, a chiffré les conséquences d'un retour général aux monnaies nationales : pour la France une récession avec baisse de 10% du PIB sur trois ans, hausse du chômage à 13,8%, le prix de l’essence qui s’envole à 1,75 euro le litre (à traduire en monnaie nationale). De plus l’inflation aurait un impact négatif sur le pouvoir d’achat des Français ;

3- Libérés des contraintes de Masstricht, nous pourrions créer de la monnaie à notre gré, comme le préconise Marine Le Pen, afin de rembourser notre dette publique. Il suffirait que la Banque centrale rachète les bons du trésor au Trésor. Facile ! Sur les 1600 milliards de dette publique française, 1/3 sont détenus par des investisseurs étrangers (1200 milliards). La dévaluation relative de cette dette serait de 20%x1200 = 240 milliards. Continuer à emprunter à l’étranger nous contraindrait à payer un taux d’intérêt bien plus élevé : alors qu’il est de 3,5% aujourd’hui, il monterait facilement à 7%. Or la charge de la dette (intérêts), devenu en 2011 le premier poste budgétaire juste devant l’éducation, est actuellement de 45 milliards d’euros, soit l’équivalent du total de l’impôt annuel sur le revenu. Il faudrait donc soudain doubler l’impôt sur le revenu des Français pour ne pas déclarer l’Etat en faillite ! Faire racheter les créances publiques par la Banque centrale revient aussi à de la pure création monétaire, traduite en taux d’inflation, qui lui-même est intégré dans le taux d’intérêt exigé par les investisseurs, étrangers ou Français, répercuté sur toute l’économie, prêts aux particuliers comme crédits aux entreprises …

 

La conclusion paraît évidente : une sortie de l’euro serait catastrophique pour la France et ceux qui la prônent sont irresponsables, compte tenu de ces enjeux.


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