Traître et blasphémateur...
par Pierre JC Allard
lundi 28 novembre 2011
J’avoue. Inutile de fouetter davantage les chevaux pour m’écarteler. J’avoue que je suis un traître et un blasphémateur. Pourquoi cet aveu auquel ne se joint, je le souligne, ni remords, ni repentance ? C’est que j’ai rencontré Michel, un vieux copain. Copain enfin, n’en mettons pas trop… Nous avons pris quelques pots et échangé quelques notes quand j’étais en fac à Paris, Place du Panthéon, dans les années "60.
- « Tu te souviens de Emile James, le doyen ? » - qu’il me dit le copain - « Et Guitton ? Et Jean Lhomme, LE grand expert sur la bourgeoisie qui, cette année-là, nous parlait de la Monarchie de Juillet ? Il nous dictait son cours, nous écrivions. Au niveau doctoral ! C’était avant Mai 68, bien sûr… Ah ! Les choses ont changé, heureusement ! » Michel, il y a cinq (5) décennies était un progressiste, un peu de gauche, mais sans excès.
Bien sûr que je me souvenais d’avoir pris scrupuleusement les notes que nous dictait lentement le Professeur Lhomme… Alors on a jasé. La Contrescarpe, le petit bar chilien de la rue Monsieur le Prince. Paris qui, pour un Canadien, ne coûtait pas encore très cher… Ce qu’on pensait en France en 1963…. Comment tout avait changé en 1968…. C’est là qu’on s’est un peu perdu.
Entre vieux, on s’entend vite sur le passé. Dame, on a vécu le même passé et on l’a vu ensemble, alors… Mais quand on revient vers le présent, on voit qu’on a divergé. J’ai bourlingué sur la planète. Michel, lui, s’est déplacé dans la galaxie sociale.
Il s’est fait une jolie carrière. Il s’est créé une bonne situation. Il a une large famille élargie. Il est à sa retraite depuis 15 ans. Il s’intéresse beaucoup à l’évolution des carillons à travers les époques, de la Belgique au Portugal, avec des pointes vers l’Est… Il pourrait écrire un bouquin là-dessus… Michel est heureux.
Je suis heureux aussi, mais avec une certaine fébrilité que Michel n’a pas. Michel n’est pas seulement un type qui a bien tourné ; il est celui qui a tourné dans la même direction que le bateau et qui est toujours resté en phase. Les pieds solidement plantés à plat sur le pont et le regard fixé sur le cap qui est celui du navire.
Pourtant - il le dit lui-même - il est un homme aux aguets. L’innovation, l’évolution…. C’est en "68 qu’il a compris qu’il fallait faire table rase et mettre en place une éducation moderne. Utile. La meilleure. Puis il a voulu penser qu’on l’avait fait et il s’est transformé.
Il est devenu pompidolien sans cesser d’être gaulliste, puis il a compris la nécessité du « virage à gauche » de Mitterrand. À gauche… mais pas trop vite ; d’abord, Giscard : il l’avait prévu et il en a été. Juste le temps qu’il fallait. Après Mitterrand, retour à Chirac. Chirac était son homme. Le manque de loyauté de Balladur l’a chagriné : Sarkozy ? Manque un peu de classe, Sarko, mais il s’est ressaisi. Pour 2012, qui d’autre que Sarkozy, d'ailleurs, pourrait diriger la France ?
Cette France dont Mai 1968, pour Michel, est resté le grand moment de la liberté reconquise. La revanche des Communards… Après "68, tous comptes payés dans une fraternité gauche droite au Boul'Mich, est née une France de conscience sociale et de modernité, qui a tout bon et qui ne fait pas d’erreurs.
Moi, j’en fais, des erreurs… Comme on divergeait beaucoup, je lui ai refilé l’adresse de mon site… Quand on s’est reparlé, il ne m’aimait plus vraiment…
Pourtant, Michel ne s’énerve pas, quand tous les quidams qui lui vendent son pain ou ses légumes, qui le véhiculent ou qui le blanchissent, lui disent que le pays va au diable. Il ne bronche pas. Il SAIT que c’est parce qu’ils n’ont pas compris. Parce qu’ils n’ont pas lu Schumpeter, Walras, la théorie des jeux et n’ont pas eu la chance de voir une éducation vieillotte se refaire une jeunesse… il y a 40 ans et en rester là. Mais moi, je l’énerve…
Je le mets en rogne, parce qu’il se demande comment, ayant reçu la grâce rue Soufflot, je puis ne pas comprendre. Comment pourrais-je de bonne foi ne pas voir que nous vivons dans le meilleur des mondes, puisque tous les médias-Pangloss, citant les économistes, nous expliquent que les mains ont bien tort de ne pas s’ajuster aux gants ?
Quand j’écris ce que les gens simples disent tous les jours sans qu'on les réprimande - à savoir que l'argent ne vaut plus rien, que ces bouts de papiers ne correspondent a aucune réalité et ne sont encore utilisés que parce que les médias nous font croire qu'ils valent quelque chose et que l'État a les fusils pour en imposer l'usage - Michel ne m’aime plus du tout. Sénilité ? Perversité ? Il ne sait plus.
Que les gens simples se plaignent, ce n’est pas grave pour Michel, parce que Michel ne les écoute pas. Mais si je le répète, je suis méchant, car ça pourrait faire scandale. Je suis un traître à la caste de ceux à qui l’on a donné un DES en Sciences économiques et un Doctorat d'université. N’est-ce pas une forme d’ingratitude de ne pas me taire, puisque j’ai tiré parti de ces titres et parchemins, même si j’ai gagné ma croûte à faire tout autre chose ?
Je suis un traître, parce que je dis que les prédictions des économistes ne se réalisent que quand ceux qui contrôlent l'argent et l'économie leur disent à l’avance les gestes qu’ils vont poser. Je suis un blasphémateur, parce que j’insinue – c’est un euphémisme - que si on ne le leur disait pas, leurs boules de cristal ne feraient pas mieux que celle de Madame Soleil.
Ceux dont on dit qu'ils n'y connaissent rien peuvent le dire à raison tous les jours, mais mois je blasphème. Bien pire, encore, quand je dis qu’on pourrait - et qu’il faudrait - rembourser la dette publique tout de suite et en imputer le remboursement à tous les contribuables au prorata de leurs actifs. Suis-je conscient que ce serait une forme de redistribution de la richesse ? Est-ce pour dire ça qu'on m'a ouvert le portes du savoir ?
Ça c'est pire que le blasphème ou la trahison… puisque c'est la solution. Puisque c’est d’une telle évidence, qu’on n’ose pas en parler, même pour le nier. C’est une référence à une incantation totalement taboue. C’est le concept de sorcellerie monétaire dont aucun Harry Potter d’économiste ne se risquerait à prononcer le nom. Je vais au delà du blasphème et de la trahison ! Je touche la vérité ! Alors Michel cherche un autre nom méchant pour m'en affubler. On cherche...
Pierre JC Allard
http://nouvellesociete.wordpress.com/2011/08/08/la-dette-remboursons-la-bon-dieu/