Travailler moins pour vivre mieux : pour un Nouveau Contrat Social
par Marsupilami
jeudi 13 décembre 2007
Dans la première partie de cet article, on s’était posé la question de ce qu’est le Travail humain, de ce qu’il signifie et de sa fin inéluctable lorsque les machines, « intelligentes » ou non, seront capables de tout faire ou presque à notre place. Dans cette seconde partie, en se basant sur Le Livre noir du libéralisme de Pierre Larrouturou (éd. du Rocher, sept. 2007), on se livre à une critique impitoyable de l’ultralibéralisme (ou du capitalisme financier spéculatif mondialisé, c’est comme vous voulez) et on démontre, programme à l’appui, qu’un autre monde est possible, réaliste et crédible, alternatif à l’altermondialisme illusoire prôné par l’extrême gauche. Comme dans la première partie, pour rester dans un cadre hexagonal, on ne se prive pas de ne pas prendre au sérieux le slogan « Travailler plus pour gagner plus » de notre omniprésident de la droite décomplexée et encore moins de fustiger l’autisme aprogrammatique et électoraliste des éléphants roses du PS, tous courants confondus. Enfin, on joue à se faire peur en évoquant ce qui pourrait se produire dans l’hypothèse (pas du tout d’école) où l’ultralibéralisme mondialisé s’écroulait incessamment sous peu, victime de ses excès et aveuglements court-termistes. Aux armes citoyens ! Sortez vos cheffaillons !
Le Livre noir du libéralisme
Nous n’en sommes pas encore à la fin du Travail, même si celle-ci se rapproche. Voyons donc où nous en sommes ici et maintenant.
Pierre Larrouturou, dans son dernier livre Le Livre noir du libéralisme, préfacé par Michel Rocard (éd. du Rocher 2007) fait un bilan implacable des ravages que le néolibéralisme (y compris celui appliqué par les pseudo-socialistes). Crises boursières, chômage, précarité, Sécurité sociale, retraites, éducation, salaires : tout y passe. C’est accablant.
Pour vous donner une idée du contenu de cet excellent ouvrage passé quasi-inaperçu au milieu de la déferlante de médiocres bouquins socialo-socialistes pro ou anti-Ségolène Royal dont le point commun est l’absence de toute proposition politique constituant une alternative crédible au néolibéralisme, lisez simplement la présentation qui figure sur la 4e de couverture :
"Chiffres à l’appui, Pierre Larrouturou démonte les mécanismes et les dangers du libéralisme : dans tous les pays qui ont mis en place une politique de ce type, États-Unis et Chine compris, la précarité explose, le niveau de vie des salariés diminue, l’accès à la santé est de plus en plus difficile. Et la croissance ne se maintient qu’au prix d’un endettement privé qui atteint un niveau insoutenable. Non seulement le libéralisme n’est pas la panacée, mais il peut, assez vite, nous mener à la catastrophe. ’La crise des années 30 est devant nous’, affirment certains économistes.
Qu’en est-il pour la France ? Sur le chômage et les retraites, l’auteur dénonce les mensonges du bilan affiché par l’UMP. De façon très argumentée, il démasque les impasses et les dangers de la stratégie économique de Nicolas Sarkozy.
Loin des idées répandues par la droite, Larrouturou met en évidence les performances françaises en termes de compétitivité et dessine un nouveau contrat social. Car, si le système économique mondial menace de s’effondrer, il y a urgence à construire une alternative. Si la gauche ne le fait pas, n’est-elle pas complice du système ?
Pierre Larrouturou est entré au PS après le 21 avril 2002. Ce qu’il raconte sur le fonctionnement réel de la rue de Solférino ne fera pas plaisir à tout le monde... Là aussi, l’analyse est sans tabou et pourrait conduire au pessimisme. Mais Larrouturou ne se contente pas de critiquer : il propose des solutions et un véritable plan d’action".
Ce livre est préfacé par Michel Rocard, ex-Premier ministre socialiste : "Pierre Larrouturou exprime le savoir considérable qu’il a accumulé sur l’état de l’économie contemporaine, et c’est déjà très important. Il crie aussi son angoisse. Et je partage cette angoisse".
Pour vous situer Pierre Larrouturou, dès 1993, il a lancé le débat sur la semaine de quatre jours (qui n’a rien à voir avec les pitoyables 35 heures) en compagnie de Gilles de Robien (UDF) ; ses réflexions sur la réduction du temps de travail ont ainsi été à l’origine de la très timide loi Robien : c’est dire s’il n’est pas sectaire. Dès 1999, cet Européen convaincu s’est fait l’avocat d’un véritable traité de l’Europe sociale, pressentant longtemps avant les éléphants roses autistiques de la rue de Solférino que le TCE ne pourrait qu’être rejeté s’il n’était pas sérieusement amendé dans un sens plus social. Bien entendu les hiérarques socialistes ne l’ont pas écouté, avec les conséquences qu’on sait...
La semaine de quatre jours contre les 35 heures
Quelques chiffres français depuis trente ans, pour commencer : "Depuis 1974, le total des heures travaillées (tous secteurs confondus) est passé de 41 milliards d’heures à 36,9 milliards" (source : Insee). Pendant la même période, la population active est passée de 22,3 à 27,2 millions d’individus. Etant donné que l’économie française a produit 76 % de plus avec 10 % de travail en moins, Larrouturou fait ce constat incontestable : "La demande de travail nécessaire à l’économie a baissé de 10 %, mais le nombre de personnes disponibles a augmenté de 23 %. Un écart de 33 % s’est creusé entre l’offre et la demande de travail. [...] Si dans le même temps la durée du travail avait baissé de 33 %, le chômage serait resté à son faible niveau de 1974". Or la durée de travail pour un emploi à temps plein a très peu baissé en trente ans, tandis qu’augmentait sans cesse le nombre d’emplois précaires. Larrouturou en tire les conclusions : "C’est donc un ’partage du travail’ assez sauvage qui s’est mis en place : 4 millions de personnes font 0 heure par semaine (les chômeurs) ; 19 millions travaillent plein pot (parfois trop) ; 4 millions sont à temps partiel (via les CDD ou l’intérim)".
En attendant la fin du Travail et dans une perspective égalitaire, il est évident qu’il faut modifier en profondeur ce partage de l’activité laborieuse. C’est ce que Larrouturou se propose de faire en instaurant la semaine de quatre jours. Pour information, depuis 1993, 400 entreprises (comme par exemple Fleury-Michon ou Mamie Nova) sont déjà passées à quatre jours sans rien perdre en productivité et en embauchant (10 à 15 % de nouveaux CDI à temps complet sans augmentation des coûts de production ni des bas salaires) : ce n’est donc pas une utopie née dans le cerveau embrumé d’un doux rêveur !
L’instauration de cette semaine de quatre jours, il propose de la faire par référendum et en trois temps qu’il a baptisé "4-4-42", le premier "4" correspondant à la semaine de 4 jours à la carte avec activation de systèmes de formation professionnelle si nécessaire ; le 2e "4" désigne la possibilité de prendre 4 années sabatiques au cours de sa vie professionnelle ; enfin, le "42" correspond à 42 années de cotisations pour les plus jeunes (y compris les 4 sabatiques).
Pour que cette mesure soit efficace, il faut repecter un bon timing dans l’ouverture de plusieurs chantiers : celui du financement des créations d’emploi, par exemple, en dispensant du paiement des cotisations chômage, les entreprises qui passeraient à 4 jours en créant un minimum de 10 % de CDI ; et ceux de l’amélioration de la formation, de la lutte contre la précarité en favorisant les regroupements d’employeurs, en développant la polyvalence et en instaurant la Sécurité sociale professionnelle, et enfin en réorganisant le travail "à la carte" afin que cette mesure puisse s’adapter souplement aux diverses branches professionnelles.
Cette semaine de 4 jours à la carte pourrait se décliner selon 9 grandes modalités différentes : 4 jours sur 5 pour la plupart des salariés, ou encore 1 semaine de libre sur 5, 1 week-end de 4 jours toutes les 2 semaines, 4 jours sur 5 1/2 ou 4 jours sur 6 dans la distribution, 4 jours sur 7 dans les hôpitaux ou les transports, 1 mois sur cinq pour les chercheurs ou les informaticiens, 1 an sabatique tous les 5 ans, alternance de semaines de 3 jours et de semaines de 5 jours (pour les routiers par ex.), et... tout ce que l’on veut et peu imaginer et négocier.
Et encore une fois, cette réforme n’a strictement rien à voir avec les 35 heures, lesquelles n’ont été qu’une mesure discriminatoire, inégalitaire, inefficace, bordelique et peu créatrice d’emplois. D’ailleurs, dès 1998, Larrouturou avait dénoncé les 35 heures dans son livre 35 heures, le double piège... sans être entendu par les éléphants roses. En effet, presque tout sépare la semaine de 4 jours des 35 heures. Voici la liste des différences entre les deux en 7 points :
1) les 35 heures ont été imposées arbitrairement, alors que par le référendum 4-4-42, cette loi serait négociée à la carte avec les partenaires sociaux ;
2) la loi des 35 heures a été adoptée sans réel débat alors que le référendum 4-4-42 ferait l’objet d’un débat public ;
3) les 35 heures sont un leurre puisque la durée réelle du travail peut rester à 38 ou 40 heures et plus, alors qu’avec le 4-4-42 la durée réelle doit impérativement passer à 32 heures "à la carte" en moyenne ;
4) dans le cadre des 35 heures, les exonérations fiscales ne sont pas conditionnées à la création d’emplois, alors qu’avec le 4-4-42, les exonérations n’affecteront que les entreprises ayant créé au moins 10 % de CDI nouveaux ;
5) la loi des 35 heures n’intègre pas la question des retraites, alors que le référendum 4-4-42 le fait, permettant ainsi de sortir du couple infernal chômage-retraite ;
6) la loi des 35 heures ne fait aucun lien avec d’autres problèmes de société qu’elle prétend pourtant résoudre, alors qu’avec le référendum 4-4-42, "le même jour aurait lieu un référendum sur la citoyenneté. Des négociations sont engagées en parallèle sur l’accès à la formation, la lutte contre la précarité puis sur l’évolution des rythmes scolaires", etc.
7) le bilan des 35 heures n’a vraiment rien d’enthousiasmant. Cette loi n’a créé qu’environ 350 000 emplois et n’a profité qu’à très peu de travailleurs, alors que la totalité de la réforme 4-4-42 pourrait créer environ 2 millions d’actifs cotisants de plus tout en rééquilibrant profondément les rythmes de vie de l’ensemble des citoyens.
La semaine de 32 heures, c’est donc tout à fait faisable et ça ne coûterait pratiquement rien. Il suffit de le vouloir. Seul un vrai parti social-démocrate authentiquement réformiste et décidé à s’attaquer au chômage, à la précarité et aux inégalités serait capable de faire cette proposition révolutionnaire, mais pas violente ni ennemie de l’économie de marché et de la démocratie. Autant dire que ce n’est pas l’actuel PS comateux. Désespérant... à moins d’un salutaire et rapide sursaut ? Car ce genre de mesure, ça urge.
Les 32 heures, ce n’est pas assez et ce n’est pas une panacée...
Bien entendu, une mesure comme le 4-4-42, dont 68 % des Français sont persuadés qu’elle serait créatrice de très nombreux emplois selon un sondage CSA/La Vie de mai 1997 (alors que 69 % pensaient que les 35 heures ne créeraient que peu ou pas d’emplois), ne saurait suffire à vaincre le chômage et la précarité, étant donné que l’emploi salarié "traditionnel" est inéluctablement voué à s’amenuiser.
C’est la raison pour laquelle Larrouturou adosse cette mesure à 19 autres propositions pour un Nouveau Contrat Social : faire adopter un Traité de l’Europe sociale pour éviter le dumping intra-européen ; réunir un nouveau Bretton Woods pour éviter la grave crise monétaire qui menace ; négocier des montants compensatoires avec la Chine ; activer le Fonds de réserve des retraites pour financer une vraie politique du logement ; mettre en place une vraie politique de l’énergie (isolation, etc.) ; investir dans les énergies renouvelables autant qu’on l’a fait dans le nucléaire ; développer le tourisme, très créateur d’emplois sur tout le territoire ; aider à la création, à la formation et accompagner les créateurs d’entreprises ; exonérer de charges les 2 premiers emplois ; créer un Smal Business Act pour favoriser la croissance des PME ; instaurer un impôt européen sur les bénéfices et/ou une écotaxe ; mener une vraie politique de recherche publique et privée ; imposer des bonus-malus anti-précarité négociés branche par branche ; simplifier réellement le Code du travail et le faire respecter strictement ; sécuriser les chômeurs comme cela se fait au Danemark ; investir dans l’intelligence en créant un Plan Europe-Université ; instituer une école des parents ; abonner chaque enfant à un petit journal dès qu’il est âgé d’un 1 et demi, afin que tous aient accès à l’écriture et à la lecture, et imposer un cahier des charges culturel aux chaînes de télé.
C’est énorme, infaisable pensez-vous ? Pas plus que ce qu’ont réalisé les hommes de bonne volonté, de droite et de gauche, lorsqu’ils ont élaboré et mis en œuvre le programme du Conseil national de la Résistance dans une France ruinée au sortir de la Seconde Guerre mondiale, ce qui nous a permis de vivre dans la paix et la prospérité jusqu’à ce que le néolibéralisme décide de tout casser.
C’est donc faisable. Il suffit de le vouloir. Il faut pour cela que de vrais partis de gauche émergent sur les décombres du socialisme européen. En France, il faut que le PS explose ou implose, et qu’un nouveau parti, loin des tiédeurs floues et molles du MoDem, propose le Nouveau Contrat Social de Larrouturou. Chiche ?
Le barrage, les bulles et la bombe chinoise
En attendant la fin définitive du travail (qui est une échéance assez lointaine, mais à laquelle il faudra quand même nous préparer progressivement), il y a urgence à réorganiser nos sociétés malades de l’ultralibéralisme.
Dans Les Echos de janvier 2007, le professeur d’Harvard Jeff Frieden et le prix simili-Nobel d’économie Joseph Stieglitz tiraient la sonnette d’alarme et affirmaient que le niveau d’inégalité des revenus, de précarité de l’emploi et d’endettement public et privé des Etats-Unis (140 % du PIB lors du Krach de 1929, plus de 220 % aujourd’hui, brrr...) n’était plus soutenable et que, vu la mondialisation de l’économie, on pourrait très vite assister à l’effondrement du capitalisme planétaire.
Cette dette est, selon le secrétaire général de l’OCDE Angel Gurria, semblable à un barrage sur lequel une infernale pression s’accumule ; en 2006, il se demandait combien de temps encore ce barrage pourrait tenir avant d’être emporté par les flots de liquidités des capitaux erratiques et des bulles spéculatives des marchés financiers devenus fous.
Selon Les Echos (janvier 2007 toujours), si le barrage s’effondrait, "l’océan de liquidités céderait instantanément la place à un bain de sang" en Extrême-Orient. La bombe à retardement chinoise est en effet bien amorcée, nourrie par toutes les bulles spéculatives possibles sur fond de terribles tensions sociales et de misère paysanne et ouvrière galopante et de course au surarmement. Une grosse récession aux Etats-Unis, premier client de la Chine, ferait exploser cette bombe, et les stratèges géopolitiques estiment que dans ces circonstances, la dictature chinoise fuirait en avant dans un nationalisme anti-Taïwannais belliqueux : "Taïwan jouera au XXIe siècle le rôle qu’a joué l’Alsace-Lorraine en Europe au siècle dernier". Terrifiant. Et une seule cause fondamentale à cela : les ravages de l’ultralibéralisme, du capitalisme financier et spéculatif mondialisé.
En attendant la fin du Travail...
En attendant la fin du travail, il y a du pain sur la planche et de quoi se retrousser les manches citoyennes pour tenter d’éviter ces catastrophes. Cela ne se fera pas sans l’instauration d’un nouvel ordre, d’abord européen, puis mondial, qui devrait ressembler au Nouveau Contrat Social de Larrouturou. Si l’humanité parvient à se tirer d’affaire sans trop de casse économique et écologique, il lui restera à se demander que faire de son temps quand les robots travailleront à sa place. Commencer par réparer les dégâts causés à la Terre par la folie industrielle capitalistique, sans doute. Et puis rêver. Contempler le ciel étoilé et les splendeurs de la nature. Créer des œuvres artistiques. Jouir de l’instant présent. Imaginer d’autres possibles, l’esprit enfin libéré du fardeau torturant du Travail non choisi.
Autre chose que l’inepte "travailler plus pour gagner plus" de Sarkozy.