Travailler plus pour gagner plus, une aberration économique

par Vincent Marot
lundi 17 décembre 2007

Martelé de tous côtés, un nouveau postulat économique a fini par être accepté par des Français résignés : il ne serait plus possible d’être mieux payé sans « travailler plus ». Ce sophisme, qui arrange bien le patronat, va à l’encontre de toute rationalité économique. Depuis la révolution industrielle, et quel que soit le pays, le temps de travail n’a cessé de diminuer, pendant que les richesses produites et les salaires augmentaient, ceci grâce à l’augmentation de la productivité : ce fut de tous temps du « travailler moins mais mieux pour gagner plus ».

Le nouveau slogan « travailler plus pour gagner plus » revient à dire qu’il n’y a plus d’accroissement possible de la productivité. Belle confiance accordée au travail et au progrès ! La vérité est que ce slogan est faux et cache un autre constat : les bas salaires n’ont pas suivi la hausse de la productivité. Depuis les années 1970 et le ralentissement de la croissance, on a assisté à plusieurs phénomènes conjoints : la précarisation des emplois avec du chômage de masse, l’effritement du syndicalisme, l’explosion des hauts salaires et la financiarisation de l’économie. L’une des conséquences a été un transfert des richesses produites vers le capital et les hauts salaires au détriment des salariés du bas de l’échelle, affaiblis par un rapport de force déséquilibré.

L’un des objectifs des 35 heures était de combler une partie de ce retard et de transformer en temps de repos les gains de productivité accumulés. Mais les entreprises s’en sont servies comme prétexte pour justifier une modération salariale qui n’avait pas lieu d’être, puisque la productivité a continué à croître (les entreprises profitant des 35 heures pour se réorganiser, adapter la charge de travail à leur capacité et limiter les embauches). Avant 1998 et leur mise en place, les bas salaires étaient déjà comprimés, et ils ont continué à l’être après, non seulement pour la moitié des salariés soumis aux 35 heures, mais aussi pour l’autre moitié toujours aux 39 heures, preuve que les 35 heures n’expliquent pas seules la stagnation des salaires.

Le marchandage des RTT contre du salaire est à ce titre une véritable imposture : suite aux 35 heures, les entreprises ont gagné en flexibilité, en productivité, ont modéré les salaires, ont profité d’aides prévues par la loi sous forme d’exonérations de cotisations, et maintenant, grâce à ce troc insidieux, vont pouvoir revenir vers 39 heures sans augmenter pour autant les salaires, le rachat des RTT se faisant au coût du salaire actuel (le gouvernement proposerait finalement 10% de plus, ce qui, si c’était confirmé, resterait inférieur au coût des heures supplémentaires). Le patronat s’est d’ailleurs félicité de cette mesure, dont il est le grand gagnant. Quant aux petits salariés, pour ceux qui ont des RTT puisque cette mesure est loin de concerner tout le monde, ils sont condamnés à sacrifier leurs jours de repos et leur famille pour prétendre non pas à être augmentés, mais à se faire payer au prix quasi normal des jours supplémentaires. Seuls les salariés du haut de l’échelle, déjà grands bénéficiaires des 35 heures, auront le choix : n’ayant pas de problème de pouvoir d’achat, ils pourront conserver leurs RTT ou les épargner.

La comparaison entre pays européens confirme le constat : elle montre que le PIB par habitant, proportionnel à la productivité, est inversement proportionnel au nombre d’heures travaillées. Les pays de l’est et du sud sont ceux qui travaillent le plus avec les PIB par habitant les plus faibles, alors que les pays du nord, pays scandinaves en tête, sont ceux qui travaillent le moins avec les PIB par habitant les plus forts (source : Brieuc Bougnoux, Alternative économique de novembre 2007). Ceci ne veut pas dire que travailler moins est la solution, mais que c’est une tendance qui accompagne généralement le développement d’un pays moderne, et que travailler plus n’est pas la solution.

Dans tous les cas, sans activité, « travailler plus » n’a pas de sens. Et s’il y avait une reprise d’activité, le stock de travail se trouverait d’abord en France chez les chômeurs, les jeunes (entrant trop tard dans la vie active) et les seniors (exclus trop tôt de la vie active). Autrement dit vers un « travailler tous » plutôt qu’un « travailler plus » qui exclut les inactifs. Il est d’ailleurs frappant de constater que les pays européens qui ont le PIB par habitant le plus fort sont aussi ceux qui ont le taux d’emploi le plus fort entre 15 et 64 ans, en particulier pour les jeunes et les seniors. C’est sur ce dernier point que la France pèche, et pas sur la durée de travail hebdomadaire pour laquelle elle est dans la moyenne.

Le premier défi économique de la France pour créer de l’activité et être compétitive, ça n’est pas de travailler plus, mais c’est l’adaptation de la production au marché mondial, la diversification, la recherche de nouveaux marchés, et cela passe par des investissements massifs dans l’éducation, la formation, la recherche et l’innovation. Avec des solutions aussi simplistes que « travailler plus pour gagner plus », on en est loin.


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