Un DIF revu par la Cour des Comptes

par Didier Cozin
lundi 9 février 2009

La Cour des comptes a décidé de se saisir de la formation professionnelle à l’occasion d’un rapport (février 2009) pour recadrer des droits à la formation qu’elle estime coûteux, inefficace et mal utilisés.
Même si certaines remarques nous semblent pertinentes (un accaparement du CIF par des salariés qualifiés) nous semblent pertinentes, mettre au même niveau le DIF et le CIF nous semble être une erreur. Le droit à la formation concerne tous les salariés qui doivent se former dans la nouvelle société des savoirs et de la connaissance, le CIF a une vocation plus ciblée sur des reconversions professionnelles.
Tout l’enjeu des prochaines années consistera à permettre la généralisation du DIF et la multiplication des CIF.

Notre pays a élaboré en 2003 (ANI de septembre 2003) puis légalisé en 2004 (Loi pour la formation tout au long de la vie) un droit original, novateur et révolutionnaire : Le DIF (Droit Individuel à la Formation). Ce DIF constituait alors un pari sur l’intelligence collective au travail : Intelligence des entreprises qui devenaient entreprenantes et bienveillantes face aux apprentissages de leurs salariés et pari sur la capacité des individus à se saisir d’un Droit de négocier une formation professionnelle, de s’approprier leurs apprentissages afin d’en devenir co-auteurs.

Ce double pari promu par tous les partenaires sociaux, les gouvernements successifs, les branches professionnelles, ce pari pourrait être perdu, notre pays semble toujours incapable de sortir des anciens schémas, d’entrer dans une société cognitive, de la confiance et du partage des connaissances.

Les responsabilités face à ce possible fiasco éducatif sont partagées :

La Cour des comptes elle même s’est saisie du sujet en ce mois de février 2009 avec un rapport sur « les dispositifs de formation à l’initiative du salarié ». Si effectivement le DIF et le CIF sont des dispositifs à l’initiative des salariés, vouloir ainsi les mêler serait une erreur selon nous. 

Le CIF : C’est un dispositif ancien qui reste marginal dans notre pays car très couteux. Par un souci légitime de justice sociale les partenaires sociaux ont obtenu que la prise en charge du salaire de la personne soit assurée au titre du CIF et de ce fait très peu de CIF sont réalisé alors que les budgets qui lui sont alloués sont conséquents (0,2% de la masse salariale).

Le problème principal du CIF n’est pas évidemment son coût total, mais bien plutôt le faible nombre de CIF qui sont réalisés tous les ans : 35 000 CIF par an soit un CIF pour 500 salariés en moyenne.

Le CIF reste (comme la VAE) un dispositif marginal (pour avoir un réel impact il faudrait au moins 100 000 CIF par an, c’est à dire diviser par trois le budget moyen alloué à un CIF).

Le DIF est totalement différent, même s’il est comme le souligne la Cour aussi à l’initiative du salarié et même si son nom est proche de celui du CIF (ce qui contribue à rendre opaque les deux dispositifs pour nombre de salariés).

La Loi votée en mai 2004 a donc créé le DIF, un Droit universel à la formation pour tous les salariés de France. Il s’agit d’un droit individuel, universel et capitalisable, très différent donc du CIF qui est conçu comme une assurance reconversion professionnelle (tout le monde cotise mais très peu en bénéficient).

Selon la Cour des comptes les partenaires sociaux (qui ont négocié durant 2 ans), le législateur, les gouvernements successifs, les OPCA... personne n’a pri conscience que le DIF était « une bombe à retardement », un dispositif qui pourrait se révéler fort coûteux à partir de 2010.

Avant d’enter dans le détail des chiffres (et nous contestons ceux produits par la Cour des comptes), remarquons que pour la Cour des comptes, la formation n’est qu’un coût, qu’elle ne saurait être un investissement et que le droit offert à tous les salariés du privé d’entrer dans la société de la connaissance et de l’information (qui nécessite évidemment une remise à jour permanente des connaissances), que ce Droit devrait être dénié à la grande majorité des salariés pour remédier à un enseignement professionnel et général incapable de qualifier de nombreux jeunes.

Venons en aux chiffres cités par la Cour des comptes. Même si elle admet que le DIF devait se réaliser hors temps de travail (et le nouveau Code du travail de mai 2008 est sans ambiguité sur ce point), la Cour estime que la plupart des entreprises n’ayant pas adopté cette modalité il en coûtera annuellement une somme de 4 milliards d’euros en salaires versés pendant les DIF des salariés. Rappelons que ce calcul est basé sur des coûts supportés par des entreprises qui n’auraient pas respecté le code du travail, les accords interprofessionnels et les accords de branche : en effet selon tous ces accords le DIF se réalise (sauf quelques exceptions et en partie sur le temps de travail alors) hors temps de travail.

C’est une modalité nouvelle en formation et elle permet

Si donc certaines entreprises (et le DIF est encore tellement confidentiel qu’il est vain d’extrapoler des coûts comme l’a fait la Cour) ont souhaité par aveuglement ou par conformisme (confondre le DI et le plan de formation) adopter une modalité 4 fois plus coûteuse pour elles, elles devront assumer ces coûts sans qu’ils ne puissent être mis au débit du DIF. Pour notre part nous estimons que les coûts en allocation formation d’un DIF hors temps de travail ne dépasseront pas 900 millions d’€ pour 10 millions de personnes qui se forment tous les ans 20 h. Bien loin donc des 4 milliards d’€ des salaires chargés si le DIF est réalisé sur le temps de travail . 

C’est un prix plafond, basé sur des coûts pratiqués en formation traditionnelles. En matière de DIF les coûts moyens sont environ 2 fois moindre soit 20 € de l’heure (pour des formations en groupe, dans les locaux des entreprises). Avec un coût de 400 € pour 20 h de DIF et 8 millions de salariés se formant tous les ans (75 % des salariés en CDI) nous parvenons à un total de 3,2 milliards d’€.

Résumons nous : avec moins d’1 milliards d’€ pour les allocations formation et 3,2 milliards pour les coûts pédagogiques nous parvenons à 4,1 milliards d’€ en année pleine (et sans doute pas avant 2011 ou 2012). On voit que nous sommes très loin des 13 milliards d’€ avancés par la Cour (77 milliards même en multipliant par les six années du compteur DIF). Un DIF coûte environ 50 fois moins cher qu’un CIF et surtout il permet à tous les salariés d’entrer dans le processus « formation tout au long de la vie ». Il est donc irremplaçable et proposer de le réserver aux seuls salariés non qualifiés, seniors ou travaillant dans les PME serait une erreur (dans une usine d’un grand équipementier dans le Nord, 75 % des salariés n’ont aucune qualification, devra-t-on leur refuser le DIF sous prétexte qu’ils travaillent dans une grande entreprise ?)

On peut adresser trois reproches à la Cour des comptes concernant ce dossier formation

La Cour des comptes ne devrait pourtant pas confondre DIF et CIF (même si les deux acronymes prêtent à confusion). Il ne s’agit en rien de la même démarche ni des mêmes finalités. Vouloir réunir les deux dispositifs comme le souhaitait récemment encore le patronat serait une erreur. Le DIF est un droit universel à se former et il ne saurait être question d’empêcher un cadre ou un ingénieur de maintenir son employabilité et ses compétences via son DIF.

Le CIF dispositif ancien (plus de 18 ans d’âge) pourrait certes être amélioré et certaines des remarques de la Cour des comptes sont pertinentes : Ces longues reconversions pourraient être réservées aux salariés ayant une faible qualification, tout comme la VAE et il serait utile de multiplier le nombre de CIF en abaissant ses coûts (dont la plus grande partie est absorbée par les rémunérations versées aux stagiaires) 

Le DIF, quant à lui, doit rester universel et les coûts de ces remises à niveau sont supportables dans la mesure où les entreprises jouent le jeu de l’employabilité et du développement des compétences.

Le DIF et le CIF méritent donc mieux que les compte approximatifs auxquels s’est livrée la Cour d (cette institution est finalement aussi faillible que autres les institutions) et les sempiternels rappels sur les jeunes sortis du système sans formation n’exonèrent pas les entreprises et la société de leur responsabilité quant au maintien de l’employabilité de tous les actifs.

Concernant les PME qui n’auraient pas droit à la formation, cela demeure une illusion. Le DIF est justement la chance des petites structures face à la formation car il s’exerce hors temps de travail. Le DIF réclame simplement de l’intelligence, du courage et de l’imagination (il faut par contre que toutes les entreprises paient le DIF de leur salarié, quelque soit leur taille et sans recourir au système opaque, lourd et coûteux des OPCA)

Tout cela n’est pas très sérieux. Les entreprises, les OPCA, les organismes de formation ont laissé se former une énorme bulle en formation, ils doivent désormais assumer leur responsabilité face à ce krach prévisible à partir de 2010 : 1 milliard d’heures de DIF capitalisées par les salariés du secteur privé. Des salariés qui ayant capitalisé cette (modeste) assurance employabilité n’accepteront pas de voir remettre ainsi en cause leur Droit fondamental à se former alors que la crise économique entraînera chacun dans des reconversions difficiles et exigeantes.

Le DIF vivra donc et s’il risque désormais de cannibaliser les autres dispositifs de formation, les acteurs de la formation professionnel vont devoir cesser de se voiler la face, se reconstruire s’ils souhaitent ne pas être engloutis par la formation tout au long de la vie.

Les questions du financement du DIF, de la transférabilité intégrale des droits à la formation, de la gestion d’un compte individuel de formation, mais aussi du DIF des intérimaires, des salariés en CDD ou des saisonniers, tous ces dossiers ne peuvent être laissés en jachère, balloté de commission en commission, de rapport en rapport alors que peut être 500 000 travailleurs vont se trouver sans activité cette année.

Notre vieux pays (comme l’appelait De Gaule quand il traversait des épreuves) est désormais au pied du mur, perclus d’archaïsmes, de conformismes, bloqué par de nombreuses citadelles. Face à une crise majeure, mobile et terriblement dangereuse pour notre cohésion sociale, nous ne pouvons plus différer les décisions fondamentales en formation :

Les semaines qui viennent vont remettre au premier plan le DIF, le CIF, la VAE et les divers bilans . Cette place est essentielle dans une société où la formation doit redevenir continue, personnelle et accessible. 

Comme le rappellait Philippe Mérieux, « la formation sans projet n’étant que de la répétition. »

 

Didier Cozin

Auteur d’Histoire de DIF et de Reflex DIF


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