Un futur à la dérive

par Olivier CHAZOULE
mardi 31 août 2010

Les Futures – ou contrats à terme - sont des contrats passés sur un événement futur. Ils sont nés chez les Egyptiens, ont pris leur essor chez les Grecs, se sont développés aux Moyen Age et ont prospéré ensuite. Le principe est très simple : dans certains métiers ou sur certains marchés économiques, il est impossible de prévoir quel sera le prix de la denrée (blé) ou de la matière première (gaz naturel) ou du métal (cuivre) au moment où ils seront placés sur ces marchés.
 
Un agriculteur doit semer des graines, les faire pousser, les récolter, et seulement ensuite les vendre. Entretemps il doit nourrir sa famille, payer les graines qu’il achète, l’essence du tracteur, etc. C’est pour cela que lui ou sa coopérative vont sur le marché à terme vendre pour dans 6 mois le blé qui n’a pas encore poussé. Interviennent alors plusieurs agents de marché et notamment les spéculateurs – au sens premier du terme et non dans son sens défavorable – qui injectent des liquidités dans le marché. En clair, les spéculateurs vont acheter des contrats pour une valeur de 100 en espérant qu’ils vaudront 120 dans 6 mois. D’autres spéculateurs vont vendre à terme les contrats de 100 qu’ils ne possèdent pas encore mais qu’ils s’engagent à acheter avant l’échéance de 6 mois.
Pour l’instant tout va bien. Il y a une logique humaine, une logique économique et une logique financière.
 
D’ailleurs ce marché à terme est non seulement celui du blé, mais aussi celui de presque toutes les céréales, du sucre, du pétrole, des minéraux, etc. C’est le marché des Commodities qui se traite sur le Globex (marché international fonctionnant 24 heures sur 24) et à Chicago (CME, Chicago Mercantile Exchange), Paris, New York et en Australie notamment. 
 
Pour le pétrole, le principe est le même : entre le forage, le pompage, le transport, le raffinage et la distribution il s’écoule un certain temps et il faut financer les investissements par des ventes à terme. 
Ce qui va moins bien c’est lorsque le marché joue sur des Futures qui n’ont pas ou peu de sens. Par exemple il existe un marché de Futures très actif à la Bourse New York (New York Stock Exchange) qui consiste à acheter des contrats fondés sur les cours d’ouverture de la Bourse. Les investisseurs vont donc jouer à deviner quelle sera la valeur de l’indice boursier Dow Jones à l’ouverture du marché, 9h30 heure de New York, indice fondé sur les 30 plus grosses sociétés cotées. Ils vont jouer 12 heures avant l’ouverture, ou 6 heures avant, mais aussi 3 heures avant ou même une demi-heure avant l’ouverture.
 
L’utilité ?
Si quelqu’un a une idée précise qu’il s’exprime ou se taise à jamais…
 
Le risque ?
Considérable.
 
Il suffit en effet qu’une nouvelle (financière, économique, sociale ou politique) de dernière minute intervienne (une nouvelle positive ou négative ou mal interprétée par les acteurs du marché) pour que des dizaines de millions de dollars brûlent en quelques secondes.
 
L’autre risque majeur ce sont les Dérivatives, ou Produits Dérivés. Ils sont de la même nature que les Futures, mais décomplexés. C’est-à-dire qu’ils s’affranchissent de l’excuse d’avoir un rôle économique utile, ils sont tout simplement des produits de spéculation. Techniquement, il s’agit de contrats dont le prix n’est pas celui d’une chose (au sens juridique français) comme un objet, mille voitures, une cargaison de matières premières ou des containers de marchandises.
 
Il s’agit de contrats dont les valeurs s’appuient sur des valeurs de choses existantes [ou pas]. Mais ces valeurs des choses sont projetées sur le futur. Ces contrats ont donc une valeur propre, distincte la valeur de la chose elle-même. Ils ont la valeur supposée – ou pariée – que la chose aura dans 3 jours ou 6 mois. Comme les Futures, mais à un second degré. Ce sont des contrats sur des contrats. On ne varie pas sur la variation supposée du prix, mais sur la variation de la variation.
 
Cela se corse quand l’objet des dérivatives sont des instruments financiers eux-mêmes portant une certaine part de risque (actions, obligations, etc.), ou des indices financiers (agrégats de valeurs au montant variable et qui sont donc par définition hyper-volatiles) ou encore les monnaies ou devises. Dans ce cas, les monnaies-devises déjà très volatiles sont rendues exponentiellement encore plus volatiles.
 
C’est comme coupler un oscilloscope à un stroboscope. Déjà qu’on a du mal à suivre les mouvements du premier, si l’on multiplie les oscillations de l’un par celles l’autre on obtient un mouvement littéralement frénétique, 
 
Certains objecteront que ce n’est pas beau. D’autres diront que c’est formidable de faire de l’argent à partir de rien. Tous ont probablement un peu raison. Mais le problème est ailleurs : le sens commun et l’épreuve des faits nous montrent qu’il est difficile de bâtir des châteaux sur du sable et de les faire durer longtemps.
 
Les Dérivatives sont des paris. Tout simplement. Des paris sur des valeurs réelles et leurs fluctuations supposées ou des paris sur des paris. Ou des paris sur des paris sur des paris. C’est-à-dire que l’on ne se contente plus de jouer à la roulette, on parie sur l’heure à laquelle le croupier va bailler ou la serveuse apporter des rafraichissements ou le montant que les joueurs vont perdre entre 23h et minuit. 
 
Cela peut sembler ahurissant ; ça l’est. Et ça dure depuis 50 ans avec des accélérations subites comme la fameuse spéculation sur le sucre (Dérivatives [les contrats] entendues comme part de Futures [le sucre à terme]) qui a donné le film Le Sucre il y a quelques décennies qui faisait référence à la spéculation sur le sucre dans les marchés à terme. La Bourse de Commerce de Paris avait failli sauter. Des milliers d’épargnant se sont trouvés ruinés.
 
Tous les récents scandales financiers se soldant par des pertes énormes de grandes banques européennes, américaines ou asiatiques sont fondés de très près et de pas bien loin sur les Dérivatives, leurs risques inhérents, et le fait qu’à force de jouer à la roulette russe on en perd la tête.
 
Pour corser le tout et ajouter à l’épaisseur du brouillard et à la confusion, techniquement les Futures sont une forme de Dérivatives et les Dérivatives sont une forme de Futures. Au milieu de cette bouillabaisse financière flottent les swaps et les options
 
Au départ tous ces instruments ont une fonction économique. Les Futures pour les marchés à terme en général, et les Dérivatives pour certains marchés à terme comme celui du riz ou pour entretenir la fluidité des marchés financiers (un terme poli pour parler d’hyper-spéculation).
 
Les swaps sont utilisés dans la finance internationale et le commerce international lorsqu’on se couvre à terme par des opérations immédiates d’échanges de financements futurs à taux garantis.
 
Avec les options on achète le droit de vendre [put] ou on achète le droit d’acheter [call] un instrument financier (généralement une action de Bourse, mais pas limitativement) à un moment prédéterminé dans le futur.
 
Mais là encore, la spéculation a transformé ces instruments légitimes en instruments de recherche frénétique de profit pour le profit.
Le problème n’est d’ailleurs même pas là, car après tout la recherche effrénée du profit est un problème de morale qui échappait jusqu’ici à l’économie et à la finance.
Ce n’est plus le cas désormais, car ce ne sont les plus profits qui sont en cause, mais les gigantesques pertes générées par les mouvements erratiques de ces Futures et Dérivatives. L’amplitude et le montant des ces swings ont un effet de balancier proprement terrifiant pour les millions de gens qui, du fait de ces spéculations, perdent leur emploi, leurs économies, leurs logement ou tout cela à la fois. Ces victimes ne sont pas les spéculateurs eux-mêmes, mais les employés des banques qui essuient des pertes, des sociétés qui ne trouvant plus de financement pour leurs opérations courantes ou qui font faillite du fait de l’absence quasi-totale de liquidité du marché financier (obligations, crédits classiques) qui rend très difficile voire impossibles les prêts aux petites et moyennes entreprises.
 
Le moins rassurant de tout cela est que plusieurs médias américains financiers ou généralistes (Wall Street Journal, CNBC, New York Times, etc.) sont allés demander aux professionnels des Dérivatives eux-mêmes ce qu’étaient les Dérivatives. Pas un seul n’a pu donner une définition satisfaisante et complète, et 80% des traders et banquiers interrogés ont avoué ne comprendre que 50% au mieux du fonctionnement des Dérivatives.
 
Dans ce contexte, le cheval fou s’est emballé. Et personne ne sait plus comment l’arrêter. 
 
Peut-être faut-il demander son avis lors de sa sortie de prison à Gordon Gekko, le spéculateur « génial », cynique et fou des films Wall Street  ; il a de l’expérience et il refait toujours surface.
 
 
Olivier Chazoule

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