Un plan de relance pour occuper l’espace

par Rage
vendredi 5 décembre 2008

A crise exceptionnelle, dispositions exceptionnelles.
Le plan de relance annoncé dans une mise en scène des plus sobres par le chef de l’Etat le jeudi 4 décembre devait pouvoir relancer une économie aux portes de la récession.
Evalué à 26 milliards d’euros, le plan de relance à la Française estimé à environ 1,3% du PIB (1950 milliards d’euros) ne constituera en rien l’électrochoc annoncé et souhaité pour relancer une économie en crise.
1. Une crise pour avertissement
 
L’année 2008 aura été celle de l’effondrement d’un modèle économique : celui où l’on pensait que tous les excès étaient éternellement possibles, sans limite.
 
Cette crise, sans aucun doute de « civilisation » au sens où le monde se cherche un but, constitue indubitablement l’une des profondes preuves qu’il n’y a pas d’avenir possible pour l’humanité sans qu’elle se donne des limites.
 
La crise financière a fait voler en éclats les paradigmes « fashions » comme l’auto régulation du marché, le découplage de l’économie, la maîtrise des crises par les instances internationales, etc…, et même si notre « gauche local » ne sait absolument pas en user, force est de constater que toutes les incantations libérales en prennent pour leur grade : le pacte de stabilité est lui-même mis au placard. 
 
La conséquence sur l’économie réelle ne s’est pas faite attendre, et il fallait s’y attendre depuis déjà plusieurs années : la crise financière a fait fondre les capitalisations et autres portefeuilles des actionnaires. Elle s’est parallèlement ajoutée à une phase de décélération des prix de l’immobilier, venant dévaloriser les patrimoines, et enfin a fini de stopper net la croissance molle agonisante d’une économie industrielle incapable de produire sans exploiter et concentrer.
 
Tous les indicateurs ont viré dans le rouge, si ce n’est celui du pétrole qui, avec les jeux spéculatifs et d’adéquation offre/demande a vu son prix revenir à des niveaux de 2006.
 
La crise économique, mondiale, qui s’annonce pour 2009, et particulièrement en Europe devrait pourtant engendrer des réactions autrement plus fortes que celles consistant à venir, au pied du mur, injecter à des banques fautives, des milliards d’euros pour se recapitaliser et relancer le marché des liquidités bancaires.
 
L’Europe, en ordre dispersé, a hésité – et hésite encore – à tenter un plan de relance massif. Il faut dire qu’il s’agit là des dernières cartouches budgétaires avant d’aller pointer à la liste qui s’allonge des pays en demande d’injection de milliards par le FMI.
 
Car soyons clairs : si la France ne redresse pas rapidement ses finances publiques et parallèlement son économie, c’est la faillite de l’Etat et la tutelle du FMI qui attend les français.
 
Face à ces enjeux, que nous propose t’on ?
 
2. De la trésorerie et des mesurettes pour amusement
 
Le plan massif de Nicolas Sarkozy consiste à jouer sur 3 facteurs :
  1. Donner l’illusion d’engager de nouveaux financements (effet trésorerie)
  2. Poursuivre dans une logique du « tout pour l’entreprise »
  3. Donner des mesurettes pour la plèbe afin d’occuper l’espace
 
Quand on lit plus attentivement les dispositions proposées, et les personnes de niveau s’en apercevront rapidement, il est marqué entre les lignes : Chef de l’état ne sachant plus quoi faire réutilise les recettes qui n’ont pas marché affaire d’occuper l’espace.
 
Prenons les une par une brièvement :
 
 
23 milliards pour de la trésorerie
 
A. Volet « Effet Trésorerie » sur les infrastructures
Nicolas Sarkozy indique sa volonté de relancer les investissements publics à hauteur de 11,5 milliards d’euros, notamment pour les grands projets d’infrastructures.
Certes, il est – enfin – grandement nécessaire de relancer les projets d’infrastructures, les seuls vrais projets d’envergure publique qui dimensionnent la richesse d’un pays.
Pour cela, il y a notamment les contrats de projet Etat-Région (CPER) dont le dernier couvre la période 2008-2013.
Les CPER sont bouclés depuis 2008 et sont aujourd’hui en phase de mise en œuvre.
L’injection annoncée de 11,5 milliards (même si 2,5 milliards sont issus des collectivités locales et 2,5 autres des entreprises publiques mais passons) constitue donc ni plus ni moins qu’une demande d’accélération d’engagement de crédits, ceux-ci n’ayant pas été débloqués quand les acteurs locaux les demandaient, et ne peuvent l’être en l’état sans que les études et autres travaux préliminaires aient été achevées.
 
Avancer une ligne budgétaire ne fait pas construire une ligne à grande vitesse (LGV) d’un coup de baguette magique. Cela fera peut-être sans doute plaisir à Bouygues, Vinci, Eiffage & Consors pour relancer leur business mais ne changera pas grand-chose pour les « sous-traitants » déjà sollicités pour ces projets.
De plus, les effets sur l’économie réelle ne se verront que d’ici 2 à 3 ans minimum, les projets d’envergure « CPER » ne pouvant se mesurer qu’à moyen terme sur l’économie, si tant est que l’on ne revende pas les infrastructures lorsqu’elle viennent à rapporter de l’argent à l’Etat (cf autoroutes).
 
Il y a aussi les « redites » sur le plan Campus, celui-là même qui devait s’appuyer sur 5 milliards d’euros issus de la vente des actions EDF, elles-mêmes vendues à 3,7 milliards du fait de la baisse des cours, et ces 3,7 milliards replacés sur d’autres actions/placements dont les intérêts sont sensés alimenter les projets… Bref ce n’est pas 5 milliards, mais de malheureux intérêts sur une somme qui a fondue en bourse qui sera réellement utilisée. Les campus peuvent donc toujours attendre !
 
Enfin les 1,4 milliards pour l’armement, très utiles pour le développement humain, ainsi que les 8 milliards de prêts pour les « PPP » où participent Bouygues, Vinci… bref les mêmes. 
 
 
B. Second volet trésorerie pour les entreprises
L’anticipation du remboursement par l’Etat de11,5 milliards d’euros de dettes (crédit impôt-recherche, TVA, impôt sur les sociétés) aux entreprises afin "d’améliorer leur situation de trésorerie" va pleinement en ce sens.
Il s’agit ni plus ni moins que de différer les taxes à percevoir et d’anticiper des reversements de « trop perçu » afin de donner aux entreprises plus de liquidités.
Cela n’a aucun effet à moyen terme puisque la ligne budgétaire ne change pas : les entreprises doivent toujours verser des taxes et l’Etat aligner ses comptes.
 
A court terme, cela donne une impression de trésorerie et peut éviter les effets « à découvert » : ce levier reste « marginal » face à la situation initiale posée.
 
On notera en complément « règlementaire » la disposition consistant à faire exploser les seuils des marchés publics : une disposition qui passe inaperçue mais qui risque de faire très mal à moyen terme.
L’idée de N.Sarkozy étant de faire sauter les plafonds des appels d’offre (206k€ à 5,15M€) pour faciliter la commande publique.
Le problème étant, que s’il existe des marchés publics, c’est justement pour éviter que la commande publique ne devienne du pur clientélisme local. Les plafonds existent pour permettre l’accessibilité, la concurrence et la transparence de la commande publique, notamment pour les marchés importants.
Faire sauter les plafonds n’est pas sain, ni pour les finances publiques, ni pour la transparence : cela amène à revenir au temps de l’ORTF… encore. 
 
Bilan : 23 milliards sont uniquement « avancés » sur le budget 2009 pour « porter » les projets et les entreprises. Cela ne change en rien la donne de fond, et finalement, n’aura que peu d’incidence budgétaire outre le fait de payer des intérêts sur les sommes avancées.
 
3 milliards pour la galerie
 
Pour compléter les lignes un peu vide de ce plan, 3 milliards pour des dispositions « diverses » qui n’auront absolument aucun impact dimensionnant sur l’économie et permettront aux finances publiques de se creuser joyeusement un peu plus :
- 200€ de plus pour les bénéficiaires de la prime pour l’emploi à plein (3 millions de bénéficiaires), c’est-à-dire une carotte pour les plus bas revenus d’activité
- Une prime à la casse de 1000€ pour un achat de véhicule neuf (vous connaissez beaucoup de gens qui ont des vieilles bagnoles et achètent neuf leur véhicule ?) qui n’aura pour seul effet que de stimuler temporairement la demande sur un marché en baisse de 25% en 3 mois sur le plan Européen.
- 300 millions d’euros sous forme d’appui aux trésoreries des constructeurs automobiles (je n’ai pas tout suivi sur ce point)
- Une nouvelle exonération des cotisations sociales pour les embauches entre 1 et 1,6 SMIC en 2009 (comme ça au moins c’est clair ; les revenus sont plafonnés) succédant à toutes les autres exonérations du même ordre (et peut-être même est-ce une répétition)
- 500 millions pour la mise en œuvre du « Contrat de Transition Professionnel », faut-il encore que ce contrat ait du contenu.
- le doublement du Prêt à taux Zéro pour l’achat d’un logement neuf en première résidence principale (sans doute la moins pire des mesures même s’il s’agit d’une rustine qui pourrait alimenter les prix élevés) ainsi que le rachat de 30 000 logements à des promoteurs déjà annoncé en novembre et qui risque de s’avérer hautement « casse-gueule »
 
Bilan : 3 milliards dispensés en actions diverses et peu structurantes. Aucune action sur la fiscalité ou l’organisation de la sphère publique (dépense/recette). A peine une perfusion pour l’industrie automobile, celle-ci étant déjà sous morphine avec la prime « diesel-écolo ».
 
Le grand absent : le Français moyen et son pouvoir d’achat.
Aucune disposition sur les salaires (indirectement sur la fiscalité ou les taxes), aucune disposition amortissant les délocalisations et autres générateurs de chômage.
Rien, si ce n’est du réchauffé qui ne fonctionne déjà pas.
 
Un modèle à bout de souffle, depuis trop longtemps.
 
 
3. Une crise pour un modèle nouveau à créer
 
Il suffit de lire rapidement ces points pour comprendre que les décisions majeures n’ont pas été prises.
Elles ne l’ont pas été car l’Europe elle-même est frileuse quant à engager un plan de relance massif, entraînant les dettes publiques dans des fosses abyssales.
 
Nicolas Sarkozy a voulu faire bonne figure, mais finalement il ne faut pas se tromper : l’UE – l’Allemagne en tête- ne souhaite pas réaliser un plan type « Obama » parce qu’elle n’est elle-même pas convaincue par ce plan et pense que celui-ci n’aura pas le même effet sur des économies historiquement plus rétives au changement et à l’adaptation en peu de temps.
 
Seul le Royaume-Uni de G.Brown a fait le choix de « tenter quelque chose » parce que la finance au RU a pris une telle mesure sur la croissance qu’il n’était pas possible de ne rien faire.
 
Il demeure néanmoins que l’Europe, et même l’économie mondiale, sont aujourd’hui face à un problème bien plus vaste que la simple question de « rustiner » un système qui touche ses limites : comment générer de la croissance durablement, sans réguler puisque les plus puissants ne le souhaitent pas, et sans crasher puisque les plus pauvres ne suivent plus ?
 
Comment générer des richesses quand la production est captée par des économies où le coût du travail est 10 fois moindre, quand les profits sont captés par une minorité, quand les ressources s’amenuisent et que les frais de fonctionnement à l’identique explosent ?
Comment assumer les charges d’un niveau de vie aussi « consumériste de ressources » sans en avoir les moyens depuis aussi longtemps ?
 
Ces questions là, entre autres, Nicolas Sarkozy et tous ceux qui critiquent sans apporter de propositions auraient pu se les poser.
 
Ils auraient pu alors avancer que les grandes dispositions de « relance » constitue avant tout à redonner du pouvoir d’achat aux individus, à axer l’action économique sur les ménages moyens, à focaliser sur les enseignements et le savoir dans l’éducation, à mettre le paquet pour corriger l’injustice fiscale, sociale ou spatiale de ce pays.
 
Oui, le chef de l’état aurait pu faire le pari de croire qu’avec des ménages aux revenus du travail nettement plus élevés, notamment par une redéfinition profonde de la fiscalité, ceux-ci auraient à nouveau fait le choix de consommer. Et si ceux-ci revenaient à consommer, on pourrait les orienter vers des produits « éco-durables » que de nouvelles sociétés pourraient mettre en place, en France, générant alors des revenus, des emplois et des impôts pour l’Etat.
 
Il est possible de relancer l’économie de la France, avec ou sans l’UE (avec c’est mieux) en se donnant les moyens d’engager des cycles économiques vertueux dotant les acteurs qui prennent des risques d’appuis pour réaliser leurs projets, leurs rêves et leurs entreprises.
 
L’économie de Sarkozy, de Barroso et de Bush est une économie du passé, fondée sur des dogmes du passé, enseignés par des profs eux-mêmes alimentés par des repères du passé et conseillés par des spécialistes eux-mêmes acteurs de la chute de ce système : un problème ne peut être résolu par ceux-là mêmes qui l’ont engendré.
 
A crise exceptionnelle, dispositions exceptionnelles, innovations et stimulations économiques exceptionnelles.
 
La France comme la « vieille UE » ont besoin de modèles nouveaux pour imposer leur marque dans le monde. Il n’y a pas de leadership économique pour ceux qui suivent et ne prennent pas les devants.
 
Si nous revendiquons une place au premier rang mondial, nous ne pouvons nous contenter de plans « cache-misère » et nous devons affronter la réalité en face :
 
La crise de 2008 est l’occasion, historique, de changer nos modèles de vie pour aller vers d’autres repères de développement humain que la simple course au rendement et à la consommation à outrance de tout ce qui passe sous nos mains.
 
L’argent ne fait pas tout, et ne peut être concentré sans occasionner la chute de tous.
Qu’on le veuille ou non, notre monde est mortel (nous l’avons appris au 19ème siècle), nous savons dorénavant qu’il n’a d’avenir que s’il se fixe des limites et apprend à raisonner dans l’intérêt global.
 
Saurons-nous un jour assumer notre destin et changer les choses pour un monde plus rationnel, plus équilibré et plus juste pour l’accomplissement de tous ?
 
Nous en sommes encore loin.
Mais si nous le voulons, nous le pouvons.
 

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