Une crise bien plus idéologique qu’économique

par Bernard Dugué
jeudi 1er septembre 2011

Les riches deviennent plus riches, alors que le nombre de pauvres augmente. Quoi de plus naturel en somme. Pour acquérir des richesses, il faut disposer de moyens. Et pour se doter de moyens, il faut avoir des revenus et des richesses. Le cycle est bouclé et la mayonnaise du profit n’a plus qu’à monter. Depuis que les sociétés pratiquant l’économie existent, les riches ont toujours tirés la meilleure part des richesses vers eux, leurs réseaux, leur tribu, leurs proches. Lorsque l’industrie s’est développée, la production de biens et la captation des profits ont flambé avec une rapidité fulgurante. Si bien qu’à un moment de l’Histoire, des penseurs de la politique et l’économie ont pris conscience du caractère insupportable de la pauvreté qui coexistence avec le luxe. Ils ont alors imaginé l’impôt redistributif. Ensuite, l’impôt sur le revenu a été mis en place. Contrairement à ce qu’une opinion approximative pense, la création de l’impôt sur le revenu en France est assez récente. Elle remonte à même pas un siècle, plus précisément à l’année 1915, et de surcroît, cet impôt n’avait rien d’une œuvre sociale mais servait à financer la guerre. Une guerre de plus et cette fois, une nouvelle prise de conscience, celle du CNR à l’origine de l’Etat qualifié de social ou de providence, terme bien évidemment impropre, l’Etat étant protecteur plutôt que providentiel. La protection sociale fut mise en place pendant les Trente glorieuses. Retraites, Sécu, allocations chômages, aide au logement, AAH, RMI, RSA.

Les dispositifs de l’Etat protecteur ont pour finalité de redistribuer les richesses. Une richesse se conçoit doublement. Premièrement, dans le contexte de l’économie rationnelle, une richesse est un chiffre indiquant un certain nombre d’unité de compte monétaire. Deuxièmement, une richesse est un bien qui permet de satisfaire un besoin, un désir mais aussi un manque. Mais comme beaucoup de satisfactions passent par la circulation des choses sur le marché, il faut disposer de richesses au sens monétaire pour se satisfaire avec des richesses prises dans le sens second, anthropologique. Cette rapide mise au point sert à pointer une vérité rationnelle. Pour redistribuer des richesses, l’Etat protecteur doit être suffisamment riche et comme l’Etat ne produit pas de richesses (sauf cas des entreprises nationalisées), l’Etat doit prendre les richesses à ceux qui en ont beaucoup pour les redistribuer et satisfaire de ce fait quelques besoins fondamentaux des plus démunis. Mais aussi et surtout pour assurer un ensemble de dépenses publiques concourant au fonctionnement de la société.

A partir des années 1980, le système de l’Etat protecteur a été mis en question et la société s’est progressivement dégradée. Et c’est tout le paradoxe du progrès et de la croissance. Plus le système a produit des richesses et donc, des moyens de satisfaire les gens, plus les individus ont été nécessiteux en richesses et en manque. La croissance de la demande en richesses a été plus rapide que la croissance des richesses. Du coup, les riches ont vu leurs désirs s’accroître, avec leurs profits, si bien qu’ils ont progressivement réduit l’emprise fiscale sur les Etats, avec la bénédiction des gouvernants, alors que dans le même temps, les besoins sociaux n’ont fait que croître dans un contexte où les travailleurs et les chômeurs voyaient leurs revenus diminuer.

La société a été sous la gouverne de plusieurs idéologies contenant des éléments mythologiques modernes, autrement dit rationnellement explicités mais complètement infondés. Les hauts revenus ne doivent pas être trop taxés car ils créent de la richesse. Voilà le leitmotiv de la droite. Un splendide sophisme censé faire accepter au peuple que les riches soient moins taxés. En fait, si haut revenus il y a, c’est parce que les riches captent les richesses. La baisse de la taxation ne répond à aucune morale mais à une concurrence fiscale entre Etat. C’est tout simple. Les riches ont exercé une sorte de chantage. Autre mythologie, celle de l’ascension sociale. Ce dispositif avait un sens au 19ème siècle et même jusque dans les années 1960 mais actuellement, qui peut prétendre que ce principe a une quelconque valeur républicaine ? Qui peut croire qu’une société faite uniquement de banquiers, professeurs, médecins, hauts fonctionnaires et avocats puisse fonctionner ? Autre mythe, sans doute le plus imposant, celui de la croissance économique comme remède aux problèmes contemporains. Si la croissance des richesses ne peut suivre celle des satisfactions, alors le progrès par l’économie est un leurre et il faut passer à un autre objectif fondamental. D’autres lubies encombrent les débats politiques, du mythe de l’égalité à celui du développement durable. Sans compter celui de l’économie par la connaissance. La règle d’argent devrait être pour tout politique de commencer par la connaissance de l’économie. Et la règle d’or doit être de prendre souci de l’humain et tout spécialement, des citoyens démunis, privés de revenus et d’emploi.

L’idéologie contemporaine des élites politiques est stupide. Un peu de raisonnement. Le premier problème social, c’est de satisfaire quelques besoins fondamentaux pour les déclassés, logement, éducation, soins, alimentation, connexion. Il se trouve des idéologues capables de défendre l’économie par la connaissance et l’innovation, autrement dit, de créer de nouveaux produits pour satisfaire des nouveaux besoins, alors que les déclassés n’accèdent pas au standard décent de consommation. Ces idéologues s’imaginent qu’avec la croissance nouvelle les pauvres seront tirés vers le haut. C’est un mythe contemporain qui fut un temps vérifié et qui se vérifie dans certains pays mais pas ici. Vérité avant les années 80, mensonge après les années 90. Ou alors vérité dans les pays émergents, mensonge dans les pays avancés. L’élévation des classes aisées ne profite plus à l’élévation des classes inférieures dans les pays avancés après les années 1980. L’idéologie non dite vise à asservir les populations au service des marchés, des dettes contractées par les Etats. Les dirigeants du système, financiers, gouvernants, managers, oeuvrent pour la meilleure satisfaction des désirs émis par une minorité dont ils font partie, en instrumentalisant le système homme, machine, travail.

Si crise veut dire décision, alors ces décisions doivent d’abord être idéologiques, avant d’être économiques. Mais où sont passés les idéologues servant la vérité ?


Lire l'article complet, et les commentaires