Vade-mecum pour les survivants de la crise sanitaire afin de ne plus commettre les mêmes erreurs

par Thierry Martin
samedi 28 mars 2020

Avertissement : Le vrai libéralisme, droite et gauche unis dans l’erreur, de Pascal Salin. Le texte qui suit rend compte de ce livre qui expose des principes qui seront d’autant plus nécessaires quand nous sortirons de la crise sanitaire que les partisans de l’interventionnisme étatiste à tous crins voient dans l’économie de guerre et l’autarcie, non pas une réponse exceptionnelle, mais une solution pérenne vers une économie décroissante, en oubliant que l’Etat et les collectivités locales ou territoriales vivent de la prospérité de l’économie marchande.

« On a présenté Emmanuel Macron comme un politicien libéral avant même son élection et, curieusement, on continue souvent à lui donner cette étiquette, alors que sa politique fiscale – ainsi d’ailleurs que la plupart de ses autres politiques - atteste du contraire de manière évidente. Il conviendra alors de ne pas attribuer à son prétendu libéralisme l’échec de ses politiques. » Si ce n’était pas Pascal Salin, économiste, professeur émérite à l'université Paris-Dauphine, membre de la société du Mont-Pèlerin qu’il a présidé de 1994 à 1996, qui était ici cité et qui expose, avec clarté depuis des dizaines d’années, les principes d’une vraie économie libérale, le vulgum pecus aurait pu douter de cette affirmation tant les partisans comme les adversaires du président Macron nous disent le contraire. Et pourtant page 107, c’est ainsi que Pascal Salin conclut le désespérant chapitre intitulé « Des alternances politiques sans conséquences. » Parce que malheureusement ce n’est pas nouveau.

Ainsi au travers de ses quarante années de chroniques on suit un Pascal Salin[1] qui tel Sisyphe remonte son rocher libéral lequel dévale soit le versant gauche, soit celui de droite d’une montagne qui accouche toujours de la même petite souris grise : la politique économique française de ces quarante dernières années. Droite et gauche unis bien avant le macronisme dans l’erreur. Que de rendez-vous manqués avec l’Histoire ! Que d’occasions manquées pour la France d’en finir avec le chômage de masse, l’inactivité chronique et le déclin.

De 1981 à 2019, Pascal Salin remet sans cesse son travail sur le métier et nous expose avec clarté les principes d’une vraie économie libérale. Des principes qui devraient servir de vade-mecum aux acteurs de nos sociétés libres. Il dresse au fil des chroniques, classées par thèmes et précédées d’une note de contextualisation, un constat implacable : pour lui, gauche et droite ont mené, peu ou prou, la même politique, imprégnée du même idéal collectiviste et égalitaire. Le changement de politique récent lui-même n’aura servi à rien si ce n’est à reproduire les erreurs du passé : loin des réformes dont la France a besoin, il n’y a, selon lui, rien de libéral dans les politiques mises en œuvre.

Il est désolant de voir à quel point la droite (on a presque envie de mettre des guillemets) française a validé cette idée progressiste qu’il y aurait un sens de l’histoire et un effet de cliquet qui empêcherait tout retour en arrière s’agissant des fameux « droits acquis ».

Pusillanime, jamais la droite française n’a osé le vrai libéralisme, celui d’Adam Smith remis au goût du jour par Friedrich Hayek. Un libéralisme aux ancêtres pourtant bien français : Turgot, Jean-Baptiste Say, Frédéric Bastiat, Alexis de Tocqueville, Benjamin Constant, auteurs désormais quasiment uniquement étudiés dans les universités anglo-saxonnes notamment l’excellent et plein d’humour Frédéric Bastiat aujourd’hui totalement inconnu en France.

« Friedrich Hayek – qui portait beaucoup d’intérêt à cette « exception culturelle » française – y voyait l’influence du positivisme, également bien représenté dans le passé en France, et d’un penchant pour l’attitude d’esprit de l’ingénieur qui a conduit à penser que « l’ingénieur social » pouvait être aussi efficace pour la gestion des sociétés que l’ingénieur proprement dit pour le fonctionnement des machines. »

Le problème français est essentiellement un problème intellectuel. Il résulte du fait que les idées les plus généralement adoptées par les français ont un fondement contestable, regrette Pascal Salin. Même s’il reconnaissait en 1996 qu’il existait encore des tête pensantes dans la tradition intellectuelle de l’humanisme français, « en dépit de l’euthanasie des universités », mais qu’elles étaient marginalisées ; qu’il y avait des chefs d’entreprise qui avaient le courage d’innover et de surmonter les obstacles bureaucratiques, « mais [qu’ils étaient] exploités, blâmés et méprisés » ; qu’il y avait « des gens modestes qui s’accrochent encore aux valeurs traditionnelles du travail de qualité et de l’honnêteté. Mais [qu’ils] sont frustrés en voyant qu’ils ne vivent pas mieux que tous les parasites sociaux qui attendent les transfert publics au nom de la solidarité sans faire d’effort personnel. » « Compte tenu de tous ces héros silencieux de la vie quotidienne, souvent je rêve, ajoute-t-il, d’une France libérée des contraintes de la réglementation, de la spoliation fiscale, de l’arrogance des « énarques » et des illusions des dirigeants syndicaux. Une telle France pourrait être une belle réussite. » 
 
Moi-même désespéré par ces blocages intellectuels, j’ai été dans une optimiste expectative lors du surgissement de cette force tellurique que fut le mouvement des gilets jaunes au point d’écrire dans le quotidien La Tribune du 18 décembre 2018[2]  : Emmanuel Macron se veut libéral, mais il a, lui aussi, subi le freinage de l'Etat profond, comme Nicolas Sarkozy en son temps. Les gilets jaunes prônant tout d'abord le « moins de taxes, moins de dépenses publiques » avaient, au-delà de la dimension identitaire du mouvement, pu apparaître comme des Messieurs Jourdain du libéralisme. De fait, tout se passe comme si les gilets jaunes étaient une réaction à l'attente suscitée par le discours du candidat Macron qui promettait une modernisation anti-corporatiste, une révolution libérale, la fin des privilèges. Comme l'écrivait Marx, dans « Le 18 Brumaire », quand on joue du violon au sommet de l'Etat, il ne faut pas s'étonner que le peuple se mette à danser. » Autant dire que depuis, ce mouvement a été largement phagocyté par la gauche et notamment par la CGT.

Certes il y eu quelques exceptions dans l’histoire récente comme les déclarations de Chirac en 1984 interviewé par l’auteur pour Le Figaro Magazine. Sans doute enhardi par les succès de Thatcher et de Reagan, et préfigurant l’arrivée d’un Madelin au gouvernement Chirac durant la cohabitation de 1986-1988, le chef de l’opposition Chirac déclarait : « La production de richesses ne peut être que le fruit du travail et de l’ingéniosité des hommes et que l’État, en tant qu’organisation est inapte à produire ». La réponse à la question du relèvement de la France étant « dans l’autonomie et l’initiative individuelle plutôt que dans les interventions collectives ou étatiques. » (…) à l’opposé le socialisme est « une construction idéologique qui fait fi des réalités et de la nature humaine » parce que « le profit n’est pas un prélèvement arbitraire sur la richesse ou le travail d’autrui, mais il est la sanction de la création de richesses, du service rendu…  » Autant vous dire que ni en 1986, ni en 1995 et encore moins en 2002, Chirac ne joignit le geste à la parole.

Une fois aux manettes Chirac n’eut pas le courage de réduire les dépenses publiques et laissa filer le déficit laissant de fait les commandes à l’Etat profond biberonné à un vague keynésianisme « consistant à croire à une mécanique globale dans laquelle l’élément moteur se trouverait être la demande et, plus précisément, la consommation ».

Alain Madelin, le seul vrai libéral qui fut Ministre de l’industrie du gouvernement Chirac sous Mitterrand, Ministre des Entreprises du gouvernement Balladur sous Mitterrand, n’eut jamais les mains libres. Le ralliement d’Alain Madelin ayant apporté à Jacques Chirac l’appui décisif à la présidentielle de 1995, il est nommé Ministre de l’économie et des Finances du gouvernement Juppé, mais vite en opposition avec lui, il est contraint à la démission au bout de trois mois.

Ceux qui « s’épuisent à produire et à créer en dépits d’obstacles réglementaires et fiscaux croissants » sont « victimes d’une véritable trahison », écrit Salin dans Le Monde du 27 août 1995. « Reprenant une expression d’Alain Madelin, Alain Juppé a exprimé le souhait de réduire la fracture sociale de notre pays. » Mais Juppé adopte les clivages traditionnels nantis/exclus, capitalistes/travailleurs, quand « les véritables fractures sociales – celles qu’Alain Madelin a su percevoir -, ce sont celles qui existent entre, d’une part, tous ces hommes et ces femmes, riches ou pauvres, qui travaillent, qui imaginent, qui entreprennent et, d’autre part, ceux qui vivent de transferts et de privilèges » ; ceux qui gagnent honnêtement et paisiblement leur vie et ceux qui s’enrichissent par la corruption ; ceux qui respectent la parole donnée dans un contrat privé et ceux qui croient pouvoir oublier leurs promesses parce qu’ils disposent du pouvoir de l’Etat. « Le vrai fossé, c’est celui qui existe entre une nomenklatura publique, irresponsable et inamovible, et tout ce peuple d’hommes et de femmes actifs qui ont l’angoisse du lendemain : salariés qui risquent de se retrouver au chômage, artisans, petits entrepreneurs suspendus à leurs bilans et menacés par le fisc, travailleurs indépendants dont le sort quotidien dépend de leur efforts et de leur imagination. »

Quand Madelin fut candidat à l’élection présidentielle de 2002, Pascal Salin ne put s’empêcher de le soutenir, mais ce fut en vain.

La pensée économique d’Alain Juppé « relève de la pensée magique », explique Pascal Salin dans Le Monde du 25 septembre 1996. Comment rétablir la confiance ? « En affichant une volonté vigoureuse de rétablir « les grands équilibres », ce vague objectif auquel on sacrifie tous les « micro-équilibres » depuis Raymond Barre, sans jamais pouvoir l’atteindre. »

Les échecs successifs des politiques de Barre, de Delors, de Chirac… sont dus à leurs errements dans l’étatisme, dans la croyance au salut par des dépenses, des investissements et de la dette publics. Mais la croissance, explique Salin, ne sera jamais relancée en misant seulement sur le secteur public. Malheureusement, la politique actuelle du gouvernement ne dépare guère de celles de ses prédécesseurs et reste étatiste.

Pourquoi ne pas baisser les prélèvements et procéder à un allègement significatif des réglementations afin de rendre à l’homme sa liberté et la maîtrise de son destin ? « L’individu est le seul souverain, et l’État, nécessairement limité, a pour rôle de garantir l’exercice des droits individuels, par exemple le droit à la vie, la liberté de pensée, le droit de propriété. L’avenir n’est alors pas prédéterminé à l’avance, il résulte des milliards de décisions individuelles, prises dans le respect du droit des autres. » Le libéralisme est la seule doctrine qui s’oppose au constructivisme c’est-à-dire à toutes les variantes d’étatisme de gauche comme de droite, du socialisme au fascisme, qui planifient la construction d’une société idéale. « Les libéraux, pour leur part, estiment qu’une société se construit elle-même de manière imprévisible grâce à des processus de coordination interindividuels et de création continuelle d’information. » Le prix étant l’information par excellence qui doit rester libre, seul moyen pour l’acteur économique d’accéder à une certaine vérité. En dehors de ça, personne ne sait, mais tout le monde, et surtout les économistes, prétend savoir, et être capable d’agir mieux que la multiplication des interactions micro-économiques qui génèrent « l’ordre spontanée ».

Sarkozy sur le plan économique ne fit pas mieux que ses prédécesseurs. Personnellement je sauverais la demi-mesure que fut la défiscalisation des heures supplémentaires au-delà de 35 heures et la réduction du nombre de fonctionnaires. Salin offrira aux lecteurs du Monde en 2013 un réquisitoire anti-Sarkozy qui ne fut pas pour leurs déplaire tandis que de l’autre main ils les obligeaient à voir dans l’échec du quinquennat, certes durement éprouvé par la crise de 2008, le renoncement à la rupture annoncée. « On parla des méfaits de l’ultralibéralisme alors qu’il s’agissait, conclut-il, des méfaits de l’ultra-interventionnisme étatique. »

Dans le dernier chapitre intitulé : des politiques économiques injustifiées, le professeur Salin, dans La Tribune, prend fait et cause pour la désindustrialisation regretté « en vain » dit-il, par le président Sarkozy. Si la part de l’industrie dans le PIB de 1997 à 2007 a baissé et les emplois industriels diminué, la production industrielle en volume est restée constante. Cela s’appelle des gains de productivité. On a économisé de la main-d’œuvre libérée pour d’autres activités et les prix des produits ont baissé. N’avons-nous pas connu une « désagriculturisation » sans même inventer le mot ? Certes une partie des activités a migré à l’étranger, mais la production purement matérielle des biens cède la place « aux activités de services à plus fort contenu intellectuel par exemple la conception de produits, la finance, le design, le marketing, etc. » Le chômage de masse ne provient pas de la destruction d’emploi mais d’une insuffisance de création d’emploi due aux « excès de prélèvements obligatoires et de réglementations (et le projet aberrant de loi sur le partage des profits avec les salariés n’est pas fait pour améliorer la situation !). »

Après le marasme du quinquennat Hollande, l’espoir suscité par la victoire, à la primaire de la droite, de Fillon et de sa révolution libérale fut de courte durée. Détermination du temps de travail par accord contractuel entre employeur et salarié, liberté de choix de l’assurance-maladie, concurrence public-privé accrue en matière d’enseignement, diminution des dépenses publiques et des prélèvements obligatoires, allégement des réglementations qui rendrait possible la diminution des fonctionnaires qui les contrôlent. On a pu espérer le temps d’une campagne pipée en finir avec « la stagnation économique et le chômage [qui] ont créé une situation conflictuelle où chaque catégorie essaie de vivre aux dépens des autres. » Bien entendu un tel programme était intolérable pour la gauche, quant à la droite d’aucuns se demandaient pourquoi elle ne l’avait jamais mis en œuvre.

Dans cette chronique du Figaro du 22 mars 2017 Salin met en garde l’électeur : « N’oublions pas [qu’Emmanuel Macron] a été l’un des principaux inspirateurs de la désastreuse politique économique de François Hollande. Et ce n’est pas parce qu’il a rétabli de la concurrence dans le marché du transport par autocar qu’on peut lui donner une étiquette de « libéral ». » Personnellement j’avais déjà fait l’expérience heureuse, du temps de mes années lycées sous Mitterrand, de ces autocars longue distance nationale, mais c’était en Angleterre.

Ce n’est évidemment pas du côté de chez Marine Le Pen et de son programme économique socialiste favorable à la progressivité de l’impôt, au maintien de l’ISF, à l’augmentation de la dépense publique et au protectionnisme que l’on pourrait se tourner, d’autant plus qu’à l’époque elle était « favorable à une sortie de l’Euro mais pour de mauvaises raisons : faire de la création monétaire et dévaluer la monnaie »

J’ai dû choisir un angle pour rendre compte de ce recueil d’une richesse incroyable, en lisant ces chroniques vous découvrirez d’autres aspects tout aussi passionnants que je n’ai pas pu évoquer. Ce recueil est un excellent moyen d’abordé la question du libéralisme, il s’appuie sur l’histoire politique et l’histoire économique pour valider à chaque fois l’hypothèse de l’alternative libérale. Il permettra aussi à ceux qui se disent ou se voudraient libéraux d’affermir leur conviction voire d’être amené à quelques révisions déchirantes.

Un bémol toutefois, page 112, dans un article repris de La Revue des Deux Mondes, il est écrit que « le grand économiste libéral français Frédéric Bastiat (…) siégeait sur les banc de la gauche lorsqu’il a été député des Landes à l’Assemblée Nationale française, de 1848 à sa mort en 1950 » (sic). Mais le miracle n’a pas eu lieu, seule une heureuse coquille a pu nous faire croire un instant qu’un vrai libéral ait pu siéger cent deux ans à l’Assemblée… nous n’en serions pas là. Bastiat ne siégea que deux ans et mourut en 1850, mais il nous a laissé une œuvre qui transparait dans ces trois-cent-six pages de chroniques et qu’il est urgent de redécouvrir.

 

[1] Pascal Salin, Le vrai libéralisme. Droite et gauche unies dans l’erreur, Odile Jacob, 2019, 306 pages.

[2] https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/macron-le-liberalisme-et-les-gilets-jaunes-801514.html

 


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