Variables d’ajustement

par Jean Claude BENARD
vendredi 15 décembre 2006

Ils ont pour prénom André, Françoise, Farid, Leila, Maurice, Franck, et ils ont tous en commun d’avoir perdu ce mois-ci leur travail en même temps.

Pour eux, les lumières et les décorations des fêtes de fin d’année n’auront certainement pas l’aspect joyeusement niais que nous présentent les journaux télévisés. Derrière ces prénoms, il y a des situations différentes : CDI, CDD ou CNE. On ne les a pas gardés pour des raisons similaires : baisse d’activité, compression d’effectifs, remplacement par un plus jeune, « embauche » d’un stagiaire...

Entre le travailler plus de Nicolas Sarkozy et le travailler différemment de Ségolène Royal, aucune réponse immédiate ou à moyen terme ne sera apportée à leur problème. Retour ou découverte des Assedic et à l’ANPE pour tous.

Que peuvent nos politiques face à ce problème qui, à la différence des grandes théories économiques, est totalement concret ?

Si l’on en croit le programme de l’UMP, il faudrait privilégier le travail. Explications : pour augmenter le pouvoir d’achat, il suffit de supprimer les 35 heures et de permettre aux salariés de faire des heures supplémentaires. Ce qui signifie que ceux qui ont un emploi « pourront choisir » de travailler plus. Donc, création de poste = zéro.

Nicolas Sarkozy se propose de privilégier « ceux qui se lèvent tôt », ce qui signifierait qu’il existe une France des courageux et une des fainéants  ? Perdre son emploi, et ne pas en retrouver un autre, malgré des heures et des jours de recherche, vous classerait-il dans le clan de ceux qui adoptent une attitude de rentier ?

La candidate socialiste, adepte de la flexsécurité chère aux pays nordiques, nous propose tout simplement d’apporter un filet de sécurité, qui n’est, ni plus ni moins, que l’institutionnalisation du chômage partagé mais réparti (encore faudrait-il y consacrer une part du budget de la nation aussi importante que ces pays).

Quel est, au fond, le problème ?

La logique qui veut que l’inflation soit jugulée est une bonne chose, mais lorsqu’elle est portée par les banques centrales comme un dogme, cela peut devenir dramatique. La lutte contre l’inflation impose que l’augmentation des prix et des salaires soit dans un premier temps contrôlée. Dans l’étape suivante les prix doivent diminuer pour permettre aux salariés de continuer à consommer autant avec un salaire qui augmente peu ou n’augmente pas.

Comment réussir un tel tour de force ?

Une baisse des prix pourrait indiquer que les fournisseurs fixaient auparavant des marges tellement importantes qu’ils prenaient les consommateurs pour des imbéciles. Ce n’est bien entendu quasiment jamais le cas. En réalité, la production s’oriente vers des pays où les coûts du travail sont les moins élevés (délocalisations).

Il faut néanmoins noter qu’alors que la baisse du prix des textiles (100% fabriqués en Chine) est de 15 à 20 % pour les consommateurs britanniques, elle ne dépasse pas 2 % en moyenne en France. Etonnant, non ?

Qui doit, en ce cas, payer l’addition ?

Les salariés sont, bien entendu, les seuls à subir ce changement de donne par une remise en cause de leurs conditions de travail, ou en devenant des variables d’ajustement.

Un salarié licencié pour cause de faible activité est, immédiatement ou à court terme, un consommateur de moins, ce qui entraînera sans nul doute des ajustements dans d’autres entreprises.

Les organismes ou confédérations d’entrepreneurs proposent, comme à l’accoutumée, une énième baisse des charges sociales, des concepts nouveaux, comme la « séparabilité  », sans pour autant refuser les aides massives à l’emploi.

En clair, rompre le pacte qui lie les salariés à leur entreprise, en sachant que le différentiel entre les conditions de travail et de salaire avec les pays d’Asie est tellement important qu’une suppression des charges et des licenciements sans indemnités ne changerait strictement rien.

Le capitalisme est-il en train de s’autodétruire, demandent Patrick Artus et Marie Paule Villard ?

« La question peut sembler saugrenue, voire provocatrice, au moment même où les grandes entreprises de la planète, y compris en France, affichent des profits insolents, rémunèrent très confortablement leurs dirigeants et distribuent des dividendes records à leurs actionnaires... Alors que la croissance économique - en Europe en tout cas - stagne, que les délocalisations se multiplient et que chômage et précarité s’aggravent, on comprend que le débat devienne vif sur la légitimité d’une telle captation de richesses.  »

Quant à André, Françoise, Farid, Leila, Maurice et Franck, qu’ils se rassurent, les candidats à la présidence de la République ont déjà dans leurs programmes mille et une façons de les escamoter dans les statistiques au travers de "stages parking" ou de classification « grand âge » les dispensant de recherche d’emploi. Cela semble être, ces derniers temps, le sort réservé aux variables d’ajustement.

Sources
Medef
Evene


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