Venezuela : 235 milliards de barils dans le bassin de l’Orénoque ?

par Renaud Delaporte
lundi 14 août 2006

Le gouvernement vénézuélien demande une homologation des réserves de brut extra lourd du bassin de l’Orénoque. Il pense pouvoir récupérer environ 20 % des 1200 milliards de barils contenus dans ce gisement. Ajoutées aux 80 milliards de barils des autres champs pétrolifères du pays, cette homologation placeraient les réserves du Venezuela au premier rang mondial, avec 315 milliards de barils contre 260 pour l’Arabie saoudite.

Reprenant une dépêche de la radio nationale vénézuélienne datée de ce jeudi 10 août, l’agence RIA Novosti rapporte que le Venezuela a abordé l’homologation internationale des réserves pétrolières du bassin de l’Orénoque.

L’huile extra lourde contenue dans des sables bitumineux du bassin de l’Orénoque représente environ 1 200 milliards de barils. Les chiffres officiels concernant les réserves vénézuéliennes ne tiennent pas compte de ce potentiel. Dans l’état actuel de la technique, l’exploitation permet un taux de récupération de 8%, ce qui porte les réserves exploitables à environ 100 milliards de barils. Le gouvernement vénézuélien s’emploie faire homologuer ce gisement avec un taux de récupération de 20 %, rendu possible par le prochain aboutissement de nouvelles technologies. De nombreuses compagnies pétrolières, dont le groupe Total-Fina-Elf, participent à la mise en valeur de ce gisement.

Le Venezuela estime à 235 milliards de barils les réserves exploitables selon ces nouvelles méthodes. L’homologation pourrait aboutir en 2007. Ajouté aux 80 milliards de barils déjà connus, le champ pétrolifère de l’Orénoque porterait à 315 milliards de barils les réserves homologuées du Venezuela, devant celles de l’Arabie Saoudite (260 milliards de barils).

Cette information, connue depuis longtemps des milieux pétroliers, éclaire sous un angle nouveau la crise énergétique mondiale.

L’acuité du pic pétrolier ne serait-elle qu’une tarte à la crème ?

Une fois admise l’incontournable réalité d’un stock de pétrole fini, l’hypothèse selon laquelle nous sommes sur le point d’atteindre dans les proches années à venir le pic pétrolier - point où la moitié de ces réserves ont été consommées - dépend plus du calcul politique que des réalités physiques et économiques.

Pour comprendre les données sur lesquelles se basent les experts pour déterminer la date de ce fameux pic, nous devons faire la distinction entre les réserves conventionnelles, les poches de pétroles exploitables selon les technologies connues à des coûts acceptables et les réserves non conventionnelles les autres gisements. Or, remarque la Conférence des Nations Unies pour le Développement, "la frontière entre brut non-conventionnel et brut conventionnel est sans cesse repoussé par les avancées technologiques. (...) La quantité actuelle de réserves prouvées exploitables pourrait être sujette à modification non pas grâce à la découverte de nouveaux gisements mais grâce à l’amélioration du rendement d’extraction. Actuellement ce rendement se situe autour de 30%, chiffre qui, selon certains, pourrait atteindre 50 à 60% du fait des progrès technologiques ; ce qui entrainerait la réouverture de gisements considérés aujourd’hui comme épuisés. "

C’est précisément ce que l’on observe avec l’huile extra lourde du Venezuela, dont le coût d’extraction est descendu de 30 dollars à moins de 15 dollars le baril et dont on envisage d’exploiter plus du double des quantités retenues jusque-là. On ne peut d’ailleurs affirmer que le taux de 20 % d’extraction envisagé au Venezuela ne pourra jamais être dépassé.

On estime les réserves conventionnelles disponibles sur la planète dans une fourchette comprise entre 1000 et 1200 milliards de barils. Les différences portent sur l’extrapolation des avancées technologiques permettant d’exploiter le pétrole non conventionnel. Cet écart démontre la difficulté des experts à prévoir la date de " la fin du pétrole ". La méthode la plus prisée dans ce domaine semble être la boule de cristal.

L’homologation des réserves vénézuéliennes, à elle seule, accroîtrait ces gisements d’environ 20 %. Les gisements canadiens (1 700 milliards de barils non conventionnels) sont susceptibles d’être réévalulés dans l’avenir selon de mêmes proportions.

Que devient l’imminente menace d’un pic pétrolier face à ces réévaluations ? Il apparaît, en fait de pic, que le graphique des réserves exploitables de pétrole ressemblera plus à une courbe de Gauss dont la crête longera pendant des décennies les valeurs maximales qu’a un Everest au sommet duquel la descente ne peut être que brutale. Pendant ce temps, les consommations viendront à stagner - c’est déjà le cas en Europe - puis à décroître, ralenties par les changements de comportement et les progrès technologiques, bien avant que la dernière goutte de pétrole n’occupe une obscure étagère dans la remise d’un musée.

La vraie limite : l’effet de serre

La vraie limite à la consommation de pétrole - et de toute énergie fossile - est la création de gaz à effets de serre qui en découle.

L’inertie des systèmes climatiques reporte vers le futur les effets majeurs de ce réchauffement dont on commence à prendre la mesure. Elle repousse d’autant l’efficacité des actions que l’on pourra entreprendre pour en atténuer les effets.

Il semble vain d’espérer du pic pétrolier qu’il intervienne comme un deus ex-machina pour contribuer à cette atténuation.

Le comportement des cours du brut favorise l’effet de serre

Il est déplorable de constater que le prix actuel du pétrole actuel bride le développement des énergies propres plus qu’ils ne contribuent à leur développement, comme on s’illusionne à le croire. L’émergence de ce marché, lancé bien avant le dernier pic pétrolier, s’est confirmée dès que les cours ont atteint 40/50 dollars. Il se développera d’autant mieux avec une croissance forte, quoi qu’en pensent les aficionados de la décroissance. Le prix actuel du pétrole asphyxie les consommateurs autant que les états. Le retour à un baril à 50 dollars dégagerait les ressources que réclament les projets ferroviaires du continent eurasien, le renouvellement du parc automobile, (dont les consommations ont diminué d’environ 20% ces quinze dernières années) ainsi que les équipements d’économie d’énergie domestiques et industriels. L’augmentation des cours continuera au contraire à peser sur les rentrées fiscales, sur la solvabilité des consommateurs et des entreprises, contribuant à maintenir ce marché dans une niche de plus en plus élitiste.

Les groupes financiers bénéficiant de cette manne réinvestissent dans la production, ce dont on ne peut leur tenir grief. Ils s’abstiennent pour l’instant de toute action importante dans les énergies de remplacement. Plutôt que d’espérer un geste humanitaire de leur part - comme payer beaucoup d’impôts - il est plus raisonnable d’agir de telle sorte que ces sommes considérables ne transitent pas via leur compte en banque.

Les états producteurs, quant à eux, investissent prioritairement leurs revenus à la modernisation de leur armement. Combien faut-il d’éoliennes pour compenser la création de gaz à effet de serre d’un seul chasseur à réaction ?

Curieusement, la bourse semble n’avoir à aucun moment anticipé l’arrivée sur le marché d’un surcroît de 20 % des réserves mondiales de pétrole.

Les affirmations de l’Opep concernant sa capacité à faire face à la croissance de la consommation pour les années 2006 et 2007 demeurent sans effet. L’organisation souligne que la principale incertitude des cours ne provient pas des données fondamentales du marché, mais des événements politiques touchant les régions de production.

Nous sommes entrés dans une boucle infernale. Les cours du pétrole ne prennent plus en compte les données du marché. Le pétrole cher finance l’achat d’armements utilisés à attiser les conflits au sein des régions de production (Moyen-Orient, Darfour, révoltes au Nigeria), qui à leur tour favorisent la hausse du prix du pétrole au détriment de l’émergence des technologies de remplacement.

Le Venezuela sera-t-il la prochaine victime de cette politique ? Avant qu’elle nous asphyxie tous ?

Renaud Delaporte

Pour approfondir :
http://www.enerzine.com/10/481+Le-Venezuela-challenge-l-Arabie-Saoudite+.html
http://r0.unctad.org/infocomm/francais/petrole/descript.htm
http://www.opec.org/home/Special%20Features/2006/fea072006.htm
http://www.monde-diplomatique.fr/2005/01/BABUSIAUX/11803
http://fr.wikipedia.org/wiki/Sable_bitumineux
http://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9serves_de_p%C3%A9trole_du_Venezuela
http://www.x-environnement.org/Jaune_Rouge/JR00/babusiaux_coiffard.html
http://www.manicore.com/documentation/reserve.html


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