Vous offrez, et nous demandons
par Dwaabala
lundi 22 juin 2015
Atteindre la relance de l'économie sur le mode néolibéral actuel, c'est-à-dire, en gros, par les générosités accordées sans discernement au capital ; ou bien l'attendre de la consommation : par la revalorisation de la force de travail considérée aussi bien du point de vue des salaires, pensions, etc. que des services publics ?
Il s'agit ici de montrer pourquoi l'explication du premier choix, celui de « l'offre » qui est celui du gouvernement actuel, est abusivement simplifiée par rapport à la réalité de ce qu'est l'économie capitaliste.
Il aussi s'agit de montrer que le second choix, celui de « la demande » qui est écarté et que je soutiens, n'a pourtant rien d'évident quant à ses bienfaits à long terme.
Il s'agit enfin de montrer que la sous-consommation des masses est à l'origine de la crise actuelle, mais qu'elle est consubstantielle à l'économie capitaliste.
Bref, il s'agit de faire sentir au lecteur la complexité sous-jacente et largement insoupçonnée de ces questions et pourquoi elles ne peuvent trouver de réponse à la fin que dans un bouleversement, une révolution, du système économique.
Est-il nécessaire de préciser que dans ce qui suit rien n'est de moi, qu'il s'agit d'une lecture « à ma façon » de Marx (Livre II du Capital) et de Lénine (Le développement du capitalisme en Russie) tels que je les comprends ?
En tous cas de propositions qui sont ouvertes à la discussion.
La question de la reproduction du capital social
Lorsque l'homme primitif, ou si l'on préfère : l'homme qui vit dans un système d'économie primitive, fait des arcs, des flèches, des marteaux en silex, des haches, des paniers, etc., il sait très bien qu'il ne va pas les manger, qu'il n'a pas employé son temps à la production de moyens de consommation, mais qu'il s'est pourvu en moyens de production, et rien de plus.
Ce net sentiment de ses rapports avec la production s'est perdu dans les sociétés développées et particulièrement dans la société capitaliste par suite de la transformation de chaque produit en marchandise fabriquée pour un consommateur aléatoire et destinée à être réalisée sur un marché non moins aléatoire.
Ceci étant dit en dernière analyse et nonobstant les « études de marché » préalables, les chaînes de production intégrée dans le système de la « sous-traitance », l'ensemble de la chaîne pouvant cependant être considérée comme une seule et même entreprise soumise à son extrémité à « la loi du marché ». Comme on le voit pour la vente des automobiles ou des avions par exemple.
C'est parce que le genre d'objet qu'il fabrique est absolument indifférent à chaque producteur capitaliste particulier - chaque produit « rapporte »(1) - que le point de vue superficiel, individuel, est devenu celui de tout le monde à l'égard de l'ensemble de la société et empêche de comprendre le processus de reproduction du produit social total dans l'économie capitaliste.
Parce que la division des produits selon leur forme naturelle, devient nécessaire quand il s'agit d'analyser la reproduction du capital social, alors que l'analyse de la production et de la reproduction du capital individuel n'a que faire d'une telle division et néglige absolument la question de la forme naturelle du produit.
En effet, lors de l'analyse de la production du capital individuel, la question de savoir où et comment le produit est vendu, où et comment les ouvriers achètent les objets de consommation et les capitalistes les moyens de production, a été écartée parce qu’elle n'apportait rien à cette analyse,et n'avait rien à voir avec elle. Il suffisait alors d'examiner la question de la valeur des différents éléments de la production et celle du résultat de la production.
La question, maintenant, est justement de savoir où les ouvriers et les capitalistes prendront les objets nécessaires à leur consommation, où les capitalistes prendront les moyens de production ; comment le produit fabriqué pourra couvrir toutes les demandes et permettra d'élargir la production. Autrement dit comment la société pourra normalement « tourner » et se maintenir.
Par conséquent, nous avons affaire, ici, à un « remplacement non seulement de la valeur, mais de matière » et il est donc absolument nécessaire de distinguer entre les produits qui jouent un rôle complètement différent dans l'économie sociale.
De même que dans l'analyse du capital individuel la question des moyens de consommation et des moyens de production a été écartée comme inutile, il nous faut maintenant pour continuer écarter (provisoirement) la question du commerce extérieur et celle de l'accumulation du capital, et bien d'autres comme celle du capital financier, de la spéculation, etc., pour ne considérer qu'une Nation qui reproduit son capital d'année en année.
C'est cette méthode proprement scientifique, celle de l'abstraction, qui est si largement répudiée, et par le public non averti, et par la science économique bourgeoise.
Les deux grandes sections de la production
Aussi surprenant que cela puisse paraître la société capitaliste emploie une plus grande part de son travail annuel disponible à la production de moyens de production (donc le capital constant) qui ne peuvent se résoudre en revenu ni sous la forme de salaire, ni sous celle de plus-value, mais qui peuvent uniquement faire fonction de capital. C'est ce que nous allons montrer.
La théorie de Marx repose sur les deux thèses suivantes.
Première thèse : celle qui est le plus communément attaquée ou le plus souvent ignorée.
L'ensemble du produit d'un pays capitaliste, de même que chaque produit isolé, se décompose en ces trois parties :
1. capital constant ; 2. capital variable ; 3. plus-value.
Pour qui est familier avec l'analyse du processus de production du capital, donnée dans le Livre Ier du Capital de Marx, cette thèse est évidente.
Deuxième thèse : celle qui nous concerne particulièrement ici.
Il est nécessaire de distinguer deux grandes sections dans la production capitaliste, à savoir :
(Section I) la production des moyens de production, des objets qui servent à la consommation productive, c’est-à-dire qui sont destinés à la production (machines, etc.), qui sont consommés non par les hommes, mais par le capital.
(Section II) la production des moyens de consommation, c’est-à-dire des objets destinés à la consommation individuelle.
Dans cette (Section II) se trouvent aussi bien les produits de première nécessité que les produits de luxe, superflus ou ostentatoires qui sont cependant nécessaires au bourgeois.
Comment tournent les affaires
Supposons donc la reproduction simple, c'est-à-dire la répétition du procès de production à l'échelle antérieure, l'absence d'accumulation.
Le capital variable (ce qui correspond aux salaires) et la plus-value (les profits) de la section II (existant sons forme d'objets de consommation) se trouvent réalisés par la consommation individuelle des ouvriers et des capitalistes de cette section (car la reproduction simple suppose que l'ensemble de la plus-value est consommé et qu'aucune de ses parties n'est transformée en capital).
Le capital variable et la plus-value existant sous forme de moyens de production (section I), pour être réalisés, doivent être échangés contre des objets de consommation pour les capitalistes et les ouvriers (il faut bien que tout le monde vive) occupés à la fabrication des moyens de production.
Mais,d'autre part, le capital constant existant sous forme d'objets de consommation (section II), ne peut être réalisé autrement que par l'échange contre des moyens de production, afin d'être réinvesti dans la production l'année suivante.
Nous obtenons ainsi l'échange du capital variable et de la plus-value existant dans les moyens de production contre le capital constant existant dans les objets de consommation : les ouvriers et les capitalistes (de la section des moyens de production) reçoivent ainsi des moyens de subsistance alors que les capitalistes (de la section des objets de consommation) écoulent leur produit et reçoivent le capital constant nécessaire à une nouvelle production.
Dans les conditions de la reproduction simple, ces parties échangées doivent être égales entre elles : le montant du capital variable et de la plus-value, existant dans les moyens de production, doit être égal au capital constant existant dans les objets de consommation.
Il nous reste encore une partie du produit social qui n'est pas réalisée : le capital constant existant dans les moyens de production.
On le réalise en partie par échanges intervenant entre capitalistes appartenant à cette section (par exemple : de l'électricité est échangée contre de la matière plastique, car chacun de ces produits représente un matériau ou un instrument nécessaires à la production de l'autre), et en partie par son utilisation directe dans la production (exemple : de l'électricité produite pour être utilisée dans la même entreprise produisant l'électricité ; du grain dans l'agriculture, etc.).
La baisse tendancielle du taux de profit et ses conséquences
Pour expliquer l'erreur aussi bien du grand public que la tromperie des socialistes au pouvoir et pour permettre d'en tirer certaines conclusions théoriques au sujet du marché intérieur, ce qui vient d'être dit suffit.
L'accroissement de la production capitaliste et, par voie de conséquence celui du marché intérieur, concerne moins les objets de consommation que les moyens de production.
En d’autres termes, l’accroissement des moyens de production dépasse celui des objets de consommation.
Nous avons vu en effet que le capital constant existant dans les objets de consommation (section II) est échangé contre le capital variable + la plus-value existant dans les moyens de production (section I).
Mais, selon la loi générale de la production capitaliste, le capital constant s'accroît plus vite que le capital variable (2).
Par conséquent, et c'est peut-être le point le plus intéressant à comprendre, le capital constant existant dans les objets de consommation doit augmenter plus vite que le capital variable et la plus-value existant dans les objets de consommation, et le capital constant existant dans les moyens de production doit augmenter plus vite encore, dépassant l'accroissement du capital variable + la plus-value existant dans les moyens de production, aussi bien que l'accroissement du capital constant existant dans les objets de consommation.
La section de la production sociale qui fabrique les moyens de production doit donc grandir plus vite que celle qui fabrique les objets de consommation.
Ainsi, l’extension du marché intérieur pour le capitalisme est, jusqu'à un certain point, « indépendante » de l'accroissement de la consommation individuelle, s'effectuant plutôt au compte de la consommation productive.
Ce qui renvoie dos à dos et la politique de « l'offre » qui ne tient aucun compte de la section où s'investissent les cadeaux étatiques au capital, et la politique de la « demande » pure et simple. Il semble à ce stade de l'analyse qu'un compromis entre des investissements dans la (section I) et la satisfaction des besoins des travailleurs (section II) doive être trouvé.
Car il serait erroné de comprendre cette « indépendance » dans le sens d’une séparation totale de la consommation productive et de la consommation individuelle : la première peut et doit augmenter plus vite que la seconde (c'est à cela que se limite son « indépendance » ), mais il va de soi que, finalement, la consommation productive reste liée à la consommation individuelle.
Marx dit à ce sujet : « Comme nous avons vu au livre II, section III, une circulation continuelle se fait entre capital constant et capital constant ... » (Marx songe au capital constant existant dans les moyens de production et qui se réalise par des échanges entre capitalistes de la même section), « ... cette circulation est d'abord indépendante de la consommation individuelle dans la mesure où elle n'y entre pas ; néanmoins, elle est définitivement limitée par cette dernière parce que la production de capital constant ne se fait jamais pour elle-même, mais uniquement parce qu'il s'en utilise davantage dans les sphères de production qui produisent pour la consommation individuelle »
La part la plus importante du travail annuel va à la production des moyens de production
Cette consommation accrue du capital constant n'est rien d'autre que le niveau élevé, exprimé en termes de valeur d'échange, atteint par le développement des forces productives, car la partie principale des « moyens de production » qui se développent rapidement se compose de matières premières, de machines, d'instruments, de bâtiments et de toutes les autres installations nécessaires à la grande production et spécialement à la production des machines. Il est donc tout à fait naturel que la production capitaliste, qui a développé les forces productives de la société et créé la grande production et l'industrie des machines, se caractérise par l'extension particulière de ce secteur de la richesse sociale qui se compose des moyens de production ... :
C'est pourquoi nous affirmions plus haut que la société capitaliste emploie une plus grande part de son travail annuel disponible à la production de moyens de production (donc le capital constant) qui ne peuvent se résoudre en revenu ni sous la forme de salaire, ni sous celle de plus-value, mais qui peuvent uniquement faire fonction de capital ; c'est une véritable « production pour la production » c'est un élargissement de la production sans élargissement correspondant de la consommation.
La première fonction de la société capitaliste consiste à développer les forces productives de la société ; la seconde exclut l'utilisation de ces conquêtes techniques par la masse de la population. Il existe une contradiction indéniable entre la tendance illimitée à élargir la production, tendance propre au capitalisme, et la consommation limitée des masses populaires.
La mort du capitalisme ?
De là à affirmer que cette contradiction qui est la raison ultime de toute véritable crise signe l'arrêt de mort du capitalisme, il y un pas que certains franchissent allègrement.
L'analyse de la réalisation montre qu'en fin de compte « la circulation entre capital constant et capital constant est limitée par la consommation individuelle », mais la même analyse a montré le caractère véritable de cette « limitation » : elle a montré que les objets de consommation jouent un rôle mineur dans la formation du marché intérieur comparativement aux moyens de production.
(1) C'est pourquoi un entreprise de fabrication de fosses à purin peut très bien investir du capital dans de la parfumerie haut de gamme. Non olet
(2) Il s'agit de la fameuse loi de la baisse tendancielle du taux de profit. Fameuse parce que c'est pour certains la loi ultime du système capitaliste qui trouve en elle son impossibilité. E pur si muove !