Vous reprendrez bien encore un petit peu de dette ?

par scripta manent
vendredi 13 avril 2012

A dater du 16 avril, suite à une décision de l’AMF (Autorité française des marchés financiers), la plateforme Eurex (« European exchange ») va mettre à disposition des investisseurs un nouveau produit financier (« future ») permettant d’acheter ou de vendre à terme des obligations d’Etat françaises (« OAT »).

En clair, au-delà des exposés et débats généralement techniques et obscurs que les médias ont consacrés au sujet, il s’agit d’ouvrir un nouveau champ à la spéculation sur les dettes publiques, avec toutes les facilités qu’apprécient les opérateurs : effet de levier, paiement différé, informatisation autorisant les transactions à haute fréquence …

De tels contrats ne constituent pas une nouveauté. Ils existaient pour les grandes monnaies nationales européennes avant que le Traite de Maastricht n’instaure l’Union économique et monétaire (surtout monétaire …) de la zone Euro. Ils ont ensuite disparu de la scène (sauf pour les emprunts d’Etat allemands). Sans doute faut-il y voir un effet de l’illusion d’harmonie économique et budgétaire créée par la zone Euro et par les attendus ambitieux de la construction européenne (parmi lesquels la fameuse « règle d’or » budgétaire dont beaucoup semblent avoir oublié qu’elle figure déjà en toutes lettres dans le Traité de Maastricht). 

Depuis, la crise est passée par là, les finances publiques se sont dégradées et l’Union européenne a découvert qu’elle avait soigneusement assemblé tous les rouages d’une bombe à retardement :

- une union monétaire sans véritable coordination économique et budgétaire ;

- l’abandon par le politique du pouvoir monétaire au profit d’une Banque centrale dont l’indépendance est inscrite dans le marbre des traités (de même d’ailleurs que la libre circulation des capitaux, entre les Etats de l’Union mais aussi entre l’Union et le reste du monde) ;

- l’interdiction faite à cette banque centrale d’être prêteur en premier ressort des Etats ;

- l’absence de solidarité pleine et entière entre les Etats de l’Union, qui aboutit à un taux moyen de financement de la dette publique européenne insoutenable ce qui, in fine, coûtera cher à tous, aux pays dits vertueux comme aux pays dits laxistes.

Autrement dit : tout ce qu’il faut pour remettre le destin des peuples européens entre les mains des « marchés ».

Cette mise en application scrupuleuse de la vulgate « ultralibérale » est une marque de fabrique de l’Union européenne. Aucun Etat, aucune région au monde n’ont poussé aussi loin la soumission au dogme : aux USA et au Royaume-Uni, la Banque centrale soutient directement le budget public ; au Japon, la dette publique (très élevée : 200 % du PIB) est, pour l’essentiel, entre les mains des résidents et notamment des ménages, ce qui permet à ce pays de considérer avec le recul qui convient les oracles des agences de notation.

Les « marchés » ont vite compris qu’il était possible d’enfoncer des coins dans l’Union européenne et de s’attaquer avec profit à ses maillons les plus faibles. D’où le retour à un traitement différencié des dettes souveraines par pays et la sophistication croissante des produits de spéculation.

La récente décision de l’AMF, qui va élargir les possibilités de spéculation sur la dette publique française, est une illustration parmi d’autres de cette tendance. Elle est doublement fâcheuse : techniquement, on ne voit pas son utilité ; symboliquement, elle renforce les soupçons de collusion entre le politique et les intérêts financiers.

Le 9 décembre 2010, le Président de l’AMF déclarait au Monde : « Nous n’avons pas eu une approche assez politique au moment de négocier la directive MIF (qui a ouvert à la concurrence les marchés financiers en Europe, avec effet au 1er novembre 2007). On ne s’est pas posé les bonnes questions : de quels marchés voulons-nous ? Comment faire pour qu’ils financent au mieux l’économie ? (…) Il faut réfléchir à ce qu’apporte cette accélération des échanges : quels sont les bénéfices financiers, économiques, pour quelle utilité sociale ? ». Apparemment, l’AMF est toujours en pleine réflexion …

Cependant, ne laissons pas l’arbre nous cacher la forêt : la création d’un nouvel outil de spéculation financière n’est qu’un épiphénomène dans le contexte plus général de dépérissement du pouvoir politique face aux pouvoirs économique et financier.

C’est à ce contexte général qu’il faut s’attaquer, à un niveau où la puissance de réaction et de conviction a quelque chance d’être suffisante, c'est-à-dire au niveau de l’Europe.

Globalement, l’Europe a un niveau d’endettement public encore maîtrisable (ce qui ne dispense évidemment pas les pays les plus endettés de remédier dans la durée à ce déséquilibre). En dépit d’un Euro surévalué et de l’ouverture inconditionnelle de ses frontières, elle bénéficie en outre d’une balance commerciale proche de l’équilibre.

Il est donc encore temps de réagir. Pour s’en tenir aux sujets qui sont en relation immédiate avec la question de la spéculation sur les dettes publiques, cela veut dire :

- réappropriation du pouvoir monétaire par le politique, dans le cadre de principes de saine gestion ;

- application du principe de solidarité pleine et entière au sein de l’Union ;

- retour à une participation de l’épargne des ménages au financement des dettes souveraines, ce qui permettra aussi de mieux rémunérer cette épargne ; les temps s’y prêtent puisque le taux d’épargne des ménages est actuellement élevé (du moins pour ceux qui peuvent épargner ...).

Il n’en sera que plus facile, ensuite, de s’attaquer au casino spéculatif.

 

http://www.citoyensunisdeurope.eu


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