Vulgate de la crise financière

par Canine
mercredi 1er octobre 2008

A moins de vivre dans une brouette, vous avez forcément entendu parler de la crise financière qui secoue le monde en ce moment. Globalement, j’ai pu remarquer deux tendances nettes parmi les personnes qui ont une opinion sur la question.

1) Les experts, qui prennent un malin plaisir à :

- n’expliquer que la moitié des choses ;

- expliquer avec les termes les plus compliqués possibles ;

- faire les deux à la fois.

2) Les prophètes de l’apocalypse, qui soit :

- voient la fin de l’économie de marché ;

- voient l’avènement d’une pléiade de fantasmes plus ou moins marxistes ;

- les deux à la fois.

Puisque tout le monde s’accorde à dire que la base de cette crise démarre avec les crédits immobiliers à subprimes américains, et autant que faire se peut avec mes connaissances professionnelles en investissement immobilier, je vais essayer de vulgariser un peu tout ça (et comme je ne suis pas prof, soyez indulgents envers ma méthodologie, merci).

Le marché de l’immobilier fonctionne selon un cycle corrélatif aux taux des prêts immobiliers.



Partons d’un premier moment quelconque du cycle, qu’on appellera T1 (parce qu’il faut bien lui donner un nom), où les prix sont bas, et les taux d’intérêt élevés (puisque, avec des prix bas, les banques sont obligées d’avoir des taux élevés afin qu’il soit rentable pour elle de prêter). Comme les prix sont bas, ça vaut le coup d’acheter, même si les taux d’intérêt sont hauts. De ce fait, la demande (qu’on appellera D) tend à devenir légèrement supérieure à l’offre (qu’on appellera O).

Deuxième moment, T2 : comme D est légèrement supérieure à O, les vendeurs qui se cachent derrière O peuvent se permettre d’augmenter les prix des biens immobiliers qu’ils mettent en vente, et comme ces prix augmentent, il devient intéressant de vendre, donc O augmente. Comme les prix et les ventes augmentent, les banques peuvent baisser les taux pour attirer des clients, puisqu’en étant appliqués à des sommes plus importantes et plus nombreuses, ils rapportent plus.

T3 : comme les taux baissent à T2, c’est encore plus intéressant d’acheter, donc D augmente. Comme D augmente, les vendeurs peuvent se permettre d’augmenter les prix de O, et comme les vendeurs augmentent les prix, les banques peuvent se permettre de baisser encore les taux, au même motif qu’en T2. Et ainsi de suite, car si vous avez bien suivi, vous devez comprendre que T4 sera exactement similaire à T3, tout comme T5, puis T6, etc.

En fait, pour simplifier encore, on pourrait parler de "phase ascendante du cycle", les prix augmentent, ce qui fait baisser les taux et, comme les taux baissent, c’est intéressant d’acheter et, comme c’est intéressant d’acheter, les prix peuvent augmenter et, comme les prix augmentent, les taux baissent et, comme les taux baissent, c’est intéressant d’acheter et, comme c’est intéressant d’acheter, les prix peuvent augmenter, etc. Jusqu’au moment où les taux ne peuvent plus baisser (qu’on appellera T-).

Mais pourquoi ne peuvent-ils plus baisser ? "Banalité" : le but d’une banque, c’est de gagner de l’argent. Or, pour gagner de l’argent sur une somme d’argent prêtée et remboursable dans le temps, il faut que la somme remboursée soit supérieure à la somme de départ (et à l’inflation sur cette même durée, mais on va rester dans la simplification et zapper ce mécanisme connexe, dont vous pourrez trouver l’explication sur Wikipédia si vous y tenez). En gros, si une banque veut gagner du fric sur un prêt, elle ne saurait donc passer sous la barre approximative de 3 % d’intérêts sur un prêt.

Qu’est-ce qui se passe quand les taux butent sur cette limite et qu’ils cessent de baisser ? O est très élevée, puisque les taux sont au plus bas (à 3 ou 4 %). Mais comme les taux ne baissent plus, il n’est pas/plus intéressant d’acheter. De ce fait, D stagne (d’abord). Dans une approche purement théorique, on pourrait ici atteindre un point d’équilibre mystique, où l’homme n’aurait qu’une seule maison pour toute sa vie, ne consommerait que ce dont il a besoin, de l’amour, de l’eau fraîche, et cinq fruits et légumes par jour.

Dans la pratique, "banalité" encore : les gens qui vendent veulent toujours vendre plus cher, les acheteurs toujours acheter moins cher, et les banquiers toujours gagner plus. Donc, cette pratique, les banques vont d’abord devenir méfiantes en voyant leur chiffre stagner au lieu de croître, et donc augmenter légèrement leur taux. En augmentant les taux, alors que O ne baisse pas, ça devient moins intéressant d’acheter, donc D diminue. Comme D diminue, les vendeurs sont obligés de baisser les prix pour vendre, le nombre de vente va donc baisser, en nombre comme en prix. Comme le volume et la densité de O baisse, les banques vont devoir relever leurs taux pour ne pas perdre d’argent, puisqu’elles prêtent moins et sur des sommes moindres (situation inverse de T1). Et comme les taux augmentent, D diminue encore. Et comme D diminue encore, O doit diminuer aussi pour vendre, et ainsi de suite (c’est la phase descendante du cycle), jusqu’à revenir au point T1.

Conséquence directe de ce cycle sur le système bancaire : les banques vendent essentiellement trois sortes de produits financiers.
1 - des prêts (dont une très grosse partie sont des prêts immobiliers),
2 - des obligations (de prêts titrisés, dont beaucoup sont des prêts immobiliers),
3 - des actions boursières (sous forme de titre, Sicav, FCP, assurance-vie multisupport, etc.).

Quand le cycle immobilier entre en phase descendante, elles sont donc touchées de plein fouet sur un de leurs produits, les prêts. Par ricochet, les obligations qui sont basées sur les prêts immobiliers sont touchées. Dès lors, elles vont avoir besoin de cash pour compenser ces deux pertes, et donc augmenter les ventes d’obligations (basées ou pas sur les prêts immobiliers) et leurs titres. Ce faisant, elles font arriver beaucoup d’obligations et de titres sur le marché, cet afflux rend l’offre de ces valeurs supérieure à la demande et, quand l’offre est supérieure à la demande, les prix baissent.

Maintenant, ce mécanisme est connu et reconnu, il se répète inlassablement selon des cycles plus ou moins longs depuis que le prêt avec intérêt existe pour l’acquisition immobilière, il ne saurait donc provoquer de grosse crise financière intrinsèquement. Mais on peut le doper avec certains mécanismes et c’est là qu’interviennent les subprimes états-uniennes.

Les crédits à subprimes sont des prêts à des taux initialement très bas, mais ces taux sont variables et sans plafonnement de variation (ni par rapport au taux ni par rapport au niveau d’endettement). Ils ont été conçu pour permettre l’accession au logement aux plus pauvres des citoyens américains, notamment aux derniers immigrants.

Par exemple, un citoyen américain lambda (qu’on appellera Johnny Gonzales) âgé de 25 ans, salarié dans la grande distribution à environ 1 000 dollars par mois, pourra acheter une maison de 100 000 dollars sans aucun apport, avec un prêt à 3 %, en payant 420 dollars par mois, pendant trente ans.

En phase ascendante de l’immobilier, c’est très bien, puisque ça lui laisse plus de la moitié de son salaire pour vivre (pas énorme certes, faudra souvent manger des pâtes, mais bref), et quand il aura fini de payer, la maison vaudra bien plus que son prix de départ, il pourra alors la revendre pour financer sa retraite (à titre indicatif de croissance à long terme, sur le XXe siècle en France, malgré deux guerres mondiales, l’immobilier a crû de 4 % par an, soit le double de l’inflation moyenne sur la même période).

Maintenant, durant les épisodes en phase descendante, c’est un peu plus compliqué. Quand les banques commencent à augmenter leurs taux, elles répercutent cette hausse sur les taux variables, donc les crédits à subprimes. Ces derniers étant à la base particulièrement bas, la hausse est d’autant plus douloureuse. En augmentant de trois points, le remboursement passe de 420 dollars par mois, à 600 dollars, alors que la valeur de la maison diminue. Johnny n’a donc plus que 400 dollars pour vivre, ce qui est très peu, même en ne mangeant que des pâtes. Il pourrait s’en sortir en vendant la maison et en cherchant une location moins chère en attendant que l’immobilier redevienne plus clément, sauf que, précisément, si le taux augmente, c’est parce que l’immobilier baisse. Du coup, même en revendant sa maison, il ne peut pas rembourser le crédit, et il ne peut donc pas chercher à se loger ailleurs, puisque un loyer plus un crédit, ça ne lui laisserait pas assez pour manger. Johnny va donc devoir attendre patiemment que les mensualités augmentent, jusqu’au moment où il ne pourra plus payer du tout. Là, la banque demandera son expulsion, et saisira la maison. Pour Johnny, c’est terminé. Passons maintenant à la banque.

Elle a récupéré la maison et va la vendre pour récupérer du cash. Sauf que, maintenant, cette maison vaut moins que ce qu’elle a coûté, puisqu’il n’y a plus de Johnny pour l’acheter. Du coup, la banque ne rentre pas dans ses frais. Plus une banque aura distribué de subprimes, plus elle se sera exposée au risque de cette configuration. Comme d’un autre côté, les banques se sont mises à brader les obligations et les titres, le risque de se retrouver en faillite devient assez rapidement une réalité tangible pour celles qui ont abusé des subprimes.
 

A côté des subprimes et toujours dans la sphère crédit/immobilier, il faut aussi rajouter les répercussions de la baisse de l’immobilier sur tous les crédits hypothécaires (emprunt garanti par un bien immobilier) qui, du fait de la chute des prix immobiliers, voit la valeur de leur garantie passer sous le montant garanti.


Si on rajoute à cette configuration, dans un pays qu’on appellera P1 :

- une politique militaire particulièrement coûteuse et peu rentable ;

- une tendance générale à consommer beaucoup de matière première, dans un contexte où celles-ci sont haussières, puisque la population de la Terre tant à augmenter plus vite que leur production (D supérieur à O donc hausse des prix) ;

on obtient un pays "un peu" en difficulté économique.

Si on fait partie des pays (qu’on appellera P2, P3, P4, et P∞ parce qu’on ne va pas tous les faire non plus) dont l’économie est connectée à P1, on risque d’être un "peu" éclaboussé. Toutefois, ces éclaboussures sont fonction des mesures de protection prises par son P, car de même qu’on peut accroître l’ampleur du mécanisme avec des systèmes comme les subprimes, on peut aussi le réduire (sans toutefois pouvoir le supprimer). Par exemple (parmi d’autres) en P3 (qu’on appellera France), les subprimes n’existent pas, les taux variables sont plafonnés, aussi bien au niveau du taux lui-même que du niveau d’endettement initial.

 


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