Sous-marins : le sauvetage des équipages

par Desmaretz Gérard
jeudi 20 juin 2024

Le sous-marin nucléaire d'attaque Duguay-Trouin (S 636) admis au service actif le 4 avril 2024 a participé à l’exercice « Soleil du sud » au large du cap Sicié (Toulon) à la mi-mai. Ce SNA de la classe Suffren, seconde génération, issue du programme Barracuda, se devait de valider la procédure Nato Submarine Rescue System, un système de sauvetage sous-marin développé par les marines britannique, française et norvégienne. La chaîne NSRS en alerte 24h/24 et 7j/7, basée à Faslane (Écosse), base des sous-marins nucléaires du Royaume-Uni, est projetable en n'importe quel point en moins de 72 heures (3 jours). L'International Submarine Escape and Rescue Liaison Office mis en place en 2004 permet de communiquer en temps réel les moyens de sauvetage disponibles aux quarante États membres.

Chaque Marine a des procédures adaptées à ses sous-marins, à la mission, aux procédures communes au sein de l'OTAN et aux normes internationales. Un submersible conventionnel communique avec sa base régulièrement, tandis qu'un sous-marin nucléaire respecte le « silence radio ». S'il ne se signale pas selon la grille prévue, l'état-major suppose qu'il est victime d'une avarie. Quand un sous-marin navigue, les portes étanches sont fermées et la majorité des équipages se trouve dans la partie avant. En cas d’avarie les officiers et officiers-mariniers n’ont que peu de temps pour pousser les moteurs, chasser partout, barre à monter (assiette 30°), larguer le lest de sécurité (plusieurs tonnes). S'il s'agit d'une voie d'eau son débit diminue lors de la remontée (les pompes se lancent seules, sauf avarie électrique) et d'envoyer le message « DISSUB » (distress submarine), d'activer les balises de détresse, de se signaler aux secours par fusées, miroir héliographique, fumigène, projecteur, lampe à éclats, colorant. Si la manœuvre est impossible, une balise GPS reliée à un filin est larguée afin de marquer la position, les sonars sont activés pour émettre un signal caractéristique (comme les boîtes noires), les équipages de se réfugier dans une zone de survie.

Les craintes à bord d'un sous-marin sont principalement : la collision - l'échouage - l'explosion - l'incendie - la voie d'eau - l'implosion de la coque, et les avaries responsables de risques pour les sous-mariniers : brûlures - blast (souffle) - intoxication - irradiations (SN) - hypoxie - hypothermie - narcose - noyade. Tous les bâtiments actuels disposent de cloisons étanches, la division de la capacité intérieure du sous-marin limite la quantité d'eau pouvant y pénétrer et prévient l'étendue de toute autre cause accidentelle (incendie, intoxication). Les zones de survie situées à l'avant et à l'arrière offrent l'avantage d'apporter un renforcement de la solidité grâce au rapprochement des barrots et des membrures. Les bâtiments modernes plongent à plusieurs centaines de mètres, la profondeur d'implosion (sur-immersion) correspond à un coefficient proche de « 2 ». L'eau qui pénètre dans un submersible l'alourdit, le déséquilibre et y comprime l'air ambiant, le sous-marinier qui a trouvé refuge dans une poche d'air peut être victime d'une narcose et de barotraumatismes.

Un homme confiné dans une enceinte close dans laquelle la diminution d'oxygène n'est pas compensée ni le CO2 éliminé, dispose d'une durée de survie qui dépend du volume de l'enceinte de confinement et de son activité. Mieux que de longues phrases, prenons un exemple. Nous disposons d'un volume de 1m3 d'air et nous fixons le pourcentage minimum d'O2 à 16 %. Le stock d'oxygène est égal au volume initial : % initial - % désiré) / 100, soit 50 litres d'oxygène (1000 x (21 - 16) / 100). Si on effectue aucune activité, l'organisme peut se suffire de 0.5 litre d'oxygène par minute, ce qui donne une autonomie de 100 minutes. En consommant les 50 litres d'oxygène, l'organisme a produit autant de CO2. A une concentration de 2 %, il s'ensuit une augmentation du rythme et de l'amplitude respiratoire, à 7 % la respiration devient haletante, la face est congestionnée et couverte de sueur et un état voisin à l'ivresse s'installe. Il faut donc déterminer la quantité d'oxygène disponible en fonction d'un certain seuil de CO2. Nous fixerons la concentration maximum du CO2 à 1 %. Ce qui nous donne 1000 x (21 - 20) / 100, soit 10 litres d'oxygène, d’où une durée approximative de 20 minutes. Si la pression est supérieure à 1 bar il faut prendre en compte les pressions partielles des gaz (hypercapnie)...

Le sauvetage des équipages d'un sous-marin échoué reste une mission difficile. Les chances de réussites dépendent de la profondeur, des avaries, de son éloignement, du temps écoulé et du matériel engagé. Points de repères historiques. En 1851 le Brand Taucher coule lors de sa première plongée par 18 mètres ; les trois hommes d'équipage parviennent à équilibrer la pression interne et à remonter à la surface en apnée (principe du sas). Juin 1931, six membres de l'équipage sur vingt-sept quittent le Poseidon (GB) échoué par 48 mètres à l'aide d'un appareil respiratoire Davis en se glissant par un tube lance-torpilles. 1939 trente-trois hommes sur cinquante-neuf du Sqalus (USA) échoué par 73 mètres sont évacués par une cloche Mac Camm. 1939, quatre hommes sont sassés du Thetis (GB) par 40 mètres, la panique fait quatre-vingt dix-neuf victimes. Le 2 octobre 1959, l'USS Archerfish s'échoue à -97 m au large de la Floride. Le médecin et le chef mécanicien s'extraient du sas par -91 mètres et remontent en apnée, durée de 52 secondes.

La spécialité de « mécaniciens-chauffeurs-scaphandriers » a été créée en 1860, un arrêté ministériel de 1873 spécifie : « qu'un scaphandre sera désormais obligatoire pour tout navire s'éloignant des côtes françaises ». Les missions confiées aux scaphandriers : la récupération d'objet tombé par-dessus bord, le colmatage d'une voie d'eau, l'installation d'une manche de ventilation au travers d'un passage de coque, la pose d'élingues pour remonter le bâtiment. La profondeur d'intervention étant limitée (narcose, paliers de décompression), un Allemand proposa en 1923 un scaphandre rigide articulé dans lequel l'homme se trouvait complétement isolé du milieu extérieur, les deux bras terminés par une pince.

Les chances de survie de l'équipage d'un submersible en immersion reposent sur : ses réserves d'oxygène, la température ambiante, la fermeture des compartiments, la profondeur, la lutte incendie et contre les voies d'eau, la ventilation intérieure (Monoxyde de Carbone, vapeurs des batteries, nucléides radioactifs). L'équipage d'un submersible diesel-électrique dispose d'une autonomie de 90 jours (sauf en cas de panne électrique) et emporte des moyens de survie supplémentaires pour une semaine : rations alimentaires de prévoyance - bidons d'eau - tubes analyseurs (Oxygène et CO2) - chandelles à oxygène - couvertures isothermes de survie - « Cyalumes » (lumière chimique), etc., répartis à l'avant et à l'arrière du bâtiment (zones de survie).

En France tous les équipages font un passage par le Centre d'Entraînement de Sauvetage Individuel (tour Davis) situé à l'Ile Longue (Brest). Le sous-marinier revêt une combinaison de sauvetage qui permet une remontée à 4 m/sec par flottabilité positive et assurant la protection contre l'hypothermie pendant plusieurs heures. La mise en équipression se fait en moins de 20 secondes afin de réduire le risque d'accident de décompression, à condition que la pression interne du SM soit dans des limites physiologiques acceptables. Les risques sont : rupture des tympans, surpression pulmonaire, noyade en cas de déchirure du vêtement. Deux Royal Engineers anglais ont réalisé dans les années quatre-vingt, deux évacuations individuelles par -180 mètres. Leur devise ? « Ubique ».

Si le sauvetage individuel est impossible, l'équipage ne peut compter que sur l'aide extérieure. Les moyens pour retrouver et localiser le s-m reposent sur le repérage de débris épars et/ou de survivants flottants, la détection de bruits anormaux, les balises ultra-sonores et GPS, les réseaux de sismographes et SOSUB (chaîne d'hydrophones), sonars actifs, magnétomètres, couverture satellitaire, estimation de sa position. Les difficultés du sauvetage sont accrues par : la nature et l'endroit de l'avarie - la profondeur - le relief du fond - l'éloignement des côtes - la pression régnante à l'intérieur, et la gîte du sous-marin.

La cloche de sauvetage immergée à partir d'un navire permet le sauvetage de plusieurs hommes, à condition que le sous-marin repose avec peu de gîte (inclinaison). Un treuil permet à la cloche de descendre sur l'écoutille du sous-marin et de s'y verrouiller et permettre le transfert d'une partie de l'équipage qui devra suivre une décompression identique à une plongée en saturation.

Le Nato Submarine Rescue System est composé de trois modules : Intervention Remotely Operated Vehicle (un robot d’intervention filo-guidé), le Submarine Rescue Vehicle (sous-marin de sauvetage de 30 tonnes de 8,3 mètres de long par de 3,5 mètres), un complexe hyperbare Transfert Under Pressure (chambre de décompression capable d'accueillir plusieurs rescapés) sur un navire-support. Ces modules peuvent être installés à poste en quelques heures sur les navires dédiés à l’intervention et au sauvetage (Argonaute & Jason). La mise en œuvre du NSRS (300 tonnes de matériel) nécessite une équipe internationale d’environ 72 personnes. Du côté français, la Cellule de plongée humaine et d'intervention sous la mer (CEPHISMER) comprend trente-deux personnels : sous-mariniers, médecins, infirmiers hyperbaristes et plongeurs démineurs.

Le robot d’intervention télé-opéré (IROV) depuis la surface place une balise sur le submersible et en perce la coque pour installer un système de ventilation et de décompression d’urgence. Le système analyse en continu la pression et la teneur des gaz (O et CO2) à l'intérieur du submersible afin d'en réguler les flux (pompes à vide et compresseurs), et d'établir les temps de décompression requis. Le SRV exploité par 3 membres d’équipage peut être mis en œuvre par une mer de force 6 et intervenir jusqu’à -610 mètres. Le SRV mis à l'eau à l'aide de son portique placé sur l'arrière du bateau mère se dirige vers la balise placée sur sous-marin en détresse. La manœuvre la plus délicate reste l’appontage du SRV sur le submersible en détresse.

Le SVR aidé de caméras et d'un puissant éclairage pose une « jupe » d’accouplement sur un panneau du sous-marin en difficulté. Une fois l'eau pompée, la jupe se comporte comme une ventouse, le panneau est ouvert et il est procédé aux transferts du personnels. De retour en surface, les hommes sont sassés du SRV vers le Transfer Under Pressure où les blessés sont pris en charge dans le caisson hyperbare par le personnel médical. Le SRV exploité par 3 membres d’équipage a une capacité de sauvetage de 15 sous-mariniers par rotation. La validation est lancée pour tout nouveau submersible et/ou tous les trois ans pour la revalidation du matériel, des compétences et la requalification des Recompression Chamber Operators.

Un sauvetage réel ne se déroule que rarement comme un exercice préparé. Le Duguay Trouin reposait par 50 mètres avec 20° de gîte. Selon la procédure NSRS (2.8 à 6 bars), cela donne 60 heures pour 50 mètres (durée et vitesse de remontée variables selon les tables et paliers aux mélanges suroxygénés et à l'oxygène pure retenus). L'exercice du 10 février 2017 en Norvège portait sur 19 sous-mariniers récupérés par -120 mètres. Au mois de juin 2023, le CEPHISMER a conduit un entrainement au sauvetage d’un équipage de sous-marin. Les quatre plongeurs-démineurs et d'essai ont passé 26 heures à 20 mètres de profondeur suivie une décompression d’une durée de 40 heures. Nous sommes loin des capacités d'un SNA ou d'un SNLE qui se déplace dans la couche aphotique et qui doit se soustraire aux contre-mesures adverses.

Les submersibles : Thresher (1963), Minerve (1968), Scorpion (1968) et l'Eurydice (1970) et leurs 367 sous-mariniers reposent par plusieurs milliers de mètres sous la surface. Lors du naufrage du Koursk (12/08/2000) par -110 mètres, la marine russe fut incapable d'intervenir. Sur la vingtaine d'ensembles hyperbares en sa possession, aucun n'était opérationnel, et les plongeurs du centre de Lomonosoff avaient quitté la marine pour le pétrole azerbaïdjanais en mer Caspienne. Quand les plongeurs norvégiens ouvrent le sas le 21 août, il n'y a aucun survivant. Le 5 août 2005 la Russie lance un appel international pour secourir l'AS-28 empêtrée dans des câbles au large du Kamtchatka par -190 m. Le Scorpio 45, un ROV britannique, le libère en sectionnant les câbles qui le retenaient au fond. L'équipage, sept hommes, qui était bloqué au fond depuis trois jours est sain et sauve. On mesure l'intérêt des nations à adhérer à l'IMSERLO. Une correction, une précision, une remarque ?

 

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