Bifurcation

par C’est Nabum
lundi 6 février 2023

 

Les chemins ne se croisent pas, ils divergent.

 

à regarder

 

Jusqu'à présent la route était toute tracée, il suffisait de maintenir le cap, d'aller toujours de l'avant sans se poser de question. Le marcheur allait son destin inconscient du lendemain, poussé par l'envie de voir du pays tout en faisant confiance à la direction qu'il avait choisie. D'autres avant lui l'avait précédé sur ce chemin, il les avait écoutés, avait envié leur aventure.

Le nez au vent, l'humeur champêtre, il marchait de ce pas ferme et délibéré de ceux qui savent où ils vont. Il était guilleret, chantonnait pour se donner de l’allant. La nature semblait lui avoir emboîté le pas, c'est du moins ce qu'il pensait dans cet habituel anthropocentrisme qui caractérise si bien les humains.

S'il était accompagné par les chants joyeux des oiseaux, l'explosion des senteurs d'une nature printanière, un ciel plein de promesses délicieuses et un vent qui le poussait dans le dos, ce n'était bien sûr que le fruit du hasard, des multiples coïncidences qui pourtant ne faisaient que le renforcer dans sa détermination. Il était sur la bonne voie et avait fait le bon choix.

Point n'était besoin de se retourner, de mesurer le chemin parcouru. Il avait tiré un trait, avait tourné le dos à son passé, son enfance, ses anciens camarades. Sans regret il entendait partir d'un nouveau pied, là-bas, au bout de ce parcours qui allait rebattre les cartes. Il était parti sur un coup de tête et plus il cheminait, plus il se confortait dans cette décision aussi subite qu'imprévisible.

Puis, chaque pas accompli avait confirmé son choix. Il était convaincu du bien fondé de ce nouveau départ qui nécessitait de mettre des lieues et des lieues entre son avenir et son passé. Le chemin était cet impératif qui permet de changer d'horizon, de tirer à jamais un trait. Il lui suffisait de se laisser porter, et c'est ainsi qu'il pérégrinait sans le moindre regret.

Soudain les évidences se craquelèrent. Il ralentit sa marche, se vouta quelque peu. Au loin, il se rendit compte que se présentait à lui une surprise qu'il n'avait pas envisagée. Le long chemin qu'il avait suivi les yeux fermés se divisait en deux. Une fourche, non pas un carrefour avec une voie perpendiculaire qu'il eut suffi de traverser, c'eut été trop facile. Non, devant lui, se présentait deux options, l'une s'écartant insensiblement de l'autre au début pour finir par se séparer irrémédiablement.

Il s'arrêta pour examiner ce phénomène. Aussi loin que portait son regard, il distinguait deux paysages forts différents. L'une de ces nouvelles voies se dessinait à perte de vue dans une plaine qui semblait fertile et radieuse, parsemée de ci de là de fermes et de villages. Un ciel sans nuage lui soufflait au creux de l'oreille qu'une nouvelle vie paisible, l'attendait quelque part de ce côté-là.

De l'autre côté, rapidement le chemin se dissimulait à sa vue. Des creux et des bosses d'abord puis un relief tourmenté, conduisait vers des montagnes qui dressaient leur noire menace. Des nuages noirs couvraient le paysage et pourtant, il percevait dans ce décor inquiétant comme un souffle de vie qui n'émanait pas aussi fortement dans la plaine à perte de vue.

Ce n'était pas la croisée des destins, une simple bifurcation qui s'imposait à lui. Il eut pu choisir d'un coup de dés, d'un de ces paris que l'on se fait souvent en confiant à un animal ou un signe la responsabilité du choix. Il aurait dû préférer la platitude comme solution de facilité. Pourtant une voix lui soufflait que ce sa vie allait prendre un tournant par la magie de cette simple bifurcation.

Il pesa le pour et le contre, il s'était arrêté au milieu de la chaussée, sourd désormais à tout ce qui l'entourait. Une véritable tempête dans son crâne le poussait à envisager tous les arguments en faveur de l'une ou l'autre direction. Il était dans la plus totale indécision et pour la première fois depuis le début de sa longue marche l'idée de faire demi-tour effleura son esprit soudainement tourmenté.

Vouloir introduire une deuxième option dans ce qui n'était jusqu'alors qu'une simple alternative lui parut discutable. Sa détermination fut ébranlée, son désir d'ailleurs se trouvait fissuré, il ne savait plus, était incapable de se déterminer. Allait-il battre en retraite, renoncer à ce qui lui avait apparu comme l'essence même de son désir de partir ?

La tête lui bourdonnait, les oreilles lui sifflaient, les yeux se brouillaient. Il vacillait mentalement, paralysé devant l'inconnu, tenté par le retour à ses anciennes certitudes. Il perdait pied. C'est alors que derrière lui surgit un attelage qui allait grand train. Les chevaux écumaient, le cocher n'était plus maître de ses bêtes qui s'étaient emballées.

Il fut écrasé là sans même avoir eu le temps d'avoir peur. L'indécision lui avait été non point problématique mais tout bonnement fatale. N'ayant pas pu choisir, le destin avait résolu son cas de conscience. Sa route s'était arrêtée là faute d'avoir pu se décider.

La bifurcation est un joli mot facile à prononcer. Vous ne risquez pas d'avoir la langue qui fourche à prononcer ce merveilleux substantif. Par contre à trop tergiverser au moment de vous déterminer, vous risquez d'y perdre votre âme et bien plus encore, parfois.

J'ai le sentiment que notre civilisation est face à une bifurcation que des esprits plus retors nomment transition ou tournant, révolution ou changement de paradigme. Au lieu de perdre votre temps en réflexions inutiles, faites donc le choix qui s'impose en prenant la direction qui exigera de nous tous, le plus d'efforts, il n'y a pas d'autre alternative et vous le savez bien.

À contre-sens

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