A la découverte du blaireau dans nos campagnes

par Pascal Blain
jeudi 18 mai 2006

Avec un championnat international organisé à partir du 25 mai 2006 dans l’Allier, la chasse sous terre au blaireau fait couler beaucoup d’encre ! Mais l’on ne connaît scientifiquement que bien peu de choses sur cet animal nocturne tant les études sont rares... L’association Serre vivante, au travers d’une série de manifestations proposées fin 2005 et début 2006, s’était fixé comme ambition d’apporter au grand public une information aussi large que possible. Réalisée en collaboration avec Jura nature environnement, une exposition éditée par Serre vivante présente en neuf panneaux couleur (60cm x 80 cm) l’animal, son habitat, ses mœurs, sa reproduction, son régime alimentaire, l’état des connaissances, ses relations avec l’homme ... Monsieur Emmanuel Do Linh San, universitaire suisse, spécialiste du blaireau, invité à Dampierre dans le Jura (France) vendredi 6 janvier 2006 a par ailleurs apporté à l’occasion de sa conférence de précieuses informations. Les nombreuses précisions sur le cycle de reproduction de l’animal, ou sur ses pratiques alimentaires, sont venues par exemple décrire le fragile équilibre des populations en Europe, menacé par la pression de l’homme (routes et chasse).

Figure 1
Variation latitudinale du régime alimentaire en Europe

Le blaireau sur le plan alimentaire est un animal opportuniste : il ne s’agit pas d’un chasseur et les vers, campagnols et autres ravageurs dont il fait son festin semblent bien plus nuisibles à l’agriculteur que le blaireau lui-même. (Voir figures 1 et 2).

figure 2
Variations saisonnières de la composition du repas du blaireau

On pourrait sans doute facilement le dissuader à moindre frais de se servir dans les maïs en lait par quelque répulsif ou barrière électrique... Leur période d’appétence est en effet très brève, et contrairement aux sangliers qui n’hésitent pas à faire de longs parcours pour contourner les obstacles, le blaireau ne force pas a priori le passage ! Concernant les éboulements provoqués par les terriers dans les champs, Denis-Richard Blackbourn, naturaliste qui connaît bien cet animal, s’interroge : il semblerait que l’on soit souvent en présence d’une “approche inversée”... Ne serait-ce pas bien souvent l’agriculteur, qui après avoir détruit les haies et bosquets, abritant des terriers, va rouler (avec du matériel de plus en plus lourd) sur des galeries, parfois fort anciennes ?

Une maternité très originale... Après l’accouplement, l’implantation de l’œuf fécondé est différée et son développement ne débute qu’au bout de 10 mois. La durée de gestation étant d’environ 2 mois, les naissances auront lieu au début de l’année suivante, en février-mars. Cependant des mises bas sont possibles plus tardivement. Le développement embryonnaire décalé (ovo-implantation différée) permet aux jeunes blaireaux nés au début du printemps d’aborder dans de meilleures conditions leur premier hiver. Le nombre moyen de blaireautins par portée varie selon les pays et les années. La moyenne européenne équivaut à 2, 43 jeunes par femelle. En moyenne, 30 % des jeunes âgés de plus de 8 semaines ne passent pas le cap de la 1re année.

Certaines études montrent que, dans des conditions normales (hors mortalité liée aux tirs, aux piégeages et au trafic routier) les blaireaux maintiennent des effectifs constants. Cette régulation des effectifs dépend de la densité d’animaux sur un même territoire. Le délai important entre la fécondation des blairelles et l’implantation des œufs permettrait cette limitation des naissances. Par exemple, en cas de diminution des ressources alimentaires, il y aurait une résorption des embryons chez les femelles fécondées pour réduire le nombre de jeunes.

figure 3
natalité

D’ autre part, des relations hiérarchiques et de dominance interdiraient à des femelles de s’accoupler certaines années pour maintenir l’équilibre entre la population de blaireaux et le milieu. Pour conserver leurs effectifs ou aller se reproduire dans d’autres familles, les blaireaux se dispersent ; ces changements de territoire sont néanmoins assez rares.

figure 4
Le cycle reproductif
On remarquera la grande différence entre le taux de natalité chez le blaireau (0,31) et chez le renard (0,65) : ceci explique que la reconstitution des populations de blaireaux soit bien plus lente alors qu’ont cessé les campagnes d’éradication pour cause de rage (figures 3 et 4).
figure 5
Densité des populations de blaireaux en Europe

Pour ce qui concerne la densité des populations, il faut reconnaître qu’il existe de grandes différences entre les divers départements français. Mais l’étude de la situation à l’échelle européenne (carte figure 5) montre clairement, par exemple en Angleterre, où la densité est pourtant jusqu’à 40 fois supérieure à celle de la France, qu’une cohabitation entre l’homme et la faune sauvage est possible : l’espèce y est protégée.

figure 6
Effectifs du blaireau en Europe
L’évaluation à 100 000 individus pour la France (figure 6) est peut-être approximative. En effet, il existe très peu d’études sur le sujet. Il faut être très prudent sur les comptages effectués par certaines fédérations de chasse qui multiplient allègrement le nombre de terriers par un nombre moyen estimé d’individus, ignorant par le fait qu’un même blaireau utilise un grand nombre de terriers différents sur son territoire, en ne les occupant jamais simultanément (voir figure 7)...

figure 7
Caractéristiques des terriers
... quand l’ignorance ne les conduit pas à confondre terrier et gueules... Dans le Jura, on peut même dire que certains s’appuient sur des sondages d’opinion auprès des agriculteurs ou des chasseurs : "Pensez-vous que les populations augmentent ? Souhaiteriez-vous être indemnisé pour les dégâts ? "... C’est pourquoi toute autorisation préfectorale de destruction du blaireau devrait s’appuyer préalablement sur une étude de terrain rigoureuse, conduite de manière scientifique, plusieurs années durant !
figure 8
Effectifs du blaireau en Suisse

Le tableau présenté figure 8 montre qu’après une très forte régression entre 1967 et 1985, il aura fallu près de 15 ans pour que les effectifs retrouvent un niveau équivalent. Il est pratiquement de même en France. A l’échelle d’une vie humaine, c’est long ! Et si l’on commence à revoir compère tesson, cela ne signifie pas forcement qu’il y en a trop !

Mais cohabiter avec la faune sauvage sous-entend peut-être quelques contraintes... Si l’on veut éviter les collisions avec les automobilistes par exemple, il faudra prévoir des aménagements spéciaux. En effet, s’il est une population qui croît de façon continue (et mal contrôlée ?) c’est bien celle des véhicules automobiles (et les kilomètres de bitume qui vont de pair !) même si je ne vous fournis pas ici les tableaux statistiques...

Pour conclure, le scientifique tire la sonnette d’alarme. La situation du blaireau est critique en Turquie et dans la plupart des pays balkaniques : il faut le protéger d’urgence (voir figure 9).

figure 9
Statut du blaireau en Europe

Ailleurs en Europe, une gestion cohérente et efficace passe obligatoirement :

-> par une estimation fiable de l’état des populations

-> Recensement des terriers, tableaux de chasse, mortalité routière • Une chasse « éthique » et convenablement réglée ne doit pas menacer les populations animales exploitées

-> Bannir l’utilisation de poison, gaz et pièges divers

-> Surveiller le braconnage, interdire le déterrage

• Dans les régions où hommes et blaireaux sont en conflit

-> Trouver des solutions pragmatiques qui excluent l’élimination des animaux !

Pour compléter vos observations de terrain, je vous invite à la lecture de références scientifiques, par exemple la monographie consacrée au blaireau chez "eveil nature/belin" intitulé "le blaireau" ou bien le tout denier ouvrage du même Emmanuel Do Linh San chez Delachaux et Niestlé, Collection « Les sentiers du naturaliste », intitulé Le blaireau d’Eurasie (Prix eyrolles.com : 23,75 euros).

Les nombreuses réactions des uns et des autres, chargées d’une grande émotion, montrent combien il est nécessaire de travailler à faire connaître davantage au grand public cet animal nocturne, victime encore de nos jours de l’imagerie d’Epinal ...

Merci à vous tous de nous inviter à cette tâche !-------------------------
Pascal Blain,
Président de Serre vivante

Notre exposition est visible en ligne ! http://www.cpnbrabant.be/blaireaux.html


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