A Nogent sur Seine, on vit avec la centrale...

par Bruno de Larivière
lundi 21 mars 2011

Pour ce centième article publié par Agoravox (merci à tous !), je reviens sur la question du nucléaire en France. Il s'agit cette fois de la centrale la plus proche de Paris.

Plus de six mille personnes résident à Nogent sur Seine. Il fait bon vivre dans cette commune située à moins de dix kilomètres de la Seine-et-Marne. Au sud-ouest s'étend la Bourgogne. Il y a moins à parcourir pour aller à Sens qu'à Troyes, la préfecture de l'Aube distante d'une cinquantaine de kilomètres. Les 'Transiliens' trains pendulaires de la région parisienne, relient Nogent et Paris en une heure. Beaucoup de Franciliens ont décidé de s'installer dans la ville ou à proximité : les villages périphériques augmentent régulièrement : Marnay-sur-SeineSaint-Aubin, Fontaine-Mâcon, La Motte-Tilly ou Le Plessis Mériot. Bois et bosquets truffent le paysage d'openfield. L'arbre progresse au détriment d'une céréaliculture qui a sans doute connu son heure de gloire. L'exode rural appartient pourtant au passé dans cette partie occidentale du département de l'Aube. Être en bordure de région parisienne ne présente pas que des aspects positifs. Les petites cités dortoirs accueillent des actifs qui - s'ils travaillent à Paris - perdent entre deux à trois heures dans les transports. Ils n'ont vraisemblablement pas le choix, mais cela est une autre histoire ['L'idéal de la hutte']. 

Nogent-sur-Seine et sa communauté de communes proposent en effet à ses habitants les services d'une ville de taille moyenne. Car la centrale nucléaire toute proche leur reverse une part substantielle de ses taxes professionnelle (36 millions d'euros) et foncière (8 millions), le reste étant distribué aux département de l'Aube et à la région Champagne-Ardennes. Grâce à cet apport financier, les Nogentais jouissent d'une qualité de vie rare : des associations, une offre de loisirs pour les jeunes, deux salles de cinéma, une piscine municipale, des stades et terrains de tennis, sans oublier un musée consacré à Camille Claudel. Créé en 1902, celui-ci abritait des oeuvres d'artistes de l'entourage plus ou moins proche de la sculptrice. Pour justifier le lien entre le musée et l'artiste qui y a vécu trois ans après la guerre de 1870, la mairie a acquis plusieurs œuvres de Camille Claudel, parmi lesquelles "Persée et la Gorgone" en 2006. Nul doute que les atouts muséographiques de Nogent aient séduit les mécènes autant que la force financière de l'acheteur. Faut-il pour autant reprocher à Nogent-sur-Seine d'utiliser l'argent versé par EDF ? L'opposition municipale critique le maire inamovible depuis 1989, mais pas la centrale.

Près de mille employés et intérimaires travaillent sur le site, logent à proximité, ont inscrit leurs enfants dans les écoles et participent à la vie sociale et économique du canton. Il ne s'agit pas ici de provoquer d'inutiles inquiétudes. Dans un précédent 'papier' consacré à la centrale nucléaire de Fessenheim, j'ai abordé la question du risque d'accident lié à une production électrique potentiellement dangereuse et source de pollution radioactive ['Donner sa langue au chat alsacien']. Le sud de la Champagne présente toutefois une stabilité sismique inexistante au sud de la plaine d'Alsace. Au cœur du bassin parisien, la terre peut il est vrai trembler, même si à l'échelle historique, aucune chronique ne relate de catastrophe majeure. La donnée de référence pour la centrale est un séisme remontant à 1580, avec un épicentre à 180 kilomètres de distance, dont la puissance a été multipliée par deux. En outre, faute de confluence ou d'un environnement montagneux propice à la concentration des précipitations, le risque de crue est modéré. Les inondations de Paris en 1910 incitent néanmoins à rester prudent ['Prendre un Paris, celui de 1910'] et à ne pas négliger cette menace.

Hervé Maillard, le directeur de la centrale de Nogent a fort opportunément accepté de répondre aux questions de L'Union le 15 mars. L'actualité japonaise a justifié cette interview. Hervé Maillart s'exprime d'abord sur ce sujet, rappellant les différences entre les installations, les lieux et les événements. Il explique ensuite que la surélévation de la plate-forme sur laquelle est installée la centrale prend en compte les crues de la Seine. Pour Hervé Maillard, la catastrophe japonaise apportera son lot d'enseignements, avec des perfectionnements probables si ce n'est attendus. En dehors de toute actualité, la centrale reçoit la visite régulière d'inspecteurs, et subit des travaux d'entretien ou de renforcement : amélioration des liaisons électriques, de la protection contre les infiltrations par les eaux de pluie, etc.

« On travaille à l'amélioration permanente des procédures. L'ensemble du personnel bénéficie de 80 000 h de formation chaque année. Nous procédons aussi à des investissements. L'an dernier nous avons déboursé 15 millions d'euros lors de la visite décennale pour réaliser des modifications sur nos systèmes de refroidissement, la disponibilité des informations en salle de commande… Quel dispositif est prévu en cas de crise ? La préfecture gérerait tout ce qui se passe en dehors de la centrale, en mettant en place le plan particulier d'intervention. De notre côté, on déclencherait un plan d'urgence interne. On s'entraîne six fois par an et on a des exercices en taille réelle avec la préfecture une fois tous les trois ans (ndlr : le dernier date de mai 2008). [Questions de Laurianne Perman] »

Le directeur de la centrale ne cherche pas à nier les fragilités de son installation. Il détaille les risques et les parades potentielles. Cela ne découragera pas les plus hostiles au nucléaire. Car l'imprévisible porte bien son nom. Une catastrophe comme celle de Tchernobyl n'a résulté ni d'un tremblement de terre, ni d'une inondation. Un accident d'avion ou l'explosion d'une bombe pourraient également provoquer de graves dommages. De ce point de vue, l'interview d'Hervé Maillard tranche quand même avec la réalité géographique exposée un peu plus haut. D'un côté, EDF prend au sérieux sa charge d'exploitant, de l'autre la population ramène le risque d'accident à peu de choses. Ceux qui craignent une irradiation peuvent toujours s'éloigner de la centrale. Or l'aire urbaine connaît un accroissement démographique.

Les annonces immobilières accessibles sur Internet affichent des niveaux de prix certes moins élevés qu'en Seine-et-Marne. Chateau-Landon, au sud de Nemours permet par exemple de faire une comparaison (même distance de Paris et même taille) : pour une maison de 150 mètres-carrés les prix s'échelonnent entre 227.000 et 575.000 euros (échantillon de dix biens / Seloger.com). A Nogent, les prix varient de 40.000 à 450.000 euros (vingt-et-un biens référencés). L'écart reste faible. Dans le Nogentais, les vendeurs de maisons vantent les vieilles pierres de Provins, la qualité des paysages, la bonne desserte routière, ou la proximité de la gare SNCF. Les fermettes peuvent se transformer en gîtes de charme, et les moulins en résidences secondaires. Aucune annonce ne cite la menace nucléaire ! Mais le niveau de prix des biens immobiliers reflète quand même une réalité simple. Il y a des acheteurs et la centrale ne les rebute pas. On pourrait éventuellement avancer l'idée qu'ils ignorent son existence ?

Un article du 'Point' du 16 mars confirme qu'il n'y a pas de 'Nogent secret'. Estelle Dautry a rencontré quelques uns des habitants. Leur nombre a doublé depuis la mise en service de la centrale en 1984 et 1988. Un conseiller municipal de l'opposition lui confie sa sérénité. « Il n'y a pas de véritables inquiétudes par rapport à notre centrale. Le matin, quand on ouvre les volets, on regarde les panaches des deux cheminées pour connaître le sens du vent et savoir le temps qu'il fera le lendemain. » Tous ont reçu un bon pour retirer des pastilles d'iode à la pharmacie. La moitié ont préféré attendre qu'elles arrivent par courrier. La suite laisse rêveur. « Aucun exercice d'évacuation d'urgence à grande échelle n'a jamais été organisé sur la commune. Un essai a été fait il y a quelques années sur une ville voisine de 500 habitants, mais les résultats n'ont pas été très concluants. Les secours avaient du mal à se coordonner, et les habitants ne s'étaient pas forcément prêtés au jeu. En revanche, dans les écoles, un exercice est réalisé chaque année. »

Mais les images diffusées par la télévision japonaise sur la catastrophe suscitent brusquement les interrogations, remarque dans un deuxième temps Estelle Laudry. Les renseignements fournies par la mairie de Nogent ne suffiraient plus à la population « 'Il y a un manuel d'information en mairie, mais c'est un livre énorme. J'ai fait l'effort de le lire, mais j'en ai oublié la moitié !' confie Mike Wilson, secrétaire d'une association de protection de l'environnement de Marnay-sur-Seine. » D'autres évoquent la nécessité de renforcer la communication de la centrale à destination des résidents. Mais jusque là, leur incapacité à saisir les enjeux environnementaux ne les perturbait pas trop. Je ne leur jetterai pas la pierre, n'oubliant pas que dans ma Bretagne d'adoption, mon compteur tourne à l'électricité nucléaire venue du Cotentin. Comme les Parisiens qui ne connaissent pas la centrale de Nogent-sur-Seine. Hervé Maillard et ses successeurs ne dissimulent aucun secret à Nogent. Ils doivent en revanche s'attendre à un mélange d'ingratitude et d'incohérence.

Les Nogentais récemment attirés par la ville - je pense à ceux qui ne sont pas salariés d'EDF ou de l'un de ses sous-traitants - peuvent du jour au lendemain se déclarer hostiles à la centrale. Qui les en empêchera ? Ils compteront pour rien les avantages tirés dans le passé, réclameront plus d'information sur l'activité de la centrale ou même son arrêt pur et simple. La valeur de leurs maisons n'augmenterait-elle pas en cas de démantèlement des installations ? Tous en tout cas exigent des comptes, mais montrent en retour peu d'empressement quant au respect des règles de sécurité élémentaires. Au nom du principe de précaution, le préfet pourrait tout à fait délimiter une zone d'exclusion autour de la centrale. Je doute cependant que cette option trouve un quelconque écho...

Incrustation : Web pédagogique.


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