Bras ballants

par Roland Gérard
lundi 19 février 2007

Les problèmes d’environnement sont tellement gigantesques qu’en certaines circonstances, on en viendrait à céder au sentiment d’impuissance. Pourtant, en faisant le lien avec la démocratie, un espoir persiste.

Les voilà devant le juge, mais qu’est-ce que ça va changer ? Quel que soit le résultat du procès, nous n’aurons pas le sentiment d’avoir des côtes sécurisées. Puisqu’on le sait, c’est jusqu’aux paradis fiscaux qu’il faut remonter et vers un gouvernement mondial qu’il faudrait se tourner. On aurait bien besoin, dans ces moments où le sentiment d’impuissance l’emporte, de reprendre les choses à la base. Qui pourrait encore dire : « Cela ne me concerne pas... » ? Il semble n’y avoir qu’une seule attitude qui convienne, comme réponse au gâchis écologique, c’est l’action citoyenne, c’est qu’on s’en mêle tous. Et c’est un vent de responsabilité qui souffle sur les plages mazoutées, il est salvateur.

Dans ces jours où à nouveau le pétrole est répandu sur le sable, et où son odeur vient jusqu’au prétoire, on se rappelle que la roche la plus précieuse de la planète est exploitée par l’espèce la plus intelligente. Sur la plage de Quiberon, le 26 décembre 1999, quand l’Erika était là, comme aujourd’hui autour de l’île Grande, comme on se sentait loin du pouvoir...

Enfants impuissants n’ayant aucune prise. Comme nous étions loin des responsables. Avec nos cartons plein d’oiseaux à l’agonie ou notre pelle et notre seau devant les plaques de mazout et les cordages englués, comme nous étions proches de la réalité...

Loin du pouvoir, proches de la réalité.

A l’heure où les îles de Bretagne, à l’heure où ces joyaux sont à nouveau souillés, que de bras ballants sur la plage... On vient voir, on gare sa voiture, à peine sort-on qu’on est pris par l’odeur, on traîne les pieds, écœurés, on repart, l’estomac retourné.

Faire quelque chose contre ça, tout le monde le veut. Mais quoi faire ? Sentiment d’impuissance. Pourtant, dans une démocratie, l’Etat c’est nous, et l’Etat, puisqu’il est souverain, peut tout. Ou alors, qu’en est-il de la souveraineté ?

Les gens sont là, ils expriment leur révolte, leur méfiance quant à tout ce que disent les responsables : « Des menteurs ! », voilà ce qu’on entend : « Des gens qui nous trompent ».

Et nous, citoyens, militants de l’environnement, nous qui sommes engagés dans nos associations, résolument à la recherche de dynamiques positives, dans une construction sociale qui privilégie l’écoute, la recherche de la compréhension commune, en dehors de tout rapport de forces et ceci avec tous les cercles de pouvoir ; sociaux, économiques, politiques, médiatiques... nous nous sentons mal. Notre esprit positif, constructif - persuadés que nous sommes que le bon sens doit l’emporter, parce que mettre fin au gâchis auquel on assiste, c’est juste du bon sens - cet esprit positif, il semble trouver ses limites. Sur la plage mazoutée, c’est la colère qui l’emporte, un sentiment de trahison et d’écœurement.

Les milliers d’acteurs de la société civile organisés en associations choisissent le plus souvent de trouver la voie de l’action concrète et constructive et du dialogue, nous nous interrogeons et nous ne devons pas nous étonner si certains, qui se taisent ou éructent, nous regardent comme des chiens de garde de l’ordre établi qui permet ça et dont nous apparaissons comme si proches avec nos maigres subventions dans les poches.

Il faut poursuivre pourtant ce pari, garder à l’esprit que nous sommes nombreux et que, de plus en plus, de listes de discussion en repas de quartier, de stages en réunions publiques, de rencontres en colloques, puis de forums en assises, nous nous organisons entre nous, ce que l’homme sait le mieux faire, c’est une réalité aussi. Des acteurs nombreux qui se mobilisent, de nouvelles organisations qui rejoignent des collectifs, des groupes de travail qui réfléchissent sur tous les aspects de la mise en œuvre de l’action pour l’environnement, des entreprises qui participent à la construction du sens et qui nous apportent de nouveaux moyens financiers... La participation est là, nos actions sont riches de ça, allons vers plus de participation.

Tous ceux qui veulent construire en commun en se retrouvant en un lieu ou à distance via Internet participent à l’élaboration de projets concrets et de plans d’action. Et n’auront finalement les bras ballants que bien peu de personnes... juste celles qui voudront.

C’est participer que nous avons à faire tous, participer au destin de nos territoires de vie et de notre terre, l’intelligence le commande. Chacun peut trouver sa place, l’exclusion n’est pas de mise, et c’est naturel.

Ce qu’elle a dans les mains de plus précieux, l’espèce humaine, outre cette roche magique qu’elle dilapide, c’est la démocratie, qui n’est ni un acquis, ni aboutie, mais une conquête de tous les jours. Alors rappelons-nous, il en est de l’environnement comme de la démocratie : pas un dont l’absence de participation ne porte tort à l’ensemble.

Et lui avec sa pelle, là-bas tout seul, sur sa plage, ventée, humide, froide et puante, il est tout sauf ridicule. Il est beau. Il est plein de la légitimité de tous ceux qui agissent, son geste est souverain. C’est à lui que les générations futures rendront hommage, et plus encore, si c’est le cancer dû au pétrole qui l’emporte.

Roland Gérard


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