Ce qui se tram à Paris

par Laurent Checola
vendredi 15 décembre 2006

Le tramway des Maréchaux, qui sera inauguré samedi 16 décembre par Bertrand Delanoé, est le fruit d’une bataille politique où ni la gauche, ni la droite n’ont respecté les règles démocratiques.

15 juillet 2003. A six heures du matin, les riverains du boulevard Jourdan, au Sud de Paris, sortent difficilement de leur torpeur. Au lendemain de la fête nationale, la langueur estivale et le soleil écrasant rebutent encore, à cette heure, les rares passants. Pourtant, sur les trottoirs du boulevard, un groupe d’hommes s’assemble auprès des arbres qui bordent la chaussée. Des agents municipaux, munis de tronçonneuses. En un instant, soixante-quinze arbres sont coupés, déracinés, et les trous aussitôt bétonnés. Les travaux du tramway des Maréchaux viennent de commencer...

Projet phare de la mandature Delanoé, le tramway T3 est présenté comme la vitrine mobile des verts et des socialistes. Pourtant, l’arrivée du tram à Paris n’est pas le fait du maire actuel, mais celui de son prédécesseur, Jean Tibéri. Avec ses adjoints, il s’est engagé à ce que cette infrastructure soit inscrite au contrat de Plan 2000-2006, qui lie l’Etat et la région Ile-de-France. Ironie de l’histoire, Jean-Paul Huchon, le président socialiste de la région, qui plaide désormais pour un prolongement à l’Est de Paris, s’était d’abord montré très rétif à l’argumentaire de l’ancien maire.

Certes, M. Tibéri l’a pensé, mais M. Delanoé, lui, le fera, et qu’importent les moyens à mettre en oeuvre. Les travaux dits « préparatoires », comme l’abattage des arbres boulevard Jourdan, débutent avant même que le budget du tramway ne soit octroyé par la région. Une manière de placer ses partenaires devant le fait accompli. « Je vous ai déjà dit que ces travaux sont non finançables par la région », se défend le maire, face à l’opposition, lors du Conseil du 22 septembre 2003. « C’est tellement vrai que l’Etat, lui, participe au financement. »

Les travaux n’ont pas été subventionnés par la région, mais ils étaient, de droit, subventionnables. «  Ces travaux préparatoires, d’un montant de 11, 06 millions d’euros (hors taxe) sont financés exclusivement par l’Etat (2 M€) et la ville de Paris (9,06 M€), cette dernière prenant en charge la part de la Région Ile-de-France sur ces travaux, soit 4,40 M€. » Sur les 214 millions d’euros du chantier, la ville devra verser, en plus des 49 millions convenus, une part de la contribution de la région. Le contribuable parisien payera donc comptant une politique du fait accompli, que personne ne semble pouvoir arrêter.

Le tramway des Maréchaux n’a d’ailleurs pars reçu l’aval de la préfecture d’Ile-de-France. Après l’enquête publique, réalisée entre février et avril 2003, le préfet dispose normalement d’un an pour déclarer le projet d’intérêt public. Ce qu’il n’a pas fait, jusqu’à ce jour. Le tramway des Maréchaux n’a jamais reçu le sceau de l’utilité publique, pourtant indispensable. Une telle déclaration est le seul élément susceptible d’être attaqué en Justice...

L’opposition municipale s’est pourtant essayée à enrayer la mécanique du maire. D’abord, en se montrant sourcilleuse des procédures, comme le président de l’UMP au Conseil de Paris, Claude Goasguen. Celui-ci a réclamé un contrôle de légalité en juillet 2004, sur des marchés supposés frauduleux : la préfecture de Paris n’a pas donné suite.

La droite s’est également servie de ses dissensions internes pour faire dérailler le projet de tramway. En janvier 2001, avant que Bertrand Delanoé ne soit élu maire, Laure Schneiter, du mouvement écologiste indépendant, introduit un amendement apparemment anodin. Celui-ci prévoit, lors des concertations avec le public, d’examiner le projet du tramway sur les boulevards des Maréchaux, mais aussi sur le parcours alternatif de la petite ceinture ferroviaire, plus en amont dans Paris. Les élus de droite comme Jacques Toubon brandiront sans cesse une telle référence pour condamner la partialité de la Mairie en place, qui n’examine à dessein qu’une seule des alternatives.

Des associations prétendument apolitiques ont enfin mené une guérilla juridique contre la Mairie, en faveur de la droite. En juin 2004, le Tribunal administratif de Paris donne raison à quatre associations, annulant la délibération municipale, déclarant l’intérêt général du tramway. Parmi ces quatre associations figure Orbital, dont le président est Didier Lourdin. Actuel membre du Parti radical, affilié à l’UMP, il était, en juin 2004, sur la liste européenne de Charles Pasqua. Quant au Comité d’initiative du quartier de Rungis (CIQRU), qui figure parmi les plaignants, il trouve dans Pierre Gény, ancien maire RPR du 13e arrondissement, un zélé porte-parole. Cette plainte fut vaine, car ne portant que sur la forme, la Cour administrative d’appel a finalement donné raison à l’édile socialiste. Malgré tous ces incidents de parcours, le tramway demeure bien sur les rails, boulevard des Maréchaux.



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