Climat : changer de logiciel après Durban

par alaincluzet.fr
mardi 6 mars 2012

Pour lutter contre le changement climatique, l’Europe doit s’appuyer sur les villes, qui produisent 80% des émissions mondiales et probablement bien plus dans un continent au réseau urbain très dense, pour faire émerger des solutions globales et rompre enfin avec des politiques de simple affichage ou trop ponctuelles pour être efficaces face à un phénomène global. 

Le modèle européen de lutte contre le changement climatique a vécu. Conçu de façon autocentrée, alors que l’Europe ne contribue plus qu’à 15% des émissions de gaz à effet de serre, ce modèle, fait de solutions individuelles, disparates, et coûteuses connait un trop faible rendement pour être transposable aux pays en développement. La seule facture du coût d’adaptation des pays du sud a été évaluée à plus de 100 milliards de dollars par an lors du sommet de Cancun. Mais l’Europe n’est plus en mesure d’assumer sa part de cet engagement.

Pour sauver le protocole de Kyoto et freiner dès 2020 un réchauffement qui s’est encore accentué en 2010, il est nécessaire de réunir au moins trois conditions :

Or, que propose l’Europe dans sa stratégie de lutte contre le changement climatique ? Améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments, réduire les émissions de C0² des voitureset des camions, stocker le carbone en sous sol. Essentiellement, des mesures coûteuses pour les bâtiments neufs, des mesures individuelles pour les transports, des mesures d’évitement par le stockage des émissions. La stratégie de l’autruche ne fonde pas une grande ambition, encore moins une alternative à proposer à nos partenaires. Au mieux, ces mesures sont susceptibles de freiner la croissance des émissions mais nullement d’amorcer un changement de modèle. Comme à l’accoutumée, le prochain cycle de croissance en effacera tous les bénéfices, comme à l’accoutumée. D’où le sempiternel débat sur la dette carbone initiale de l’Europe, sur sa légitimité morale à exiger des efforts aux autres, sur le droit des pays émergents à polluer à leur tour.

Face à la crise climatique, l’Europe pourrait proposer des réponses globales en se confrontant enfin à des approches spatiales, en s’appuyant sur la géographie urbaine. En effet, les émissions ne sont pas réparties sur le territoire de façon homogène. Au niveau mondial, les gaz à effet de serre sont à 80% d’origine urbaine. Alors que les villes comptent la moitié de la population mondiale, elles consomment 75% de l’énergie et produisent l’essentiel des émanations. La proportion est probablement encore supérieure en Europe, continent le plus fortement urbanisé.

D’apparence, ce constat peut surprendre, tant la vocation des villes a toujours été a contrario la mise en commun des ressources, la création de services communs, l’organisation de la vie en collectivité. Mais l’individualisation progressive des modes de vie, la déterritorialisation des entreprises, le délitement de toute réelle planification en ont fait des lieux de congestion, de pollution et de déséconomies d’échelle, au point que les métropoles sont désormais d’autant plus productrices d’émissions par habitant qu’elles sont peuplées[1]. Mais leur formidable potentiel de développement durable demeure intact, potentiel qui ne demande qu’à être activé, à moindre coût et sans contraintes majeures pour les modes de vie. L’Europe est la mieux placée pour promouvoir cette mutation vers des villes décarbonées, car riche d’un réseau millénaire de villes moyennes, bien reliées entre elles et à la culture commune façonnée par plus de mille ans d’échanges commerciaux.

Les villes européennes sont à même de réduire de 60% les émissions du Continent d’ici à 2050, même en prenant en compte des hypothèses de croissance économique restaurée[2]. La densité des villes offre en effet des opportunités sans égales dans au moins trois champs essentiels : énergie, transports, développement.

Ø Autonomie énergétiquedes quartiers : autant la construction en masse de bâtiments à énergie décarbonée sera aussi coûteuse que de longue haleine (renouvellement de 1% du parc par an), autant l’autonomie énergétique à l’échelle de quartiers est un objectif réaliste en une génération. Le doublement du chauffage urbain, injustement contingenté aux seuls quartiers sensibles, particulièrement en France, est à lui seul à même de réduire de 10% l’ensemble des émissions européennes. Il ne s’agit pas de produire d’immenses réseaux tels ceux dont étaient dotées de nombreuses villes d’Europe de l’est mais de promouvoir de micro réseaux de quartiers alimentés par de petites chaufferies, réseaux parfois reliés entre eux tels des rhizomes et complétés par des mini éoliennes, de vastes panneaux solaires sur les grands équipements, de la géothermie là où elle est facile à développer, et des campagnes de soutien technique et financier à l’isolation extérieure des bâtiments existants avec les économies énergétiques réalisées sur les équipements publics[3]


Ø Transports urbains  : pourquoi tenter vainement de concurrencer la voiture et ses centaines de milliers de kilomètres de voiries urbaines avec quelques kilomètres de tramways et de métro aussi coûteux que longs et complexes à réaliser ? Il existe une solution simple et rapide à mettre en œuvre à l’échelle des grandes agglomérations urbaines : le partage de la voirie entre automobile et bus, avec priorité aux bus aux carrefours. Les bus ne sont pas encore les bienvenus sur la voirie, confrontés à de multiples restrictions. Mais imaginons que les pouvoirs publics leur affectent systématiquement la deuxième file sur toutes les voies rapides urbaines qui en sont dotéeset aménagent des contournements des points noirs.Le réseau serait multiplié par cent, le cadencement serait assuré et l’usage des transports en commun exploserait. Une fois confrontés à des bus rapides sur l’essentiel du réseau urbain et périurbain, les automobilistes ne supporteraient plus les embouteillages habituels.

Le fret ferré, clairement abandonné par les pouvoirs publics et les grands groupes prescripteurs, peut être relancé avec le soutien de l’Europe pour la création d’un grand axe ferré européen, financé par une taxe environnementale aux frontières de l’Union. Les Régions, qui ont en France parfois tenté de suppléer les défaillances de l’Etat en ce domaine, organiseraient le maillage interne et des pôles de fret d’agglomération à l’aide de la future taxe poids lourds. L’impact en serait déterminant, face à la croissance exponentielle du fret routier, déjà responsable de près de 10% des émissions. 

 

Ø Croissance verte  : sans un nouveau modèle de croissance, chaque augmentation du PIB impactera les gaz à effet de serre dans la même proportion. S’y ajoutera l’impact de la croissance démographique[4] et de l’élévation du niveau de vie, phénomènes non limités aux pays émergents. Le tassement rapide de la pollution après la crise financière de 2008 nous en apporte une nouvelle confirmation, en l’attente d’un prochain cycle de croissance économique. Sans mutation économique, tout le bénéfice d’une politique carbone volontariste sera balayé. Or les villes bénéficient de toutes les potentialités pour être au cœur d’un modèle de croissance basé sur l’innovation, les échanges aux échelles territoriales, les flux d’information, la valorisation de ressources locales et l’optimisation spatiale de toutes les synergies utiles entre entreprises, services et population. Mais ces potentialités ne s’exprimeront à plein que si la mise en réseau de villes moyennes recyclées, régulées et adaptées en continu, succède au mythe métropolitain du toujours plus grand qui conduit à l’accumulation désordonnée et à l’étalement périurbain incontrôlé. Une nouvelle politique d’aménagement du territoire en est la condition, une politique rompant avec la tentation des Trente glorieuses d’une conquête de tout l’espace disponible. Une politique basée a contrario sur le ménagement territorial et les complémentarités à toutes les échelles, pour une croissance décarbonée. Une nouvelle modernité, non plus de l’hyper consommation mais de l’économie des moyens, basée sur la valorisation locale des biens de consommation dans le cadre d’une économie circulaire et sur l’intégration concurrentielle du coût carbone dans le coût global des produits importés. Et de véritables régulations de l’usage de l’espace qui confrontent toute implantation d’activité aux logiques d’optimisation de l’espace, de proximité des acheteurs, fournisseurs et salariés.

 

 A ces conditions, l’objectif d’un facteur 4, soit une division par 4 des gaz à effet de serre avant 2050, revendiqué par l’Europe depuis plusieurs années mais sans changement majeur des politiques européennes de développement et de régulations, peut aboutir. Et les villes participer à juste proportion à la baisse des émanations.

facteurs baisse GES

Nous avons intégré dans ce schéma l’hypothèse d’une croissance économique moyenne de 1,5% par an et d’une évolution parallèle des GES que devrait compenser la croissance verte.

 

 

Alain CLUZET

Docteur en Aménagement

DGS de Collectivité locale

Vient de paraître : « Le climat sauvé par les villes ?  » L’Harmattan 2012



[1] La comparaison des niveaux de GES dans les agglomérations européennes a permis d’observer qu’au-delà de un million d’habitants, le rendement décroissant en termes d’émissions est le plus fréquent.

[2] Y compris en considérant une hypothèse de croissance moyenne de 1,5% par an, croissance susceptible de produire une croissance des gaz à effet de serre dans les mêmes proportions. La corrélation est manifeste ces deux dernières années entre la crise économique et la baisse des émanations, au même titre que la baisse enregistrée des déchets industriels.

[3]De nombreuses villes ont commencé à agir directement sur le champ énergétique : Stockholm, Copenhague, Odense, Mannheim, Lausanne, Bourges, Besançon…

[4] La population mondiale (7 milliards de personnes en 2011), devrait augmenter d'un milliard de personnes en 2023 et en 2041, pour dépasser le seuil des dix milliards en 2081, contrairement aux prévisions souvent avancées d’une stabilisation à 9 milliards de personnes, selon l’ONU (rapport du Département des affaires économiques et sociales, 03/05/2011)

 


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