Collapsologie et la possible dérive totalitaire avant l’Effondrement
par 1000mots
samedi 14 novembre 2020
Après une courte introduction à la collapsologie, on présente le probable effondrement de notre société actuelle sous l'angle d'une possible dérive autoritaire voire totalitaire. L'effondrement se révèle alors être une solution...
Contrairement à ce que certains veulent penser, la collapsologie ne prédit pas la fin du monde ni une catastrophe apocalyptique. Au contraire, elle rassemble différentes études scientifiques pour analyser les éventualités de l’effondrement de notre société et propose des réflexions sur les conséquences de cet effondrement. Plus précisément, dans le contexte de problèmes écologiques croissants et de raréfaction des ressources, il s'agit d'évaluer l'ampleur des changements nécessaires et d'indiquer quelques réponses ou évolutions possibles.
L’écosystème
Le changement climatique est un processus très lent et extrêmement complexe. Mais on
comprenait déjà à la fin du XIXème siècle que le réchauffement serait plus fort sur les pôles que sur l’équateur, sur les continents que sur les océans, l’hiver que l’été et la nuit que le jour. Les variations du climat, différentes suivant les régions, engendrent une augmentation des intempéries et inondations tout autant que des sécheresses et d’autres dérèglements difficiles ou impossibles à prédire. Par ailleurs, à cause de l’inertie inhérente à l’évolution du climat, les gaz à effets de serre déjà accumulés dans l’atmosphère en 1992 (lors de la 1ère conférence internationale sur le climat) allaient de toute façon engendrer les changements que nous percevons aujourd’hui. Et une réduction massive ou même l’ârret totale, des émissions des gaz à effet de serre ne porterait ses fruits que d’ici une ou deux générations.
Mais le changement climatique n’est pas le seul problème écologique auquel l’humanité doit faire face. Le concept d’empreinte écologique essaie de décrire l’ampleur de l’impact de l’humanité sur les écosystèmes. Aujourd’hui on estime que cette empreinte s’approche du double d’une empreinte soutenable à long terme. Au-delà de la surexploitation des ressources directement utilisées par l’être humain (eau potable, surfaces arables, forêts, pêche), on doit aussi prendre en compte les problématiques de pollution, de dégradation, voire de destruction des écosystèmes.
Des ressources limitées
Un autre problème majeur auquel nous devons faire face est la raréfaction des ressources non-renouvelables. Pour comprendre les impacts de cette raréfaction sur l’économie, je m’inspire ici des travaux de Jean-Marc Jancovici, en particulier en ce qui concerne la très forte dépendance de l’économie envers l’énergie (cf articles et conférences en ligne). En effet, il n’existe pas d’économie dématérialisée. Au contraire tous les services utilisent des infrastructures et/ou des machines bien matérielles, qu’il s’agisse de l’immobilier, des routes, des centrales électriques, des serveurs internet, ou encore des smartphones, etc. Et pour créer et faire fonctionner toutes ces machines, il faut de l’énergie. Or aujourd’hui, 75 % de l’énergie utilisée est d’origine fossile. Ces énergies fossiles non seulement émettent des gaz à effets de serre, mais de plus elles sont non-renouvelables : le pic de la production mondiale de pétrole a probablement été atteint en 2018, et les pics de production du gaz et du charbon sont à envisager d’ici 10 ou 20 ans. Et après un pic de production, on se retrouve devant un déclin progressif inévitable. Ainsi il semblerait que les pires scénarios concernant le changement climatique pourraient bien être évités, faute d’énergies fossiles.
Décroissance ?
Mais avec 8 milliards d’êtres humains, et une croissance économique aussi bien que démographique quasi illimité, les énergies dites renouvelables ne peuvent remplacer les énergies fossiles. En effet, la fabrication des éoliennes ou des panneaux solaires nécessite elle-même des ressources non-renouvelables dont l’extraction est par ailleurs souvent très toxique : terres rares, métaux, ciment... La technologie ne peut pas faire de miracles et résoudre tous nos problèmes écologiques sans changement dans la dynamique démographique et le fonctionnement de l’économie (cf par exemple l’équation de Kaya). Par ailleurs, toute source d’énergie transforme la matière, c’est-à-dire la nature et l’environnement, donc même avec une nouvelle source d’énergie “miracle”, la gravité des problèmes écologiques resterait entière.
Les problématiques combinées des dommages écologiques et de la raréfaction des ressources amènent donc une double contrainte, ce qui du reste avait déjà été vu il y a 50 ans dans l’étude Limits to Growth. Une des forces de l’approche de Jancovici est d’essayer d’appréhender des situations très complexes en termes d’ordre de grandeur ce qui permet une première compréhension rapide. Pour fixer les idées, il nous faudrait en une génération organiser une réduction de moitié de trois paramètres fondamentaux : l’utilisation de ressources renouvelables et non-renouvelables, les émissions de gaz à effet de serre et l’empreinte écologique. (Ces paramètres se recoupent évidemment.) Or il est illusoire de penser que nous pourrions maintenir l’activité agricole, la production industrielle et les services, et en même temps préserver les infrastructures, avec 50% de ressources en moins, et une population mondiale qui continue à croître. En première approximation donc, et contrairement aux mirages d’une supposée “croissance verte”, on peut considérer que la consommation de ressources et les dégradations environnementales sont proportionnelle à l’activité économique.
Donc, pour atteindre nos objectifs écologiques, nous devrions organiser une décroissance massive, c’est-à-dire une réduction drastique de la consommation de biens matériels et de services. Pour concrétiser, il faudrait par exemple pendant 20 ou 30 ans une décroissance de 5% par an, soit chaque année une contraction de l’activité économique mondiale équivalente à celle de 2020... Sinon, d’après de nombreux scientifiques, nous serons amener à la subir. Cela prendrait différentes formes, comme des pertes agricoles croissantes ou des infrastructures endommagées à cause de conditions climatiques extrêmes. On peut en apercevoir aujourd’hui les prémices, comme les espèces envahissantes qui coûteraient au niveau mondiale, des centaines de milliards d’euros par an, ou encore la canicule européenne de juillet-août 2018, où la production céréalière de l’UE européenne a baissé de 8 % et où l’activité industrielle s’est retrouvé restreinte, dû à l’assèchement des fleuves (fiche Wikipedia en allemand).
Une simple question de démographie ?
Dans un contexte de raréfaction des ressources sur plusieurs décennies, quelles seront les priorités ? Allons-nous utiliser les surfaces agricoles pour des biocarburants ou pour des céréales ? Allons-nous utiliser les matières premières pour développer les technologies actuelles et le tourisme international, ou pour maintenir et adapter la production agricole ? Et en effet, d’après une étude de l’ONG Oxfam, “les 10 % les plus riches de l’humanité ont été à l’origine de plus de la moitié (52 %) des émissions [de CO2] cumulées entre 1990 et 2015. Et les 1 % les plus riches représentaient à eux seuls plus de 15 % des émissions [...] et deux fois plus que la moitié la plus pauvre de l’humanité (7 %)”. On peut estimer que ces ordres de grandeurs correspondent aussi aux consommations de ressources renouvelables et non-renouvelables : les 10 % les plus riches consommeraient environ 50 % de ces ressources. Notons que même si la natalité mondiale basserait de moitié, (ce qui serait quasiment une politique mondiale d’un enfant par femme), la population continuerait à croître pendant un certain temps. (En 2019, la natalité mondiale est de 140 millions et la mortalité de 59 millions, mais le taux de fécondité au niveau mondiale a déjà diminué jusqu’à 2,4 enfant par femme.) Par conséquent, même une très forte baisse de la natalité mondiale ne suffit pas à résoudre les problèmes, et les plus riches et les classes moyennes devront accepter une baisse massive de leur niveau de vie.
Solutions politiques ?
Malgré l’urgence de plus en plus évidente des problèmes écologiques, les sociétés actuelles ne parviennent pas à négocier les changements radicaux nécessaires. Au contraire, d’autres problèmes s’accumulent, comme l’injustice croissante, la corruption, la désinformation et une finance hautement instable. Jancovici favorise dans ses remarques politiques des solutions étatiques à la française, avec des plans d’actions à long terme et une intervention massive de l’État. Ce sont évidemment des réflexions intéressantes qui vont à l’encontre de l’idéologie néolibérale. Cependant, au-delà de laisser le citoyen démuni et impuissant, il faut constater que les élites sont trop discréditées pour pouvoir imposer des mesures drastiques, puisqu’elles sont considérées comme responsable de la situation actuelle. Et pendant qu’une part de ces élites est de plus en plus déconnectée de la réalité des populations, d’autres sphères de pouvoir comme la finance ou l’armée pensent certes à long terme, mais on peut douter que leurs projets correspondent à des aspirations démocratiques et humanistes. Au contraire, face au discrédit qui frappe une grande partie des élites et face à l’ampleur des problèmes, la tendance d’une fuite en avant autoritaire, voire totalitaire risque de s’amplifier.
Effondrement et complexité
Dans Effondrement des sociétés complexes, Joseph Tainter analyse l’évolution de différentes sociétés sous l’angle des ressources investies, des services fournis et des contraintes subies. La clé de son interprétation est le rapport entre la complexité d’une société et l’utilité de cette complexité pour la population. Par exemple, un problème sanitaire peut être résolu grace à des nouvelles réglementations ou administrations, et idéalement cela représente une amélioration générale de la situation. De même, une aspiration de tout ou partie de la population se concrétise en général par des règles et charges supplémentaires. Et c’est ainsi que s’installe une dynamique de complexification progressive de la société. Or l’effort fourni pour atteindre un objectif peut engendrer plus de problèmes qu’il n’en résout. D’après Joseph Tainter, au moment où la complexification de la société ne correspond plus à une amélioration de la situation, mais à une dégradation, les risques d’effondrement deviennent critiques, car une société plus simple permet une qualité de vie meilleure, quitte à perdre quelques services fournis auparavant. Mais il nous fait aussi comprendre le risque d’une appropriation des ressources disponibles restantes à l'avantage unique d'une minorité et d'une oppression toujours plus grande. Dans Pouvoir, Tabous et Manipulations, j'ai essayé d'indiquer comment une telle évolution peut advenir.
Simplification et action locale
Nous comprenons avec Joseph Tainter que l’effondrement n’est pas seulement un problème, mais aussi une solution, car il réduit le poids que fait peser l’hypercomplexité sur la population. En effet, le retour à des méthodes traditionnelles, donc la simplification du système, résout déjà un grand nombre de problèmes écologiques : agriculture non-industrielle, recyclage, DIY, circuits courts, frugalité, médecine alternative, etc. Par ailleurs, le discours officiel concernant le dérèglement climatique (et bien d’autres questions) fait dépendre les solutions de négociations internationales interminables entre experts et élites. Or, cette perspective nourrit un sentiment anxiogène d’impuissance, et ceci d’autant plus que même des réductions drastiques des émissions de gaz à effet de serre n’auront aucun impact à court terme. À l’inverse, on peut retrouver du sens et des perspectives d’action et d’avenir en s’engageant pour une économie locale et respectueuse de l’environnement, en améliorant la résilience des écosystèmes, en renforçant le lien social et en réduisant la dépendance envers les structures étatiques et capitalistiques. Et la force de ces engagements sera d’autant plus grande qu’une réappropriation démocratique des processus de décisions aura été possible.