Conférence de Copenhague : fixer des plafonds de pollution individuels

par olivier derruine
mardi 8 septembre 2009

En décembre, près de 180 pays chercheront à s’accorder à Copenhague sur les objectifs en matière d’émissions de gaz à effets de serre (GES) qui prévaudront à partir de 2012, année d’échéance du protocole de Kyoto. D’ici là, le G20 qui se réunira pour la 3e fois depuis le début de la crise à Pittsburgh (fin septembre) mettra le sujet à son ordre du jour et deux réunions préparatoires à Bangkok (octobre) et à Barcelone (novembre) essaieront de concrétiser des avancées afin d’éviter un échec qu’un statu quo rendrait inévitable.

Si les négociateurs peinent à rapprocher leurs positions, cela n’a pas empêché certains pays ou régions du monde à passer à l’action. L’année dernière, l’UE avait ainsi adopté son paquet énergie-climat en vertu duquel elle s’assignait d’ici 2020 une économie d’énergie de 20 %, 20 % de renouvelables dans la production d’énergie, 20 % d’émissions en moins et 10 % de biocarburants durables. Plus récemment, les Etats-Unis de Barack Obama et le Japon ont adopté leur propre programme, certes moins ambitieux. Pour ces pays, la réduction serait limitée à 10-15 %.

 

Les enjeux de la Conférence de Copenhague


L’enjeu de Copenhague est triple. Tandis que l’accord de Kyoto[i] restait confiné aux pays riches (quoique l’administration de Bill Clinton l’avait signifié mais le Congrès ne l’avait pas ratifié)[ii], la menace climatique qui se précise et le développement ainsi que l’envergure des puissances émergentes impliquent un engagement de tous les pays. Cela implique une adaptation très importante des structures de production et de consommation, ce qui requiert des investissements colossaux, en particulier pour les pays pauvres qui seront particulièrement affectés. Ce point nous amène au cofinancement par les pays industrialisés des mesures qui devront être prises par les pays émergents et pauvres. Mais, si, historiquement, les pays industrialisés sont les premiers responsables de la dégradation écologique, les autres pays participent de plus en plus au réchauffement climatique. C’est la rançon de leur forte croissance économique. Ainsi, les pays riches étaient responsables de 43,4 % du total des émissions de CO2 en 2006 contre une moyenne de 51,4 % durant la période 1985-2000. Depuis 2000, les pays riches n’ont contribué que pour 7 % de l’augmentation totale de CO2 (contre 58 % durant la décennie précédente), tandis qu’à eux seuls, les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) représentaient 67 % de la hausse et les autres pays 25 %…


La communauté internationale fait face à un dilemme cornélien dans la mesure où le sort de la planète réside dans les pays émergents (essentiellement les BRIC). D’une part, leur développement rapide signifie qu’ils (re)prennent leur place dans le monde[iii] et que leur population commence à en tirer parti pour élever leur bien-être. D’autre part, l’adoption de comportement de consommation similaires à celui des Européens et en particulier des Américains serait intenable en termes d’exploitations des ressources naturelles[iv], de pollution et même de développement économique[v]. La pression écologique est d’autant plus forte que la croissance de la population au cours des prochaines décennies (+2,6 milliards d’ici 2050 selon l’ONU) sera concentrée dans les pays moins nantis (ainsi, l’Inde concentrera 20 % selon les projections démographiques de l’ONU).


Depuis le volumineux rapport de Nicholas Stern (600 pages) paru en octobre 2006) qui a complété les analyses du GIEC par une étude des coûts économiques, il ne fait plus aucun doute qu’un accord volontariste est indispensable et que la crise ne peut servir d’alibi pour brider les ambitions. En effet, le rapport estime que « la stabilisation des gaz à effet de serre aux niveaux de 500-550 ppm éq. CO2 [unité de mesure de la concentration atmosphérique des GES exprimée en équivalent-CO2] coûtera, en moyenne, environ 1% du PIB mondial annuel d’ici 2050 », ce qui en définitive est bien peu au regard des coûts et les risques globaux liés au changement climatique qui équivaudraient à la perte d’au moins 5 % du PIB par an. Et la facture sera encore plus corsée pour les pays pauvres…[vi]

 

Des plafonds de pollution individuels

Loin de l’angle d’attaque traditionnel des tables de discussion, une équipe de chercheurs rassemblée autour de Shoibal Chakravarty de l’Université de Princeton a esquissé une réponse alternative qui se focalise sur les émissions du seul CO2[vii]. Leur originalité réside dans leur proposition de fixer des objectifs par individus en fonction de leur niveau de richesse dans la mesure où les plus nantis sont également ceux qui polluent le plus. Le principe est qu’il faut traiter de manière égale ceux qui polluent autant et ce, où qu’ils vivent.

Un plafond d’émission individuel est fixé de manière à atteindre l’objectif international agréé. L’objectif national d’émissions à ne pas dépasser est obtenu par la multiplication du plafond par le nombre d’habitants. Le quota individuel peut être traduit en un revenu-seuil ; cette opération présente l’avantage d’identifier les personnes contraintes à fournir des efforts (ce qui est plus facile que de calculer les émissions individuelles).

Concrètement, pour un objectif international de réduction de 30 % par rapport aux projections d’émissions en 2030 réalisées par l’Agence Internationale de l’Energie, les 1,13 milliards de personnes dont les émissions excèdent 10,8 de tonnes de CO2 par an devraient ramener leurs émissions à ce niveau. Ces personnes disposent d’un revenu d’environ 39.000 $ et se répartissent à parts égales entre les Etats-Unis, les autres pays de l’OCDE (les plus riches pays de l’UE avec le Japon, l’Australie et le Canada) la Chine et le reste du monde.

Poussant le souci de l’équité plus loin, les chercheurs peaufinent leur modèle en cherchant à exclure de l’effort général du calcul les 2,7 milliards de personnes qui émettent maximum une tonne de CO2 par an, soit un montant compatible avec la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement. Leur exemption devrait être compensée par la participation à l’effort général de seulement 200 millions de personnes qui bien que polluant beaucoup, en étaient dispensées jusque ici.

Le tableau suivant décline les objectifs international et individuel au niveau d’une sélection de pays particulièrement important dans les débats en cours.

 


Bien sûr, le modèle est, comme le reconnaissent les auteurs eux-mêmes, réducteur car comme tout modèle, il repose sur des hypothèses simplificatrices en ignorant des questions telles que la vérification que les individus assujettis à l’effort respectent la contrainte, l’extension aux autres gaz à effet de serre, le fait que l’intensité en carbone varie entre les pays (deux individus d’un même niveau de revenu mais situés dans des pays différents peuvent émettre un volume différent en fonction de l’efficacité énergétique du pays, de leur propre conscientisation, etc.) ou le transfert de technologies pour améliorer l’intensité en carbone. Mais, il présente le mérite de nous inviter à une réflexion originale qui repose sur le principe de l’équité de traitement des individus et des nations pour un niveau d’émission donné et n’enraie ni le rattrapage des pays émergents ni le décollage des pays les plus pauvres.

 

(Article initialement paru dans la Revue Nouvelle, septembre 2009, n°9 ; www.revuenouvelle.be)



[i] Les gaz à effet de serre en question sont : le gaz carbonique ou dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4), les halocarbures (HFC et PFC), l’oxyde nitreux (N2O), l’hexafluorure de soufre (SF6).

[ii] Ainsi, le protocole de Kyoto ne couvrait qu’environ 19 % des émissions mondiales de GES.

[iii] Selon l’historien Angus Maddison, le PIB de la Chine en 1820 s’élevait à 228 milliards de dollars internationaux de 1990, celui de l’Inde à 111 milliards, celui des Etats-Unis à 12 milliards et celui cumulé de tous les pays d’Europe occidentale à 165 milliards de dollars.

[iv] L’empreinte écologique globale de l’humanité excède de 30 % les capacités les capacités biologiques de la Terre et un alignement des modes de vie sur celui des Occidentaux nécessiterait 3 planètes pour satisfaire les besoins

[v] Si un Chinois consommait autant de pétrole qu’un Américain, la Chine aurait besoin de 85 millions de barils par jour (contre 7 millions aujourd’hui), soit plus que la production mondiale actuelle, entraînant par conséquent une dramatique poussée des prix. Autre exemple : la consommation de viande en Chine est passée de 20 kilos à 50 kilos par an. Il s’agit d’une forte progression et on reste encore loin des 89 kilos de l’Européen ou des 124 kilos de l’Américain. Or, la production d’un kilo de viande nécessite 15.000 litres d’eau et entre 5 et 10 kilos de céréales et rejette autant de gaz à effet de serre qu’un trajet de 220 kms en voiture. Ces chiffres montrent la difficulté de l’arbitrage entre les habitudes élémentaires et la satisfaction d’autres besoins ou objectifs.

[vi] D’autres études ont analysé le coût de certaines conséquences spécifiques du changement climatique. Ainsi, le rapport intérimaire adressé à la 9e réunion de la Conférence des Parties (COP9) de la Convention sur la Diversité Biologique (CBD) (The Economics of Ecosystems and Biodiversity, 2008) évalue les pertes annuelles des services rendus par les écosystèmes à environ 50 milliards d’euros et les pertes de bien-être cumulées devraient atteindre 7 % du PIB d’ici à 2050.

[vii] S. Chakravarty, A. Chikkatur, H. de Coninck, S. Pacala, R. Socolow, M. Tavoni, Sharing global CO2 emission reductions among one billion high emitters, 2009. Disponible à l’adresse : http://www.pnas.org/content/early/2009/07/02/0905232106.full.pdf+html


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