De l’extinction des gros mammifères au pléistocène à nos relations avec la mégafaune de nos jours

par Lachésis
vendredi 6 mars 2009

Depuis l’apparition de la Vie sur Terre, il y a eu un jeu d’apparition et de disparition d’espèces. On pense bien entendu à la disparition des dinosaures à la fin du Crétacé, mais ce ne sont pas les seuls à avoir été brutalement rayés de la biosphère. On compte déjà cinq de ces crises qui délimitent les différentes ères géologiques : Ordovicien/Silurien, Silurien/Dévonien, Permien/Trias, Trias/Jurassique, Crétacé/Tertiaire. Ce ne sont là que les crises majeures, il y eu d’autres crises de moindres ampleurs qui découpent des intervalles à l’intérieur de ces périodes. Et comme vous le savez sans doute, on considère maintenant que les êtres humains sont à l’origine de la sixième grande extinction d’espèces vivantes. Et même, que cette crise est près de cent fois plus rapide que les précédentes !

Ceci est naturellement sujet à discussion (tout le monde n’est pas d’accord là-dessus, et comme l’estimation des crises dépend du nombre de fossiles retrouvés, une absence peut simplement correspondre à une non-découverte). Reprenons donc cette histoire au Pléistocène, plus exactement peu avant sa fin (qui correspond à la fin du Néolithique dans l’histoire humaine). Le Pléistocène aura duré de -40 000 à - 8000 ans environ. On connaît de cette époque quantité de fossiles de mammifères dans la catégorie « mégafaune », i.e. d’un poids supérieur à quarante-quatre kilogrammes. Le climat est alors plus froid -fin de la dernière ère glaciaire : il faut s’imaginer la France avec un climat digne de la Sibérie, idem pour la Californie et une grande partie des zones à climat tempéré aujourd’hui : Ce qui signifie un paysage de Taïga ou de Steppe, avec des herbes hautes ou quelques arbustes, des groupes d’arbres isolés dans la plaine parfois (une sorte de savane sous climat froid). Les arbres coloniseront progressivement l’Europe à partir de refuges en Espagne, Balkan, Italie, voir le Moyen-Orient. Le pollen se conserve très bien et un carottage dans des sites comme les tourbières permet de reconstituer la flore du lieu.

Où sont donc passé les géants ?

Parmi les représentants de cette mégafaune, citons quelques « stars » bien connue de tous : le tigre à dents de sabre (Smilodon californus), le mammouth américain (Mammathus columbi), le paresseux géant (Glossotherium harlani) de trois mètres de long et d’une tonne et demi retrouvés en Amérique, et en Europe l’ours des cavernes (Ursus spelaeus), de 3m50 pour un mâle dressé (contre 3m pour le grizzly à titre de comparaison) et le rhinocéros laineux (Coelodonta antiquitatis).


De plus, on compte des formes naines de rhinocéros et d’éléphants dans les îles de la Méditerranée ; En guise de monstres, Ulysse et consorts n’ont pas raté de beaucoup ces bêtes et l’île de Crète aurait pu être plus connue pour un monstre à tête de rhinocéros plutôt que de taureau ! Comment estime-t-on la disparition de ces espèces aujourd’hui ? Les pourcentages sont très variables d’un continent à l’autre : 18% de disparu sur le continent Africain, 36% en Europe, 72% en Amérique du Nord, 85% en Amérique du Sud, 88% en Australie. Plusieurs hypothèses peuvent expliquer cette disparition : Ces créatures ne se seraient tout simplement pas adaptées au changement de climat et donc de végétation, la surchasse (qualifiée ici de Blitzkrieg) où leur manque d’expérience face à l’humain aura été fatal, l’arrivée de maladies exotiques ou de parasites (accompagnant l’Humain ou remontant par le Sud), morcèlement des territoires (Sitzkrieg). Naturellement, ces hypothèses peuvent se combiner. L’être humain semble fortement incriminé aux dernières nouvelles, quoique les études réalisées ne soient pas encore complètes (comparaison de dates de fossiles, de pollen pour retrouver la végétation de l’époque et traces d’activités humaines). Remarquez en plus que les disparitions ont été moindre en Afrique où la ligne humaine est installée depuis longtemps (je ne parle pas de notre espèce mais de nos cousins : Paranthropes, Australopithèques...) pareil que pour l’Europe qui a déjà été largement visitée par Homo erectus. Il semblerait y avoir eu une coévolution permettant à ces animaux africains de mieux résister. Mais lors ces disparitions, il n’est plus possible de parler de milieux naturels ; Etant considérés comme milieux naturels des milieux qui n’ont jamais été modifiés de quelque façon que ce soit par l’Humain. Les gros herbivores en piétinant des ouvertures dans les forêts permettent la pousse de jeunes arbres et d’herbacées dans leur sillage.

Coupable mais pas responsable ? Ou responsable mais pas coupable ?

Cela dit, d’autres espèces ont pu s’installer dans le sillage des humains : plantes adventices des cultures calquant leur cycle de vie sur les récoltes, et plusieurs espèces vivant proche de l’être humain. Le boccage est un milieu anthropisé particulièrement riche en biodiversité qui disparaîtrait sans l’intervention de l’humain par exemple. Plus encore, l’être humain entretient parfois une diversité supérieure à celle des forêts actuelles : en effet, les plantes amatrices de sols pauvres à développement lent et faible production de graines sont supplantées par des plantes plus productives lorsque la couche d’humus constituée de débris végétaux s’épaissit ; ces plantes suivantes dans la strate de végétation auront une croissance plus rapide, prendront plus de place et produiront plus de graines ; bref moins d’espèces pourront cohabiter. Ainsi, une partie des activités de protection des plantes consiste à étréper des parcelles pour laisser ces plantes recoloniser le sol. Pour ça, on utilise tout simplement un bulldozer qui va remettre le sol à nu. Des tentatives pour réintroduire les grosses bêtes ont été faites dans des parcs par endroit : Chaque animal a des habitudes particulières en matière de broutage et un cheval de Prjevalski, ne broute pas ni ne piétine le sol de la même façon qu’un bison d’Europe, permettant à des plantes différentes de prospérer, qui elles-mêmes favorisent différents insectes et ainsi de suite. On notera par exemple les Haflingers (chevaux rustiques) dans le Nord sur la dune fossile de Ghyvelde ou les aurochs sur le site des marais de la Marque à Templeuve. Ces initiatives concernent des chevaux et des vaches rustiques, mais également des aurochs ou des bisons d’Amérique (qui n’ont pas les mêmes mœurs que leurs cousins européens).

un auroch reconstitué
Le dernier auroch est mort en 1627 mais la race a été « recrée » à partir de vaches rustiques
Des chevaux de Prezwalski
Cette race de chevaux rustique est testée pour pâturer sur certains sols.

Mais l’expérience montre que la cohabitation avec l’être humain est difficile (euphémisme). On pense tout de suite aux loups et ours bien sûr (le sujet pour ou contre leur réintroduction est loin d’être clos, d’autant que les deux camps ont de bons arguments) mais on pourrait se poser la question également pour les éléphants d’Afrique qui piétinent ou mangent les cultures locales : En effet ce sont de grands migrateurs et les contenir dans des réserves n’est pas simple.

Conclusion

Cependant, à la base, l’écologie, du moins celle que je connais, est la science qui étudie les relations entre les différents composants d’un écosystème. Ce qui implique d’éviter de prendre position et de désigner le « bien » et le « mal » : Pour la planète, la disparition d’espèces n’est pas le drame que l’on pourrait croire : d’autres espèces finiront par apparaître, nous ne pourrions pas détruire la vie présente à sa surface quand bien même nous essaierions. De plus, l’équilibre d’un écosystème est une chose très difficile à définir : Vu à un instant T, un écosystème stable est une machinerie extrêmement complexe (dont on ne connaît pas encore forcément toutes les subtilités) qui n’est pas sans rappeler l’animal-machine de Descartes ou la volonté de voir un « grand horloger » devant une telle complexité : Alors qu’en réalité, comme pour un jeu de mikado en équilibre, on ne voit que le résultat fini, pas ce qui a été exterminé dans les stades précédents. Il n’y a pas de « Dame Nature » les seins opulents et des grappes de raisin en guise de couronne pour veiller au fonctionnement du système. Ma conclusion est que finalement, le rôle de définir le bien et le mal ne revient ici pas aux scientifiques. C’est l’affaire de tous, et si certains cas sont simples, comme choisir de remédier à un site pollué à l’arsenic ou au plomb, les questions sur l’avenir de ces gros mammifères encombrants sont autres. Qu’est ce qui est vraiment bénéfique pour l’humanité ? Le débat entre les alarmistes et les indifférents peut très bien être sans fin ; comme toujours en ces cas là, la réponse se trouve quelque part au milieu. Une seule chose est sûre : S’ils sont finalement exterminés, ce choix aura été irréversible, non pour la Terre (dans quelques dizaines de millions d’années d’autres créatures à rôle semblable auront fait leur apparition) mais pour nous.

Sources :


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