De Maļak ą Fukushima

par olivier cabanel
mercredi 29 novembre 2017

Alors que dans l’esprit de tout le monde, tout est réglé à Fukushima, le démantèlement serait en cours, les populations regagneraient leur maison dans les sites pollués, bref que la situation s’est « normalisée », on découvre une réalité bien différente, d’autant qu’un autre danger nous vient de Russie.

C’est de Maïak que vient le nouveau danger, et comme d’habitude, il a fallu attendre longtemps pour avoir la confirmation que la France, et pas seulement, avait été touchée par un nuage radioactif venant d’un centre de traitement de déchets nucléaire, à Maïak, au sud de l’Oural.

Nombreux sont ceux qui ignorent l’un des pires accidents nucléaires de l’histoire, dans le complexe nucléaire de Maïak, à 30 km du village d’Arguaïach, le 29 septembre 1957. lien

Ce tragique accident a été appelé « la catastrophe de Kychtym », nom de la ville la plus proche de ce complexe nucléaire, mesurée niveau 6 sur l’échelle internationale des évènements nucléaires

A l’époque, l’URSS tentait de rattraper son retard sur les USA, et les ingénieurs de l’époque ne prenaient pas trop de précautions.

Ainsi, ils n’avaient pas trouvé mieux pour se débarrasser des déchets nucléaires que de les plonger dans le lac Karatchaï...et auparavant, les déchets les plus dangereux étaient directement déversés dans le fleuve Ob, lequel se jette dans l’Océan Arctique.

Ce lac Karatchaï est le plan d’eau le plus radioactif du monde, le niveau de radiation de la région avoisinante atteint près de 155 Ci/kg (curie par kilogramme), c’est-à-dire plus que la dose létale suffisante pour tuer un humain en une heure. lien

Vers 1953, un site d’entreposage pour ces déchets liquides avait été construit... des réservoirs en acier, enveloppés de béton, et enterré à 8,2 mètres de profondeur, pourvus d’un système de refroidissement largement insuffisant.

Ce qui devait arriver arriva.

Le système de refroidissement d’un des réservoirs contenant  80 tonnes de déchets tomba en panne, sa température s’éleva jusqu’à provoquer une explosion estimée à l’équivalent de 75 tonnes de TNT, éjectant le couvercle de béton de 160 tonnes, et polluant une région d’une superficie de 20 000 km².

Il s’agissait surtout de césium 137 et de strontium, la demi-vie de ces éléments radio actifs étant d’environ 30 ans, les effets de cette catastrophe perdureront pendant au moins un siècle.

Ajoutons pour la bonne bouche que ce n’est qu’en 1976 que fut révélée cette catastrophe, et que 270 000 personnes furent exposées.

Une zone de 800 km² est interdite et plus d’une vingtaine de villages furent détruits. lien

Or Maïak vient de nouveau de faire parler de lui.

En effet, des experts ont noté une brusque augmentation de la radioactivité en Europe.

C’est à la fin du mois de septembre dernier que les autorités de contrôle de la radioactivité de l’air de plusieurs pays européens ont repéré la présence de Ruthénium-106 « à des taux significatifs  »...mais il aura fallu attendre près de 2 mois pour que les populations soient alertées.

C’est-à-dire bien trop tard...

La demi-vie de cet élément radioactif est d’environ une année, et il est susceptible, par ses rayons bêtas d’engendrer un cancer si il y a ingestion, car lorsqu’il se désintègre, il se transforme en Palladium 106, radioactif lui aussi. lien

Cette pollution radioactive a été détectée autant en Allemagne, qu’en Suisse, en Italie, en Autriche, et bien sûr en France via les stations de Nice et de la Seyne-sur-Mer.

Comme à son habitude, les autorités se sont empressées de qualifier les quantités mesurées en France comme « sans conséquence pour la sante, voire insignifiantes », sans pour autant en déduire l’origine.

L’enquête se poursuivant a permis d’incriminer Maïak, même si les autorités russes ont prétendu, dans un premier temps, qu’il s’agissait de fausses informations, destinées à « déstabiliser le Kremlin »...pour finalement reconnaitre le 20 novembre dernier, par le biais de l’agence de météorologie russe Rosguidromet une radioactivité 986 fois plus élevée que le mois précédent sur la station d’Arguaïach, dans le sud de l’Oural. lien

Nadesda Kutepova, une réfugiée politique russe, vivant en France depuis juillet 2015, connait bien l’usine de Maïak, et a levé un coin du voile, expliquant que l’usine de Maïak s’était dotée d’un nouveau four de vitrification, lequel aurait commencé à fonctionner en décembre 2016, et celui-ci aurait eu un problème, occasionnant la fuite de ruthénium 106 à la fin du mois de septembre 2017. lien

Il est plus que probable qu’il y a donc eu un accident dans cette usine de retraitement du combustible nucléaire... peut-être en saurons-nous un peu plus dans les jours qui viennent ?...

Quittons la Russie pour le Japon, théâtre d’un autre drame nucléaire, et dont tout le monde pense à tort que la situation est « sous contrôle »...

Voilà un témoignage d’un japonais qui en dit long sur ce qui s’est passé, et surtout sur ce qui se passe encore aujourd’hui :

« Je suis là pour vous dire que la catastrophe nucléaire de Fukushima n’est pas terminée. J’ai été évacué de Tokyo. Savez-vous que Tokyo a une grave contamination radioactive  : des dizaines de millions de personnes dans l’est du Japon vivent avec une contamination radioactive.

J’ai une fille de 5 ans au moment de l’accident. Elle est devenue très malade un an après l’accident (...) elle ne pouvait vivre une vie normale (...) vivre au Japon oriental signifie vivre avec beaucoup de matières radioactives, et ce n’est pas un endroit où les gens peuvent vivre sainement.

Nous appelons à l’évacuation vers le Japon de l’Ouest. (...) après l’accident on nous a dit que les radiations n’étaient pas un problème, les dommages intérêt n’auraient pas lieu.

Mais ce n’était pas vrai.

Beaucoup d’entre nous ont été évacués de l’est vers l’ouest en raison de divers problèmes de santé.

Beaucoup de gens sont malades aujourd’hui dans l’est du Japon, les gens meurent sans se rendre compte que c’est dû aux radiations.

Beaucoup de japonais ne peuvent pas affronter cette catastrophe nucléaire. (...) s’il vous plait, essayez de savoir ce qui se passe au Japon maintenant. Nous sommes en train de dire au monde que la catastrophe nucléaire est loin d’être terminée ». lien

Alors aujourd’hui, les médias nous amusent en évoquant l’aventure d’un robot, qui serait insensible aux radiations, et qui aurait filmé le magma encore en fusion dans l’enceinte du réacteur n°3.

C’était au mois de juillet dernier, mais on ne sait pas dans quel état est sorti le robot après avoir pris ces images ?...lien

Au mois de février 2017, Tepco avait déjà admis que 6 ans après la catastrophe, les radiations avaient atteint un niveau record... 530 sieverts par heure, et avait annoncé pouvoir localiser le magma, afin de commencer à enlever le combustible en 2021. lien

On ne demande qu’à le croire...d’autres sont moins optimistes...t el Kevin Kamps, expert en la matière qui affirme que personne ne sait où sont les coriums, que les fuites radioactives sont quotidiennes, 300 000 litres d’eau polluée se déversant quotidiennement dans l’Océan. lien

Tepco admet que l’opération de retrait du combustible fondu des 3 réacteurs représente, « une montagne de problèmes », et va probablement générer un surcroit de pollution, car pour tenter d’approcher au plus près les zones des coriums, il faudrait remplir totalement les enceintes d’eau, et donc provoquer un dégagement de vapeurs radioactives important, qui vous s’ajouter à celles déjà relâchées.

Ajoutons que si, finalement, les 3 coriums étaient localisés, vu la température qu’ils doivent avoir, et l’intensité du rayonnement radioactif, comment serait-il possible de les extraire ? Pour les mettre où ?...

Quittons le Japon pour la France, où une fois de plus Greenpeace a démontré que l’on pouvait entrer tranquillement dans une centrale nucléaire, et s’installer tranquillement à proximité des piscines de refroidissement, en toute impunité, même si l’exploitant affirme que la sécurité de ces installations est assurée.

Ils sont tout de même 22 militants à avoir réussi à s’introduire dans la centrale de Cruas-Meysse, afin d’avertir les autorités de la vulnérabilité des piscines où sont entreposés les combustibles usagés.

Si Greenpeace a réussi, pourquoi des personnes mal intentionnées n’y arriveraient-elles pas à leur tour, sachant que ces piscines sont l’un des points faibles de ces installations nucléaires, ce qu’a confirmé un rapport d’experts critiquant la capacité de résistance des bâtiments abritant les piscines d’entreposage, ce que Greenpeace avait dévoilé le 10 octobre dernier. lien

Elles contiennent des barres de combustible extrêmement radioactives, et si le système de refroidissement venait à tomber en panne, à la suite d’un attentat, par exemple, on imagine facilement la suite, en pensant à ce qui s’est passé en 1957 à Maïak.

Comme dit mon vieil ami africain : « pas besoin d’être une lumière pour s’apercevoir qu’il fait noir ». 

L’image illustrant l’article vient d’Arte

Merci aux internautes pour leur aide précieuse.

Olivier Cabanel

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