Des profs malades du manque de nature
par Roland Gérard
lundi 3 septembre 2018
Nous sommes à Montauban et pourtant l’impression qu’on a, c’est qu’on est à la campagne. Une belle campagne avec son calme, ses arbres, ses cultures, son lac, ses oiseaux… C’est la maison du lac. C. a passé la soirée sur place, elle prend son petit déjeuner, elle arrive d’un stage pédagogique et avant de rentrer chez elle dans une ville qui n’est pas à côté, elle passe par ici pour vivre ces deux jours consacrés à l’éducation nature à l’école. Cela ne fait pas cinq minutes que nous parlons qu’elle dit sa détresse dans le système scolaire. Elle le dit, elle ne peut pas faire autrement… Elle est au bout du rouleau, elle n’en peut plus du système. Elle vient là comme on chercherait une dernière bouée à laquelle on pourrait se raccrocher.
Ce qui ressort du corps enseignant
Mais pourquoi ils et elles viennent ces enseignant.e.s comme ça pendant leurs vacances, participer à un stage intitulé « Vivre la nature à l’école » et pourquoi elles paieront de leurs poches : les frais d’hébergement, de nourriture et les frais pédagogiques ? C. dit qu’elle est « en recherche de nouvelles façons d’être en classe », M. « recherche des nouvelles pédagogies et se sent seule dans son école », B. parle de Montessori souhaite « plus de bienveillance à l’école, on voit des choses tellement dures … C’est la question de rester dans le métier qui se pose… », C. aime la nature, elle est très sensible à l’écologie, elle veut parlant de l’éducation à la nature « arrêter de trouver des bonnes raisons de ne pas le faire en classe », elle en a assez de voir son rôle de directrice réduit à « être une autorité à laquelle on demande de sévir », N. part tous les ans en classe de découverte, E. parle aussi de Montessori, elle a vécu la conférence d’Isabelle Peloux, tous les ans elle fait des plantations dans le parc à coté de l’école, R. ne se retrouvait pas dans son métier, dans sa remise en question il a découvert Montessori, il se sentait assez isolé, cette année il va avoir une classe de 35 élèves. Il s’intéresse de plus en plus au développement naturel de l’enfant, H. a fait des stages aux Amanins, parle aussi de Montessori, elle dit : « on ne vit pas assez la nature avec les enfants… envie de les reconnecter ». Par moment dans ce premier tour de parole sur les motivations, l’émotion est palpable, il y a des larmes. Ces enseignants ayant visiblement la vocation cherchent des solutions pour que ça aille mieux pour les enfants à l’école.
D’abord le contact
De la sortie contact qui a duré trois heures où la consigne est d’ouvrir tous nos sens pour mieux savoir où nous sommes, sont ressorties des pistes de projets : adaptation des plantes à leur milieux, écologie des insectes, croissance des plantes : du gland au chêne, rôle des insectes polinisateurs, organisation sociale des insectes, l’éveil sensoriel dans la nature, les traces d’animaux, atelier baies, les différents feuillages, dessin de plantes, reproduire les mouvements et les sons création de danse, les libellules, l’arbre remarquable… La pédagogie de projet est toujours centrale dans l’action pédagogique de nombreux enseignants. Nous en avons parlé avant de rentrer en atelier d’échanges.
Ensuite l’échange de pratiques
Nous avons tous, qui que nous soyons, vécu des expériences de transfert de savoirs concernant la nature. Le principe de cet atelier d’échange, c’est de raconter comment nous avons réalisé une action éducative concrète, cela pourra nous enrichir toutes et tous. Nous avons eu l’histoire des boites à toucher, réalisées par les maternelles qui sont devenues un évènement dans l’école. Nous avons eu l’histoire de la découverte des animaux de la mare, A. nous a raconté comment elle a vu « des enfants très effrayés par les petites bêtes ». Il y a eu aussi l’histoire d’écol’ô naturel qui a mobilisé plusieurs années, enseignants, parents, partenaires pour plus de nature à l’école.
La balade sensorielle
Trop souvent on se sent incapable d'accompagner un groupe parce qu'on a le sentiment de ne pas connaitre assez la nature. On ne sait pas le nom des plantes et des oiseaux donc on ne se sent pas légitime à encadrer une sortie. Il n'en est rien pourtant. Ce qui compte ce n'est pas de donner des noms, ce qui compte c'est notre niveau d'attention. Ce qui compte c'est d'être présent, c'est de refaire cette connexion avec le vivant non humain. L'humanité l'a toujours eu cette connexion, notre civilisation nous fait la perdre. La balade sensorielle, avec son concert, son cocktail d'odeur, son jeu du photographe, sa palette du peintre... est en toute légèreté un moyen très simple de rapprocher les personnes des bêtes et des plantes. L'écoute, l'ouverture, la présence, la capacité de trouver une certaine sérénité dans la nature, le voilà le moyen pour retrouver l'interdépendance avec la faune et la flore que nous avons perdu. Laisser un peu sa place au coeur.
Pour l’éducation nature, l’heure est arrivée
Nous avons eu un exposé de Crystèle Ferjou à distance depuis les Deux-Sèvres. Avant d’être enseignante Crystèle a fait de l’éducation à l’environnement. Il y a plus de dix ans, elle a entendu parler des jardins d’éveil en forêt et du livre de Sarah Vauquiez « Les enfants des bois ». Un livre qui déclenche des vocations. Finalement elle s’est décidé à faire le grand saut et a vécu pendant plusieurs années une demi-journée dehors avec sa classe de maternelles toutes les semaines. Quelque chose de pas très courant en France, voire de complètement inédit. Son expérience à fait l’objet d’un film. Aujourd’hui les parents y tiennent à cette sortie régulière et tellement bénéfique pour leurs enfants et Crystèle, devenue conseillère pédagogique, commence à former ses collègues à cette pratique. Un article du Monde de cet été à bien médiatisé son action. Notre échange qui n’a pas duré une heure à bien motivé les stagiaires, l’enthousiasme est contagieux. Certaines entendaient pour la première fois parler de jeux libres dans le contexte scolaire.
Curieux contexte
Michel Rose cofondateur des Rencontres Ecole et Nature en 1983 nous parle des classes camping qu’il faisait avec sa classe à vélo. Il précise : « L’institution ne nous a jamais beaucoup aidé » et ajoute que « maintenant ce ne serait plus possible » les obstacles pour une telle organisation sont devenus trop nombreux. Il dit aussi et en cela il rejoint Peter Gray qu’« on ne responsabilise pas assez les élèves » que « la pédagogie de projet devient absente, il faudrait dans l’année un crédit de 30 heures pour monter un projet ». Il regrette certains changements récents : « Le samedi matin c’était le moment où l’on pouvait travailler à des projets avec les parents ».
« Mon plus grand frein, c’est moi »
Quand nous avons échangé sur les freins et les leviers pour une éducation nature dans l’école, la question des programmes a été mise en avant : « quelle case du programme, je vais pouvoir cocher en faisant ces activités ? », mais nous avons aussi entendu : « mon plus grand frein, c’est moi ». On entend aussi que « C’est difficile de faire rentrer les parents dans l’école parce que dans l’état d’esprit de mes collègues ce sont des chieurs… alors qu’à l’usage pas du tout ». Le premier levier qui apparait c’est l’envie des enfants de découvrir le monde qui les entoure et l’envie des enseignants de les sortir dehors.
Le changement vient du terrain… n’attendons pas.
Les enseignant.e.s réunis ces deux jours sont repartis avec le désir d’organiser des sorties, de végétaliser la classe, de tenter d’instituer au moins une sortie dans la nature par mois, de faire un jardin et beaucoup de choses encore. Un point sur lequel tout le monde était d’accord c’est le fait que l’activité de découverte de la nature, elle vient du terrain. C’est par les initiatives des uns et des autres à la base que les choses changent. Pour cela il faut juste oser. Cela ne fait aucun doute c’est pour le plus grand bien des enfants et donc de tout le corps social. Ce dimanche, veille de la rentrée S sans laquelle ce stage n’aurait pas eu lieu, était dans sa classe avec son collègue pour terminer ses préparations. Ils ne sont pas les seuls tout les deux à se donner sans compter pour les enfants et depuis des années. Les enseignants sont de plus en plus nombreux à ressentir le besoin de nature des enfants, ils ont capté les effets du syndrome de manque de nature vulgarisé par Richard Louv. Aidons les enseignants à organiser cette éducation à la nature tellement nécessaire comme dit Antonella Verdiani fondatrice du Printemps de l’éducation, faisons que l’éducation à la nature devienne prioritaire dans les programmes scolaires, n’attendons pas.