Drone de guerre à Fessenheim et sur d’autres sites nucléaires : action de nouveaux geeks militants ?

par Patrick Samba
lundi 10 novembre 2014

Les geeks, mot argot américain, sont des fanas de technologie. Mais pas uniquement. Le terme « geek » est également employé pour les personnes passionnées par des sujets pointus dans les domaines liés aux « cultures de l'imaginaire » (le cinéma, la bande dessinée, le jeu vidéo, etc.), aux sciences en général et à l'informatique en particulier. Pour Greenpeace, que l’on aurait pu légitimement suspecter d’être à l’origine du survol répété des sites nucléaires par des drones depuis plus d’un mois, mais dont les dirigeants démentent fermement toute implication dans l’affaire, il pourrait en fait s'agir « de geeks qui inventent là une nouvelle forme de militantisme ».

La semaine dernière, après Marcoule et St Alban, un 4ème survol de drone a eu lieu à la centrale du Bugey dans l’Ain, ce qui en fait la centrale la plus survolée. Tandis que Fessenheim n’a été survolée que deux fois (ou une fois. Le mystère reste entier- L'Alsace). On en est aujourd’hui à plus de 20 survols de sites nucléaires, et toujours pas d’auteurs appréhendés. Mercredi 5 novembre, la gendarmerie a bien cru en saisir deux à Belleville-sur-Loire, qu’elle a placés en garde à vue. Las, ces amateurs d’aéromodélisme ont subi cette pénible épreuve injustement.

Il s'agirait donc d'une nouvelle organisation non seulement composée de nombreux geeks résolus et sachant maintenir le secret, mais également fort bien structurée. Et dont les coordinateurs ou les dirigeants auraient les nerfs assez solides, de réels nerfs d’acier, pour supporter les pressions exercées par la DGSI depuis plus d’un mois et le risque d’une condamnation à un an d'emprisonnement et 75.000 euros d'amende par survol. Sérieusement quel type d’organisation en serait capable sinon une vieille organisation expérimentée comme Greenpeace, ou des services secrets étrangers ? A moins donc que soit née une nouvelle génération d’antinucléaires particulièrement redoutables…

 

Et pour Anne Jouan, du Figaro, la situation a atteint un tel degré de complexité qu’elle en est amené à conclure que « le survol de sites nucléaires par des drones vire au casse-tête ». Sa synthèse bien documentée de l’affaire mérite d’être lue. C’est pourquoi je la transcris intégralement :

« De nouvelles incursions ont eu lieu ce week-end [du 1er novembre]. Matignon affirme qu'il n'y a pas eu d'« ordre de tirer » sur ces engins.

En l'espace d'un mois, treize des dix-neuf centrales nucléaires françaises ont été survolées par des drones. Vendredi soir [31 octobre], cinq complexes l'ont été entre 19 heures et minuit, de la Seine-Maritime au Haut-Rhin. Et samedi soir, suite à une alerte, un hélicoptère de la gendarmerie aurait tourné pendant près d'une heure avant de se poser sur le site de la centrale de Cruas (Ardèche).

Quelques heures auparavant, plusieurs réunions ont eu lieu entre les ministères concernés (Intérieur, Écologie, Défense et Justice), dont une à Matignon. Le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), dépendant du premier ministre, a assuré dimanche que le gouvernement « mobilise » tous les moyens pour « identifier les responsables » des survols et pour y « mettre un terme ».

Mais comment neutraliser ces appareils ? « Les gendarmes qui surveillent les centrales (...) ont pour instruction permanente d'abattre tous les aéronefs qui pourraient représenter un danger pour les centrales et cela s'applique aussi aux drones », indique un conseiller de Matignon. Mais dans le cadre de cette affaire, « il n'y a pas eu spécifiquement d'ordre de tirer », le survol organisé « ne présentant pas forcément de danger ». Pourtant, jeudi, la réponse était oui. Un gendarme expliquait au Figaro qu'ils avaient reçu l'instruction de les « abattre ». Le même jour, sur France Info, le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, parlait des « dispositions pour neutraliser » ces engins. Depuis, d'autres survols ont eu lieu et aucun drone n'a été abattu.

Officiellement, à la gendarmerie nationale, on refuse de dire si l'ordre a été ou non donné de tirer. Pour expliquer ce mutisme, une source évoque « le bazar » qui règne à propos de la gestion de l'affaire : « Politiquement, c'est la déstabilisation à cause de la simultanéité des survols. D'où la minimisation. » Les forces de l'ordre s'inquiètent : aujourd'hui, ce sont de petits drones, mais demain ?

« Nous ne dramatisons pas parce que les survols (…) ne font peser aucun risque sur ces centrales, qui sont construites pour résister aux secousses sismiques et même aux chutes d'un avion », s'est défendue dimanche Ségolène Royal, en charge de l'Écologie, sur Europe 1. Des propos qui hérissent les antinucléaires. « Nous sommes affligés par le discours de Ségolène Royal. Qu'elle nous ressorte que les centrales nucléaires françaises sont faites pour résister à la chute d'un avion, on rêve », explique Yannick Rousselet, chargé de campagne nucléaire chez Greenpeace.

En France, les réacteurs (notre territoire en compte 58 répartis sur 19 centrales) sont censés résister à la chute (accidentelle ou crash volontaire) d'un avion. Mais seulement d'un engin de type Cessna 210 ou Learjet 23. Soit, pour le premier, un petit avion de ligne (monomoteur à hélice) d'une tonne et demie et, pour le second, un biréacteur d'affaires de 5700 kg. Mais sûrement pas un avion de ligne. C'est ce qui ressortait d'un rapport parlementaire de 1998 intitulé « Contrôle de la sûreté et de la sécurité des installations nucléaires ». En revanche, rien n'est établi concernant la résistance du toit des « piscines » qui abritent le combustible usé avant qu'il ne soit transporté dans les bassins de retraitement.

Un policier estime que, pour survoler une centrale, le « conducteur » du drone doit être situé entre quelques centaines de mètres de son emplacement ou au maximum à cinq kilomètres. Les survols sont interdits à cinq kilomètres à la ronde et un kilomètre d'altitude. Ils sont passibles d'un an d'emprisonnement et de 75.000 euros d'amende.

Dimanche [2 septembre], les autorités n'avaient toujours pas d'informations concernant les auteurs de ces survols, une quinzaine depuis le 5 octobre. Des sites du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) ont également été visités. « Si on ne sait pas qui est à l'origine de ces vols et quelle est la nature exacte des drones, comment peut-on avoir le culot de dire qu'il n'y a pas de danger ? », interrogent des ingénieurs du nucléaire. Et d'ajouter : « Il serait temps que les instances nucléaires françaises communiquent différemment. Finalement, rien n'a changé depuis Tchernobyl. Rien, à part qu'il y a eu Fukushima. »

Un point de vue partagé par Greenpeace : « Après Fukushima, il y a eu une prise de conscience de la part de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), explique Yannick Rousselet. Le problème, c'est que les politiques ne les écoutent pas. »

Quant à l'éventuelle implication de militants extrémistes de l'organisation, Greenpeace répond : « Les drones, ce n'est pas du tout la mentalité des radicaux de chez nous, car ce sont des gens anti-haute technologie. Nous n'y croyons donc pas. En revanche, il pourrait s'agir de geeks qui inventent là une nouvelle forme de militantisme ». »

 

Rappel : Appel solennel à la fermeture, dans les plus brefs délais, de la centrale de Fessenheim (à diffuser +++ !)

Patrick Samba

 

 

Photo du site : Crise economique,les sauveurs du monde


Lire l'article complet, et les commentaires